Tes pieds se recroquevillent, rougissent à en perdre leur peau, gelés, frigorifiés, dans une botte de froid qui monte et qui descend, hésite sur ton mollet, entre cheville et genou à chacune de ses vagues. Quand l’eau repart, tu vois presque tes pieds, mais joliment marbrés, ondulés, déformés, tu as tes pieds de mer et puis tes pieds de terre, ce ne sont pas les mêmes pieds.
Dis-moi, toi qui m’écris, tu voudrais me décrire en disant ce qui me manque, en disant ce qui manque à mes photographies, celles de mes souvenirs, comme un portrait un creux, la statue par son moule. Mais autour c’est immense, infiniment immense
Sur la carte dans ta tête comme sur la carte en vrai il y a de l’eau autour, il te faut de l’eau autour pour que tu t’y repères pour que tu sois chez toi, trop de terre et tu te noies, trop de terre et tu te perds. Pouvoir suivre la limite, d’un côté et de l’autre, jeter des cailloux dans l’eau, juste pour entendre le plouf et voir les cercles qui partent pour la grande aventure autour d’un trou dans l’eau.
Dis-moi, toi qui m’écris, tu crois que l’eau c’est simple ? que l’eau n’a qu’une couleur, qu’une forme, qu’une histoire ?
Île. Chapeau ou pas chapeau, pour toi c’est ça le français, tous ces mots à chapeau. Pas de mots à chapeau dans ta langue maternelle, l’anglais que tu as appris à écrire à l’école. Peut-être à cause du vent, toujours beaucoup de vent, le chapeau ne tiendrait pas sur les îles Shetland, et en plus pas un arbre où il pourrait rester accroché par miracle.
Dis-moi toi qui m’écris, tu oublies un peu vite qu’il y a d’autres accents et surtout que les accents ne se voient pas à l’oral. Tu oublies le parler en restant dans l’écris
L’odeur restait sur toi, tu ne sais pas la décrire, peut-être un peu d’acide, un petit côté vinaigre mais aussi autre chose, un côté plus robuste, douceâtre et puis chimique qu’on e retrouvera dans aucune cuisine, pour toutes ces autres odeurs, c’est juste ton nez qui sait, c’est l’odeur du labo et l’odeur des photos même quand le papier ne sent plus que la poussière
Dis-moi toi qui m’écris, tu devrais quand même faire au moins un petit effort pour décrire les odeurs, ça reste bien vague tout ça
Rouge, un rouge qui progressait, s’étendait, s’étalait. Tes yeux t’ont prévenue avant que la douleur ne vienne sonner dans ta tête. Le ciseau à bois dans le doigt, tu ne t’étais pas ratée. Main en l’air puis couture et pansement et maintenant le réflexe, les mains derrière la lame et jamais plus devant.
Dis-moi toi qui m’écris, tu parles de la blessure ou du travail du bois, du bois de son importance, ou tu parles du fait que tout ce qui fait le bois est important pour toi au-delà d’une petite coupure
Vider le carton des plumes, ça te servira à quoi, tu sais bien au fond de toi que tu vas les emmener, qu’elles vont déménager une fois de plus avec toi. Goéland argenté et goéland marin, mouette tridactyle, et le noir cormoran, sitelle torchepot, geai des chênes et chouette, buse variable, rouge-queue noir, grand corbeau, mésange bleue ou gros-bec casse-noyaux, parfois tu n’es pas sûre que l’oiseau en question aie bien porté cette plume mais le nom te plait trop pour que tu l’abandonnes et abandonnes l’idée de le photographier
Dis-moi toi qui m’écris, dans ton déménagement, un pauvre carton de plumes ça ne va quand même pas peser si lourd que ça, cette partie du texte me paraît bien légère, d’autant plus que tu mêles les plumes des oiseaux de mer et de ceux de la terre
Le livreur c’est Marcel, vous discutez parfois, café de temps en temps, il va être papa, tu lui fais une poupée, une poupée comme Alba, celle que toi tu avais quand tu étais petite, du tissu, de la laine, ce que tu trouveras, mais avant la couleur, pour toi le plus important c’est juste que les textures, les tissages, les reliefs, la douceur, attirent les doigts de l’enfant
Dis-moi toi qui m’écris, tu en as déjà parlé de cette fameuse poupée de quand tu étais petite, il faudrait peut-être penser à te diversifier, parce qu’on va se lasser de la voir revenir et encore revenir, cette fameuse poupée
Codicille :
Pas bien sûre que ce soit comme ça que la proposition proposait, en particulier le partage entre recto et verso, mais disons que c’est de la matière, des notes, avec des notes sur les notes, pour donner de la hauteur, de la profondeur, pour étirer tout ce que je sais déjà du personnage de Mow.
L’impression que je pars un peu dans toutes les dimensions, au-delà du funambule qui lui, au moins, reste (normalement) sur son fil ;-)
les pieds de terre et les pieds de mer, la carte dans ta tête et la carte en vraie, île chapeau ou pas chapeau …. j’aime ce rythme qui balance entre deux
Grand merci Line, j’étais passée à côté du côté balance de mon propre texte …
« dis-moi toi qui m’écris », avec ce double sens d’adresse et de description, ponctue magnifiquement ce portrait en pleins et en creux.
Je me suis demandé si l’ambigüité de l’adresse allait gêner, j’ai même failli la changer avant de choisir d’en profiter 😉
Merci pour ta remarque qui conforte mes choix et surtout merci pour ton passage !
Tu as bien fait de le garder !