#rectoverso #06 | Des photos d’eux

Je suis photographe. On ne regarde pas la photographe on regarde ses photos. On ne regarde dans la même direction que la photographe et on lui parle de ce qu’elle regarde, de ce qu’elle voit, de ce qu’elle a vu, de comment elle l’a vu, de comment elle a fait pour le voir comme ça. À la photographe on lui parle de technique ou de référence à un autre photographe. Souvent à la photographe, on lui parle de ses photos à soi, qu’on a fait presque la même et presque au même endroit et presque au même moment, ah ben regardez je l’ai là sur mon téléphone portable. Souvent à la photographe on lui parle de soi, de ses photos à soi et la photographe reste souvent totalement inconnue, parce qu’on ne la regarde pas.

J’ai deux sortes de morts que j’emporte avec moi qui me suivent m’accompagnent que je le veuille ou non. Il y a les morts que j’ai photographié et ceux dont je n’ai que des souvenirs, mais parmi ces souvenirs, il n’y a aucune photo, aucune photo que j’ai faite, parfois une image mais ce n’est pas pareil si la photo n’est pas de moi il manque une sorte de lien, le regard qui passe à travers l’objectif n’est pas du tout le même qu’un regard ordinaire. Le regard du photographe habillera le mort d’un manteau de contexte de circonstances, de décor, de technique. Quand la photo est de quelqu’un d’autre, le mort est nu, tout ce qui ne rentrait pas dans le cadre est perdu, disparu, oublié. Tandis que mes morts à moi que j’ai pris en photo, je sais encore ou c’était, ce qu’ils m’ont dit à ce moment-là, de quoi on avait parlé, à quel endroit c’était et en quelle saison, les odeurs. Mes morts sur les photos des autres me sont plus inconnus que sur mes photos à moi parce qu’il me manque tout ça

Codicille :
En retard, embarquée dans des choses mal embouchées et loin de l’écriture en cours en ce moment (oui, je sais rien n’est loin de l’écriture, mais parfois c’est pas le bon moment pour cette écriture-là) Alors juste des notes, juste un petit bout de la lorgnette quand le texte apportait tellement plus. Alors juste ce petit bout de texte, comme une photo pour se souvenir d’une personne, d’un endroit d’un moment. Une petite note pour mieux dessiner Mow

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

4 commentaires à propos de “#rectoverso #06 | Des photos d’eux”

  1. Un petit texte qui donne à voir la photographe et ses morts animés d’une vie contrairementaux autres morts photographiés : un angle d’attaque intéressant. Merci de l’avoir pointé.

    • Merci pour le passage par ici, toujours plein de choses interessantes qui arrivent avec de telles propositions 😉