« le deuxième livre est toujours le plus difficile à écrire »

une réécriture de « Limite », Minuit, 1985, et feuilleton de sa genèse


Le deuxième livre est toujours le plus difficile à écrire -– reprise augmentée et commentée de l’intégralité du roman Limite (Minuit, 1985), l’auteur de l’époque raconté comme un de ses propres personnages.

Ecrit en 1985 à la Villa Médicis sur une machine à écrire électrique Adler (j’avais déjà à endurer quelques commentaires de collègues traditionnalistes sur le fait que j’utilisais un engin aussi futuriste), je n’avais pas de version numérique de Limite, dont j’ai pu il y a 3 ans récupérer les droits aux éditions de Minuit, qui l’avaient laissé en déshérence. Irène Lindon a eu l’élégance d’accepter, moi je voudrais bien récupérer les droits de tous mes livres au-delà de 10 ans d’exploitation, c’est une des raisons qui m’a conduit à fonder ma propre maison d’édition.

Alors scanner et préparer l’epub ? Non : 30 ans après, j’ai décidé de tout recopier à la main sur mon ordi. Bien sûr, quelques phrases ont changé, peut-être un ou deux passages ont-ils sauté, quelques adjectifs ont été virés à la soufflette. Mais l’équilibre d’une langue est comme hors de l’auteur, on n’y touche pas. C’est très surprenant aussi combien on le découvre mémorisé, organiquement lié à vous-même, bien au-delà du souvenir conscient.

Et c’est dans ces heures de dactylographie (le découpage des billets ici en témoigne, une douzaine de grandes séances) que me revenaient aussi les sources, les événements, les intuitions – des moments qui touchaient parfois à l’écriture, parfois aux racines autobiographiques.

Alors, ce feuilleton de l’écriture, j’ai décidé de l’inclure à même le texte lui-même, dans la version numérique qui ensuite s’est lentement affinée, et dont le blog conserve ici le premier état brut.

« Le deuxième livre est toujours le plus difficile à écrire », c’est une phrase de Jérôme Lindon, le directeur des éditions de Minuit, à réception du premier état du manuscrit, qui portait alors pour titre Terrain glissant. J’ai décidé que cette phrase serait le titre de ce livre imprimé, spécialement composé pour accueillir cette démarche.

FB

Limite, Minuit, 1985 : la reprise numérique comme réécriture


En septembre 2010, j’entame la recopie manuelle de Limite, mon 2ème livre, commencé à Marseille en 1983, terminé à la Villa Médicis l’hiver 1984-1985.

L’idée : à mesure que je revisite ces strates très anciennes de mon travail, mener une réflexion sur les sources autobiographiques, les formes littéraires convoquées, et le travail lui-même.

L’idée – confirmée à mesure de la réalisation : un livre numérique complet en ligne, composé de deux couches superposées – le texte réécrit (peu), et le commentaire qui vient s’associer à chaque section.

 

sommaire de la reprise en ligne


 p. 7-12
 p. 12-23
 p. 24-34
 p. 34-41
 p. 42-58
 p. 59-65
 p. 65-79
 p. 79-99
 p. 101-139
 p. 141-156
 p. 156-185
 p. 186-199

 accéder à l’ensemble des textes et commentaires.

 complicités numériques : merci à Emmanuel Delabranche d’avoir proposé une étonnante série photographique en résonance à des expressions de Limite, voir son site à peine perdue.

 

à propos de Limite, et dessein du projet


Limite est mon deuxième livre.

Sortie d’usine est paru aux éditions de Minuit en septembre 1982. Je vivais à Paris, j’avais un reliquat de chômage. Jérôme Lindon m’avait versé 3500 francs pour premiers droits d’auteur, je ne voulais pas les employer à la vie quotidienne, je m’étais acheté mon premier réfrigérateur, plus les oeuvres complètes de Flaubert au club de l’Honnête Homme (16 tomes reliés cuir, je les ai toujours). Cet hiver, un ami rencontré grâce au livre, Gérard Noiret, me propose de l’accompagner à Bezons dans des stages d’insertion de jeunes en situation précaire, ce sera mes premiers ateliers d’écriture, je ne sais même pas que le terme existe.

Je dois rendre ma chambre parisienne, et vient en même temps la nouvelle d’une bourse d’aide à la création du Centre national des Lettres (et non du Livre, comme rebaptisé depuis). Pendant un an, je vais vivre à Marseille : le souhait de rompre radicalement, me concentrer sur le deuxième et principal défi – un premier livre vous tombe dessus sans qu’on choisisse rien, et il faut remplacer par un parcours volontaire.

Au printemps 1984, je soumets à Jérôme Lindon un énorme manuscrit, titré Cité de transit, près de 400 pages (j’en ai encore un tirage), dont les 60 premières pages seront L’Enterrement, et recoupant la matière de ce qui sera plus tard Décor ciment. Je ne sais pas qu’un des rituels de Jérôme Lindon c’est le refus systématique du deuxième manuscrit, Échenoz et les autres subiront aussi, Marie NDiaye osera porter Comédie classique chez POL avant d’être contrainte au retour. Je le vis difficilement. Un hasard me fait apprendre ces mêmes jours l’existence du concours de la Villa Médicis, et le décrocher (on parlera Dostoïevski et tragiques grecs devant jury présidé par Pontus Hulten, avec présence Jean Leymarie et Louis Marin). C’est à Rome que je décide de partir dans un chantier neuf, ce sera Limite.

Bizarre écriture, franchissement qu’on fait à tâtons. Intensité de ce séjour à Rome, et du lieu lui-même. Mais les heures du franchissement sont souvent hors de la magie romaine, carnets dans les sous-sols de la gare centrale, ou heures de train pour débarquer dans une piaule d’hôtel d’une ville dont je me souviendrai à peine le nom. Le match de foot en temps réel qui est un des fils de Limite a ainsi été aperçu à flanc de pente d’Assisi, en plein hiver.

Quand je revois Jérôme Lindon, en juin 1985, le manuscrit s’appelle Terrain glissant. Quand j’entre dans son bureau, il raccroche son téléphone : – Marguerite Duras me dit que c’est un très mauvais titre... Jamais su si c’était réel ou un de ses rituels, pour lui l’édition tenait du jeu, mais c’est avec nous qu’il jouait, on était gagnant aussi. Et c’est lui qui proposera Limite, alors qu’en remplacement je lui avais proposé Samedi soir danse, en écho au Dance sister dance des Rolling Stones, puisque mon travail de pré-documentation sur eux, qui mènera au livre de 2002, avait commencé dès cet hiver 1983 à Marseille.

Il n’y a donc pas de passé ni de temps lorsqu’on revisite un livre qu’on a signé.

J’ai décidé de le recopier à la main, et que ce sera en présence directe ici, sur ce site. Recopier, pour ne rien changer, mais savoir cependant aiguiser (ponctuation, notamment). Je n’ai pas archivé les épreuves ni mon manuscrit. Un élément majeur tient à l’intervention de Jérôme Lindon : le livre est constitué des monologues de 4 personnages masculins, avec une fille pour faire le lien (son prénom uniquement basé sur étymologie du mot unique, plus le Mona des Rolling Stones). Jérôme Lindon m’avait demandé à ce que chaque monologue soit précédé du prénom du personnage, alors que dans le manuscrit initial seuls le registre d’écriture et le réel à l’arrière-plan permettaient identification, l’un des quatre d’ailleurs n’étant pas nommé.

Cette reprise numérique est l’occasion de revenir à la forme initiale, en amont de la première publication. Je reviendrai ici à ma forme initiale.

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1ère mise en ligne 5 septembre 2010 et dernière modification le 3 février 2023
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