#P8

Étranger

Tu as décidé de partir, comme un désir de fuite. Tu as déclaré que ce n’était plus possible, là bas où tu vivais, là-bas où il faisait trop chaud, là-bas où le feu frôlait la ville, la-bas où s’affichaient des idées auxquelles tu n’aurais adhéré pour rien au monde. Tu as su que tu voulais revenir, que peut-être le pays de tes racines serait celui où tu trouverais la paix, que, qui sait, ce serait là que tu la finirait, cette vie qui t’était devenue difficile. Tu as un peu hésité, pas beaucoup en réalité, il y avait déjà cette certitude qu’il fallait y aller ; c’est un saut dans le vide, pas vraiment dans l’inconnu, mais une frontière à passer, un terme à mettre au pan le plus long de ton existence, un retour à une source qui t’avait si longtemps semblé tarie. Ton corps vieillissant t’a donné l’alerte… il était temps de te faire soigner dans ta langue maternelle.

Tu as cette amie, loin de l’autre côté de l’Océan, au pied des montagnes… Tu as vu cette ville où elle a élu domicile, elle t’a plu à toi aussi, et comme elle, à ton tour, tu l’as choisie … Elle est une présence qui, l’espères-tu, adoucira ce que tu ressens, malgré tout, comme un exil. C’est à elle que tu as dit que c’était là que tu voulais débarquer, ajoutant ‘tu comprends, je n’ai plus que toi’. Un jour, il faudra que tu reviennes sur cette phrase, que tu saches si c’était c’était ce que toi, là, ce jour-là, à ce moment-là, si c’était ce que toi tu voulais vraiment dire, vraiment lui dire. Elle va t’aider, un peu trop peut-être. Elle te montrera ses chemins pour que tu les fasses tiens. Votre relation est d’amitié, n’a jamais été d’amour. Pourtant c’est là que tu atterris, dérouté, étourdi par les différences, par ces nuances de la vie dans ce pays qui, bien que pas nouveau puisque natal, te semble autre, un ailleurs dont les exigences et les fonctionnements t’échappent.

Ton amie te dit que tu es courageux, que ce départ que tu as choisi, elle, elle le verrait comme un déchirement, elle te trouve brave. C’est le mot qu’elle utilise, brave.

Tu sais qu’il va te falloir du temps, et que même si la langue n’est pas barrage, tu as quitté trop longtemps cette société là pour en connaître les évolutions, pour n’en avoir pas oublié les coutumes et usages. Tes coutumes à toi sont celles de ce pays-continent que tu quittes, que tu as voulu fuir. Tu dis ‘chez moi’ puis te reprends en voyant le sourire de ceux qui t’entourent : ‘là où j’habitais’.

Tu vacilles, étourdi par cet exotisme, un peu coupable de ton ignorance des mœurs de ce pays qui, au lieu de redevenir tien, se révèle, pour le moment, terre d’adoption, étrangère, désirée.

Si tu avais été plus jeune, ça aurait été plus facile. Mais tu t’es mis en mouvement à l’âge d’être grand-père, tu titubes et trébuches, tu te sens vulnérable, bancal, chancelant, comme écrasé, éreinté, fourbu. Exténué. Tu vas te reposer. Tu resteras, tu habiteras. Résolu.