#techniques #03 | Le corps erratique

Aperçus en grotesque

va |

























tombe |



























roule |



















lève |






































écris |

Va sans dire mon corps. Derrière les haies, derrière les lisières, les clôtures, à l’arrière des clôtures, des voitures, des glissières et le long des clôtures, des lisières et dans le travers des massifs va. Va erratique mon corps. Sans dire rien de tes travers, transits, transports et de ton trouble va de ton allant et de tout ton air. Les haies moineaux étourneaux merles sur ton passage s’égaillent, se vident, les alouettes montent en flèches qui suspendues au ciel ébruitent l’alarme au-dessus des champs que mon corps tu vas longeant et contournant respires — va mon corps faire toute vie fuir. Va, mon corps erratique, et passe, passe sous silence, sous les branches basses, les voies et dans les buses et par des trous dans des clôtures entre : entre en silence, entre et vois. Pénètre une emprise quelle qu’elle soit et n’erre alors plus, un temps ne va plus, accorde-toi un temps. Clairière. Et ressors, repose et puis repars, entre et sors, ressors par où tu es venu. Et sans plus te faire voir, dans le plus grand silence faufilure mon corps fuis. Flaire les emprises dedans les clôtures et t’en fuis. Et je t’en prie mon corps râpé aux mailles des grillages exfiltre-moi. Va-t-en et pas sans moi mon corps furtif, mon fugitif. Fuis, fluide mon corps, de toute propriété et ne t’appartiens pas. Ou ne m’appartiens pas, mais ne me laisse pas, mon corps ambulant, laisse pas tomber, ne me laisse pas aller me lâche pas. Va mon corps et incontinent tombe. Tout corps tombe. Va où ça tombe, ça va ou ça tombe, tombe sur moi mon corps. Comme tu me tombes tu me vas, à ravir ou à verse. Tombe, averse mon corps, sur moi — plonge météo mon corps, météore — plonge-moi. Tout me tombe : tombe là. Mon corps me tombe devant moi. Me fait tomber. Je tombe sur mon corps. Le tombé de mon corps. Je vais dans les retombées de mon corps. Tombe et retombe. Précipite, précipité atmosphérique mon corps, précipite-toi sur moi — précipite-moi. Frappe mon corps : frappe-moi de stupeur. En pluie — Les bras m’en tombent, du corps, mâchoire m’en tombe, la bouche m’en bâille, m’en bée. Une ondée. Me voilà en eau : je suis en eau, les eaux du corps me baignent. D’origine océanique mon corps. Atmosphérique mon corps. Précipice mon corps. Tombe en morceaux — tombe-moi. Du ciel ou de quelle soute. Dessus. Mon corps épars, discontinu, erratique, mon corps, j’en ramasse, j’en repêche les morceaux et je le recompose, je mélange tout, mon corps. Mon corps est ce qui m’arrive. Tout m’arrive. Et de très loin : d’aussi loin que je vis, de plus loin, de l’océan, du ciel ou que sais-je encore — que sais-je mon corps. Je ne sais que te dire, ni à qui je m’adresse. Tu me parviens sans adresse. Sans cesse. Tu n’auras pas cessé de m’être tombé, m’être échu — n’as pas fini de chuter mon corps sans fond. Sans qu’on n’en tire plus rien tombe, que plus un mot n’en sorte tombe. Mon corps de sommeil tombe. Tombe mon corps et dors. Ou ne dors pas, roule. Roulé de corps — galet roulé mon corps — mon corps encore — roule dans le lit. Se tourne au lit. Se tourne vers le lit. Tourne le dos au lit, n’en sort pas : dans le lit roule, d’un bord à l’autre du lit roule : houle d’un bord du lit à l’autre roule, d’un corps à l’autre, le lit tangue, roule sur un autre mon corps encore lui — est-ce bien toi ? Roule orage mon corps, les soubresauts du monde en rêves t’agitent : dans tes rêves mon corps… Te croyant encore dans le sommeil, te berçant de ton illusion quand il est manifeste et flagrant qu’autour de toi rien ne dort, tout veille — tout surveille. Dans le noir mon corps. Noir mon corps. D’où rien ne sort, qu’un dernier, un régulier filet d’air — d’air vicié. Dors sur le fil de tes expirations — ou fais semblant. C’est éveillé que tu as le mieux l’air de dormir. Calé. Sans plus bouger. Te renfoncer. Ou t’étendre, ou lover, t’enrouler. Et t’étirer — surface — fond — surface — fond — dans le noir te noyer, te noyer de noir mon corps, n’en plus pouvoir. Plus ciller. Ne savoir plus pourquoi, dans le noir, tu étais yeux fermés. Et tu lèves, lève dans le noir pâte mon corps — à l’heure des boulangers te voilà. Te lever : tu te lèves mon corps. Sur un mot comme ça sans pourquoi ni aveu te voilà — dans le noir — dressé. Je veux dire debout, debout mon corps, un mot — lequel d’entre tous ceux-là — aura suffi à t’y mettre, quand l’une après l’autre de mes pensées t’accablait… Car tu penses toi aussi mon corps. Tu as ta pensée. Tu es une pensée, mon corps pensant, et ta pensée, la pensée que tu es va : te voilà l’escalier mon corps descendant. Et la marche au plein milieu de l’escalier mon corps — l’irremplaçable, irréparable marche voilà, miracle, qu’elle ne craque pas — où es-tu mon corps passé ? À quoi — quel garde-corps — t’es tu retenu de la faire — et le séjour avec elle, la maison entière et jusqu’au fond des chambres — retentir ? Où donc te tiens-tu mon corps suspendu ? En toute noirceur. En pleine nuit. En silence — ce silence que gardien mon corps tu t’entêtes à préserver, silence que tu entretiens et nourris et dont tu colmates les fuites, en assurant l’intendance et la maintenance, plombier et factotum du silence mon corps et du repos de la maison, et non seulement de sa tenue mais pour tout dire de sa paix — silence mon corps. Employé au silence, tu y es attaché, tu en es occupé — domestique mon corps, cesse à l’instant de te croire — t’aller sans dire — sans feu ni lieu… En toute noirceur… En pleine nuit… Mais, nuance mon corps… — Nuance, vas-tu sans dire mon corps — tu me la fais simplement toucher, tu ne fais rien que me la dévoiler : — Noirceur n’est pas nuit. Le noir ne résume pas la nuit : il n’embrasse pas tout d’elle. La nuit ne peut être confondue avec le noir. Le noir ne contient pas la nuit. La nuit n’est jamais noire. Il n’est qu’à, au bas et tournant de l’escalier, ouvrir fais-tu mon corps la fenêtre et de notre séjour le premier volet pour que la nuance me saute au visage, visage mon corps — sans t’encore rien sur le corps être mis — l’extinction de tous feux alentour te dérobant et à quel regard ? Il n’est qu’à te placer à la fenêtre comme on porte la coupe aux lèvres, comme on se penche à la source : tu es cette nuit mon corps — non plus noir : nocturne. Écris-la, écris-toi mon corps, nocturne va. Mon corps écrit dans le noir. Mon corps fait nuit dans le noir — écrire fait nuit. Écris à l’encre de la nuit. À la lampe frontale, spéléo mon corps. À la lueur du mobile, du gaz sous la casserole — ou du tableau de bord. Prends le volant et puis lâche-le, tes pieds quittent les pédales. Derrière le volant mon corps — où ma vie t’as coincé, car c’est un fait mon corps : tu as ta vie — j’ai la mienne — tu oublies de conduire, tu t’arrêtes pour écrire : t’écrire mon corps, sur les genoux, sur le volant — car écrire doit prendre appui. T’écrire te refait nuit. Tu écris : dans mon corps il fait nuit. Écrire étire la nuit, joue les prolongations. Sur le parking où ma vie t’a conduit tu ne trouves, otage mon corps, que ce seul recours, cette bouée de secours : tu stationnes. Tu stationnes ou tu flottes : tes pieds ont perdu les pédales et tu es déchaussé — peut-être même es-tu passé mon corps par-dessus le frein à main, prendre la place du passager — du mort mon corps. Ta nuit devient flottante et le jour se pointe. Il te faut décider : tu laisses l’auto au milieu de celles des employé.es de libre-service — corps employés au réassort des rayons des jours —, parmi le troupeau grossissant, silencieux, refroidissant d’elles. Alors écrire devient marcher. Voilà le front du dernier lotissement sorti de terre dépassé, laissé derrière nous. Et voilà que marchant vient à nous accompagner un parler en l’air et qui lui vient de là et qui dit lui aussi s’appeler écrire. Et la nuit se fait de plus en plus claire mais c’est ta voix qui s’éclaircit, et nous sommes partis mon corps pour traverser le jour. Tu ne connais pas d’autre voyage que cette traversée dans tous les sens du jour, pas d’autre issue que d’y faire naviguer ta nuit, transport de nuit mon corps. Tu me fais traverser de nuit les jours. Tu me fais dans ta nuit traverser mes jours. Va divaguant mon corps, vagabonde. Tu t’écris sans adresse — mais te destines au dehors. Marche ou parle et bientôt tu cours mon corps, t’écrire est courir, écrire t’est courir curseur mon corps. Va-t-en retirer, t’en fuir, t’enfoncer. Repasse mon corps : derrière les glissières, les lisières, les aires, les zones et autres, horizons de tous bords, oripeau mon corps. Va mon corps perdu, fonds-toi en arrière, loin, loin — à bout de ton souffle mon corps. Tu dérailles, et t’en vas te planter. Te planter décor là (…)

13 commentaires à propos de “#techniques #03 | Le corps erratique”

  1. « Allons mon pauvre (corps), allons mon vieux complice », ça m’évoque des accents verlainiens tiens…

    • Merci Marion pour ce cadrage historique. Je prends à l’instant conscience du fait que j’aurais certainement à apprendre de l’usage (délire en ce qui me concerne) dissociatif en littérature.

      • Qu’est-ce que c’est que cette affaire, l’usage dissociatif ? Crisco dit : « analyse, débâcle, décomposition, dédoublement, déliquescence, désagrégation, désintégration, disjonction, dissolution, dysharmonie, fission, scission, séparation ». Pendant ce temps je retravaille mes histoires de fourmi tiens, pour rendre ça un peu plus joli. L’insecte était basiquement et bêtement… une fourmi sur un corps allongé dans une clairière.

      • ah mais rassure-toi je n’imaginais pas tellement autre chose 😉
        — par « dissociatif » j’entendais le fait de s’adresser à soi-même — ou à une partie de soi-même, ou à sa vie : de se diviser en plusieurs personnes grammaticales pour ce faire (c’est peut-être bien un procédé typiquement lyrique…)

      • « Autobiographie d’un morpion »: quand l’écopoétique rejoint l’intersectionnalité des luttes, une nouvelle approche de David et Goliath, un combat microscopique mais épique, un thriller haletant.

  2. Wahou ! quel texte. Un sacré élan, une envie de le lire/dire à haute voix. Des images fortes et un beau travail d’écriture, de mise en page avec la langue qui creuse le propos. C’est très beau. ça pourrait durer plus longtemps encore, même si l’objectif est atteint. Bravo !