Quai pluie

(Elle est sortie. Immobile, sur le quai, elle ne bouge pas. Tout à l’heure elle va, brutalement, avancer comme une folle, seule, elle va te faire peur. Elle ne bouge pas. Immobile.)

Il fait froid. On entend tomber comme des gouttes lourdes d’acier on entend le sol saoul le sol sourdre le bruit des pierres d’eau grosses, roulement carcéral. On regarde pleuvoir la pluie sur les plaines enceintes, lacérées.

(Seule. Elle a dit, à voix haute. Un sursaut convulsif. Le froid. Sa face tordue dans l’angle sanglant du corps gelé.)

La voix siffle encore, écrasée par les tirs les pluies. On entend la voix qu’on a dite. On entend la voix qu’on a dite aller éclater sa matière aux matières des rails froids. Langue claquée le gel.

(Elle dégage.)

On dégage. Lourde. Un corps qui roule dans la pluie les quais lourds. On entend les coups des pas de la femme lourde on voit à chaque pas dans l’écran de buée le paysage épais, sourd.

(Elle trébuche.)

– Tu trébuches. Attends. On est plus proche de la fosse des rails on entend le train qui n’arrivera jamais. Le charbon brûle noir comme un lit épars de silex anéantis. La pluie va briser contre les coupants des pierres creuses, chaque goutte de la pluie. On étend la main sur le rail on sent le fracas, on rit.

(Elle se couche son corps à plat ventre sur le bord, juste au dessus de la fosse. Elle roule. Sur les côtes elle roule, elle est là, juste au bord, à la limite, ses cheveux mouillés partout, horrible.)

Le corps enfin transi, totalement. On est le corps comme un des rails de la plaine épouvantable, on sent chaque goutte et le transpercement, on rit. On rit enfin. On est heureux comme jamais. Ciel banal plein les yeux, gris, les étoiles du dimanche l’après midi, la tristesse pleine à ras bord. Le vin qui me tombe dessus en flotte comme pierres de flotte lourdes, du ciel, qui mouille le corps partout qui se roule, se roule, les cheveux aussi, et tout ça. On est ivre du chagrin des quais qui nous ont disparu, immémorial. On est soûle, totalement. C’est trop beau.