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2019.11.09 | « plus je me noie dans le noir »

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On s’en expliquera en fin d’année scolaire, mais rarement j’ai été ému et remué par la qualité et la densité d’un atelier d’écriture que par celui que nous menons depuis fin septembre avec une classe du lycée pro Truffaut, à l’invitation de Thérèse de Paulis. C’est toujours irrationnel de conduire une telle barque. Faire que la proposition naisse d’une nécessité, de quelque chose d’irrationnellement éprouvé en transcrivant à l’ordi les textes de la séance précédente. Là, nous avions –- nous devions avoir — rendez-vous avec le rêve. J’ai apporté un texte de Michaux, Le rideau des rêves parce qu’il propose une suite d’archétypes des rêves (rêves monochromes, rêves de vols ou de poursuites, rêves récurrents, rêves avec animaux, lieux ou couleurs des rêves), et dans ma brève présentation j’ai bien insisté qu’il ne s’agissait pas de répondre par un récit de rêve (sauf si on ressentait cette injonction-là, et trois des textes sur les dix-huit sont de très denses récits de rêve), mais en explorant le comment on rêve. Non pas le contenu, mais l’aventure du rêve. Que la transcription d’un rêve n’est pas art en tant que telle, mais qu’il n’y a pas de surgissement esthétique qui puisse ignorer notre manière d’être en rêve. Et ça a été pigé cinq sur cinq. Il y a toujours ce moment ensuite où on se disperse, où moi je crève de trouille : et si elles.ils coincent, n’écrivent pas. Et souvent les réactions individuelles vont dans ce sens. J’ai pas compris, monsieur. Moi je m’en souviens pas, de mes rêves –- dira sérieusement celle qui fera un des textes les plus conséquents. Et les questions qui dérangent : — Les aveugles, de quoi ils rêvent ? Ou bien : — Moi en rêve ma mère me parle, mais elle est morte et je ne veux pas écrire ce rêve. On est entouré de merveilles. La façon dont les armes et dont les manuscrits sont ouvragés est la même. Des statuettes sont des invocations ou des sorts. D’orfèvreries qui ont deux mille ans, l’une dira : – Oh j’ai la même chez moi. On est descendu dans le sous-sol du grand auvent réservé aux arts islamiques. Un labyrinthe de galeries et de mezzanines. Un espace circulaire avec des tables lumineuses qui vont devenir pupitres à écriture. Le socle des oeuvres convoqué comme écritoire. On n’a jamais de problèmes avec les gardiens, au Louvre (les vrais, ceux du Louvre même). Et puis là c’est calme, là c’est obscur. Un responsable passera, un moment, nous reprenant sur les anoraks et les sacs posés en tas : — On est au musée du Louvre, quand même... mais même lui filera sans insister. Je crois que ça se sentait, qu’il se passait quelque chose d’important. Les autres visiteurs aussi, qui parfois traversaient, se mêlaient, écoutaient. À qui appartiennent les objets, armes, vases, tapis, statuettes, animaux votifs, globes terrestres ou célestes pour le calcul des voyages. J’ai parlé des Mille et Une Nuits, je n’ai pas parlé d’Ibn Battuta. D’eux-mêmes ils posent leurs feuilles A4 blanches devant les très anciennes écritures : — Chez moi on parle arabe, mais je ne sais pas lire ça. Ce n’est pas moi qui ai eu cette intuition-là, c’est Thérèse de Paulis : que, si on travaillait sur le rêve, on serait bien ici, dans l’obscurité presque totale. Alors évidemment les photos montrent peu. Mais quand on a lu les dix-huit textes, tout à la fin, là en plein milieu de l’immense dédale aux objets si étranges, si lestés de magie, nos textes en étaient la continuité même. On en reparlera ici. Mais c’était trop fort pour que je n’en parle pas dès maintenant.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 novembre 2019
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