mes châteaux à Pantin

ils dorment dehors tout l’hiver


Jour d’hiver. Hier il faisait - 3 avec neige, aujourd’hui seulement - 1.

Ceux qui peuvent sont couverts. Je n’ai pas d’atelier d’écriture, mais je viens quand même.

Je ne sache pas qu’on vive plus mal à Pantin que n’importe où ailleurs. Ville en mutation rapide, quartiers qui repoussent sur eux-mêmes, gestion humaine de l’héritage immeubles années 70 (la chance que les Courtillières étaient, par Gilles Aillaud leur constructeur, un véritable geste d’architecture). Le métro qui arrive en pleine ville, deux lignes, plus le RER, et la trouée si étrange du canal avec ses berges piétonnes, ses repères contemporains (le centre chorégraphique), rien ici ne peut être simplifié.

Aujourd’hui j’ai décidé de marcher jusqu’au Carrefour des Limites.

Le Carrefour des Limites c’est à la jonction de Bobigny, là aussi où les trains et le métro enjambent le canal de l’Ourcq.

Tout près de la bibliothèque, cette cour, comme si se recréaient presque naturellement dans la ville ses espaces désertés où le temps s’arrête, qui les ouvre à reconquête. Ainsi cette peinture où le mot Europe surplombe celui de télévision. Les deux vieilles dames, leurs courses ne paraissent lourdes qu’à elles-mêmes.

Premier château : est-ce que parce que la lumière blanche du ciel correspondait si bien à l’objet, ou parce que le froid arrête les taches humaines ? Cette drague a dû rester longtemps immergée dans le canal : elle est recouverte de bas en haut d’algues brunes qui forment une croûte dure, sauf là-haut le petit chapeau de la cabine (dédié à V. V.).

Et de belles matières, bois et rouille.

Autre château : cet ensemble silo et son étrange sphère, ses assemblages géométriques en font un monument d’Égypte. Je photographie souvent les silos. Mais conjonction aujourd’hui du bateau d’entretien du canal.

Depuis plusieurs mois, j’accumule des portes. Portes closes. Perspectives mondes fantastiques. Dans cette ville, chaque porte peut-être rejoint toutes les autres, mais par quels passages ?

Je retrouve l’usine, que les gens d’ici appellent "le bateau". Le bâtiment me fascine autant. J’espère me glisser à l’intérieur. Même plus de squatters. Ruine. Nouvelle série de clichés.

Mais comment oublier mon propre statut ? La flânerie que Walter Benjamin décrit pour Baudelaire est ce qui l’évide pour que s’inscrive, à travers lui, la mutation en profondeur de la ville avant son âge industriel. Et cela donne La Chambre double, ou Les Yeux des pauvres ou les Tableaux parisiens.

La misère aujourd’hui est plus triste. Ils vivent dans les rues de Paris. Ne quittent plus le carré que représente au sol une grille chauffante, comme un radeau égaré sur les trottoirs de la capitale.

La misère est-elle moins dure à Pantin ? La Poste (Pantin principal) traite de façon méprisante les habitants : les pauvres, pour envoyer leurs mandats, retirer leurs colis, retirer quelques dizaines d’euros sur leur compte d’épargne, peuvent bien faire la queue. Files d’attente, hall sans lumière. Souvent jusqu’à la porte, et surtout en début de mois. L’appareil de retrait automatique délivre d’ailleurs des billets de 10 euros exclusivement. Je dis, j’affirme : depuis un an que je passe avenue Jean-Lolive devant Pantin principal, le traitement que la Poste inflige à ses clients est cynique. Manque de personnel ? Plus grave. C’est cela AUSSI, le quotidien du mépris. On voudrait le hurler.

Et donc, ceux qui sont plus pauvres que les pauvres, ils viennent s’incliner aux pieds des pauvres. La solidarité est élémentaire. Mais il fait froid. Alors, dans les alvéoles de cet immeuble ils se réfugient, les sans-abri. Ils sont trois au moins, quatre même, dans des duvets, chacun son balcon. Il y a ce vague plafond contre le givre et la neige. Mais les barreaux semblent une exclusion redoublée.

Je ne photographie pas les gens. Je ne sais pas. Je n’aime pas. J’ai fait une exception. Ce n’est pas lui que je photographiais (il était ves 12h30, mais je suppose que la nuit ceux-ci marchent, marchent sans arrêt pour ne pas mourir). Ce que je photographiais, c’est nous-mêmes et le monde que nous sommes. L’enseigne MacDo n’est pas un montage.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 janvier 2006
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