#photofictions #03 | photos où s’inter-dire

Sans titre

Début de printemps. Un pré. Une jeune enfant et un homme. Lui allongé jambes pliées. Sa jambe droite relevée sert de dossier à l’enfant. L’enfant est installée accroupie dans le creux de sa jambe droite posée au sol. Légèrement de côté, il s’appuie sur son bras droit. Il pince peut-être sa barbe avec sa main gauche. Son bras repose pliée en travers du buste. Il porte un gilet de grosse laine blanc cassé tricoté à la main. Un liséré de laine noire termine la manche. Au coude : des motifs jacquard.  Au fond une ligne d’arbre sans feuilles borde le champ. Le pré est parsemé de fleurs de petite taille à longue tige. Il abrite plusieurs espèces de fleurs de graminées : des pissenlits probablement, des boutons d’or, peut-être des pâquerettes. Elles apparaissent en taches de couleur difficile à reconnaître. L’enfant tient une longue tige dans sa main gauche et une tige plus courte terminée par une fleur – probablement de bouton d’or – dans la main gauche. La fleur apparaît en tâche blanche ronde. L’œil est attiré par la petite fleur et deux boutons ronds clairs au bas de la veste de velours que porte l’enfant. Le visage de la petite est légèrement flou. Elle plisse les yeux. Ses cheveux sont châtain clair mi-longs : une frange souple au-dessus des yeux. Elle ébauche un sourire. Sa peau est claire. Elle est installée face au soleil, une ombre s’étire derrière son buste. Le soleil tombe sur la joue droite de l’homme. Le reste du visage est dans l’ombre. Le rang d’arbres qui borde le pré est ensoleillé. Derrière, un boisement plus serré de feuillus trace une masse sombre de moindre hauteur. De sa position sur ses jambes, on devine que l’enfant sait marcher seule. Que cela reste récent. Elle a entre 12 et 18 mois ?

Tu voudrais sourire plus. Le soleil te gêne. Il n’est pas le seul à retenir ton sourire, je sais. Cette petite fleur, elle t’apporte un petit instant de douceur. Il te manques… Encore plus qu’à moi, le copain Castor. Castor et Pollux. Les Dioscures… Les fils de Zeus… C’est Emma qui nous avait trouvé ce nom. On venait tous les deux de l’Ouest, de la campagne. Personne n’a vraiment saisi. C’était peut-être au « Manège enchanté » qu’elle avait pensé. Pollux le chien aux poils longs. Oui, peut-être ça. On s’entendait tellement bien. Je n’avais pas imaginé qu’un enfant c’était ça, qu’il pouvait arriver comme une balle dans la tête.Je connaissais bien ton coin, mais ça. Ça, le je-me-tire-une balle-je-suis-papa. Ça je sais pas. Je sais juste qu’Emma et moi on s’est tenus là, à côté. On a prévenu ta famille, on t’a enterré. Et puis Emma a dit Elle, elle reste. Il était pas question que tu partes avec lui. Son ventre s’est arrondi. Et c’est moi qui t’ai vu avec elle dans ton premier regard. On pouvait continuer comme ça, juste toi, Emma et moi. Se balader dans les prés le dimanche matin aux premiers beaux jours. Mais on s’est mariés. Mes parents ont dit d’accord mais tu te maries. On s’est mariés.

Une femme et un enfant assis sur ses genoux. L’enfant porte un bavoir en plastique orange. Il tient sa cuillère avec la main droite. Il a visé la bouche et la cuillérée du petit pot atteint sa bouche ouverte. Son demi-bras gauche et les doigts de sa main gauche sont légèrement en tension. On devine l’application de l’enfant, son effort soutenu pour coordonner son geste. L’enfant porte une robe rose de motif écossais et un sous-pull blanc remonté à hauteur des manches. La femme porte une tunique rouge à motifs floraux bllancs et un bermuda en jean. Elle fume une cigarette. Elle maintient l’enfant sur ses genoux du bras gauche, sa main entoure la taille de l’enfant. De la main droite elle tient le petit pot. Sa cigarette tient aux lèvres seule. Elles sont assises dehors sur une chaise en plastique blanc. Sur la table de jardin blanche, un journal. Le temps est ensoleillé. Derrière elles, une cour. Le revêtement est un gravier blanc. Au fond, deux tas de sable clair. Une porte métallique de hangar agricole.

Tu manges toute seule. J’ai l’impression que c’est la première fois. La première fois que je l’observe. Pourtant j’ai vu ta sœur tenir sa cuillère toute seule elle aussi. Elle devait être là,sur mes genoux, et je la tenais par la taille pendant qu’elle s’appliquait à soulever sa cuillère et diriger la purée vers sa bouche sans la renverser. Je ne m’en souviens pas. Peut-être qu’on était pas dehors, qu’il faisait moins beau, que cela s’est passé en hiver. Peut-être qu’elle pleurait. Elle pleurait souvent. C’était bien en hiver, oui… J’ai mal dormi. Tu étais réveilée tôt ce matin. Prête à croquer le jour. J’avais envie de prendre mon temps. De farnienter. C’est bien, tu es adroite. Il fait soleil, on a pu s’installer dehors. Dans la cour. Dire qu’on parlait de voyager…Castor est mort. Pollux et moi mari et femme, monsieur et madame. On a pas fait de voyage de noces. 3 ans déjà. Cette fois-ci Pollux est papa. Élise nue, nue et reconnue… il voulait un deuxième enfant. J’ai pas cherché à dire non. Je n’ai pas pu dire non. Je voulais voyager, c’est plus le moment. Cours, courses, verbe courir, petits pots… Verbe mourir. Merde, celui-là : merde, putain. Castor je ne lui pardonnerai jamais. Il a décidé pour nous. Toi, tu manges déjà ton petit pot toute seule.  

#PHOTOFICTIONS #3 PROPOSITION A PARTIR DES PHOTOS DE NAN GOLDIN EXTRAITES DU LIVRE « JE SERAI TON MIROIR » – J’AI ECOUTE LA VIDEO DE LA CONSIGNE D’ECRITURE. J’AI NOTE SUR UNE ENVELOPPE « PERCEPTION PAR IMAGE MENTALE », « CE QUI SE PASSE DANS LA TETE D’UN CÖTE / CE QUE RECELLE L’IMAGE DE L’AUTRE ». NOTE MONOLOGUE D’UN COTE / DESCRIPTION DU DISPOSITIF DE L’AUTRE. NOTE « BRIBE DE MONOLOGUE DANS LA TETE D’UN DES PERSONNAGES SUR LA PHOTO. NOTE « PHOTOGRAPHIE PLUS GRANDE QUE LA PHOTOGRAPHIE ». J’AI LU LA PROPOSITION ECRITE, OBSERVE LES PHOTOS DE NAN GOLDIN, LU L’EXTRAIT DE « TETES MORTES » DE SAMUEL BECKETT. JE PENSAIS CONTINUER L’HISTOIRE DE LILI MAIS J’AI ECRIT UN NOUVEAU FRAGMENT EN OUVRANT UN ALBUM DE PHOTOS DE FAMILLE. DESIR AUTOBIOGRAPHIQUE QUI VIENT AVEC LE MOT MIROIR DANS LE TITRE DE NAN GOLDIN « JE SERAI TON MIROIR ».

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

15 commentaires à propos de “#photofictions #03 | photos où s’inter-dire”

  1. juste dire que j’aime – que je ne sais si je prendrai plusieurs photos comme sujet (Nan Goldin le fait, même si le lien n’est pas toujours apparent sans le contexte) mais là c’est bien

  2. Merci Brigitte. Plusieurs photos rend plus complexe. Peut-être qu’avec une seule photo on pousse plus loin dans le monologue. J’avais besoin de plusieurs voix à superposer. C’est du premier jet. Je me sentais vite fatiguée. Je vais revenir à l’histoire avec Lili.je pense.

  3. Les descriptions des images sont si précises que je me demandais si on avait besoin de les voir. Les voir apporte : comment se déplace le regard qui narre et la conscience des éléments qui sont retenus pour les décrire. J’aime l’écart entre la description pure et les récits qui naissent de ces images. Ces souvenirs au présent qui sortent d’une tête, abrupts avec leur part de douleur et de mystère

  4. J’adore les photos de famille et ceux qui travaillent autour. maladroites, mal cadrées, mal éclairées mais remplies d’une émotion considérable et transmissible. Une piste que je n’ai jamais suivie, mais sur laquelle j’aimerais me documenter plus; (en ce moment une exposition à Aix en Provence…que je n’ai même pas vue) et d’autres travaux.

  5. Merci du retour Nathalie. C’est bon à savoir que mes images ne sont pas utiles. En effet, il s’agirait que l’écriture suffise pour les sentir sans les voir. L’ exercice a en partie réussi.
    Chouette.

    • … mais je trouve tout à fait réussi, la présence des photographies aide à saisir le chemin que les mots creusent dans l’image et ouvrent au regard

  6. Très beau le contraste entre la description si précise des photos et l’histoire autour qui interroge les images et semble balbutier, à la fois simple et lourde de secrets.

  7. Je me posais la même question que Nathalie sur la présence de la photo tant ce que tu en écris est finement descriptif. Mais la voix de ton image mentale est étonnante. C’est vraiment beau.

  8. Même question de mon côté.
    Tes descriptions sont magnifiques, alors pas vraiment besoin de l’image. On entend une voix qui lit le texte, en tout cas moi j’ai entendu. J’ai pensé à Duras, j’ai aimé les détails, les mèches au vent, l’herbe autour, la cour, le revêtement de la cour…