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2019.11.10 | l’image ne sauve pas le temps

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En regroupant toutes mes photos dispersées sur un même disque dur et dans un même catalogue Lightroom (voir, il y a 3 jours, 100 000 photos comme une seule), toutes donc disponibles d’un clic quelle que soit la distance temporelle, l’indétermination spatiale (combien de visages que je ne connais plus), et le regret aussi que ça n’ait commencé qu’en 2002 — aujourd’hui par exemple amené à exhumer le fichier d’un stage théâtre mené en 1995 —, je me confrontais à une nouvelle alternative : chaque fois que je clique (ici en haut) sur le petit lien d’accès à une page au hasard du journal, aller chercher l’original de la (série de) photo qui m’apparaît, et remplacer celles de la page d’origine par ces fichiers datés du jour de la prise, mais en les conservant de plus grand format, et un peu repeints avec Lightroom. J’ai été tenté plusieurs fois, donc ça arrivera : mais ces trois jours ça ne s’est pas produit. Dans la relecture que je fais de ces fichiers reclassés mois par mois depuis décembre 2002, je plonge au hasard. C’est comme entrer dans un grenier. Un peu décoloré, un peu passé. Aussi parce que le monde même a changé. L’autre alternative se présente donc ainsi : les journées comme aujourd’hui, où une fois de plus je n’ai pas bougé de ma table de toute la journée, créer un nouvel épisode de journal à partir de ces photos remontées depuis le bout du temps. Par exemple cette arrivée en train, en mai 2006, dans une ville de province que d’aucuns reconnaîtront très vite. J’ai même appris tout récemment d’un ami que je considère comme proche, Gilles Bonnet, qu’il était présent à cette lecture que j’avais faite ce jour-là mais qu’il ne s’était pas présenté et donc qu’on n’avait pas parlé.

Ces années-là, j’ai sorti plusieurs livres en peu de temps, Daewoo, Led Zeppelin, Tumulte, Dylan. Je venais de quitter remue.net pour développer ma propre aventure web, mais on n’avait pas les outils d’aujourd’hui. L’histoire que m’a racontée Gilles Bonnet, se souvenant de cette lecture alors que moi pas (sinon de l’échange avec Jean-Claude Lebrun, une photo de J-C Lebrun revenue au jour récemment sur un de mes albums Facebook ayant provoqué qu’il me la raconte) prouve que l’événement réel superpose plusieurs systèmes de temps disjoints, que la photographie n’embarque pas avec elle, et donc ne peut refournir. Je ne me souviens pas non plus de l’hôtel, mais je me souviens que le lendemain j’avais rejoint Nîmes, avec une panne de train entre Sète et Montpellier, pour un workshop traduction sur Dylan.

Qu’est-ce qui, dans ces images, marque qu’elles datent de ce moment précis, il y a treize ans : l’appareil avec lequel je les ai prises (c’était encore ce tout petit Olympus), la façon dont et quoi je choisis de photographier, ou la patine même des choses, l’usine même depuis ayant été démontée ai-je appris récemment. Republier ces images, quel que soit l’abîme où cela me plonge quant à qui j’étais et de quoi je me suis intérieurement débarrassé depuis, ou symétriquement ce que j’ai perdu, ne sauve ni ne convoque donc rien du temps qu’elles ont saisi.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 novembre 2019
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