ouverture #4 | seul, ton doux, ton dur

cycle été 2020 | outils du roman


 

seul, ton doux ton dur


Quatrième et symbolique proposition d’ouverture de ce nouveau cycle : une semaine à pas de charge, mais on va aérer et espacer, prendre le rythme. Toujours besoin d’une succession plus rapide de touches au tout début, que l’atelier prenne visage.

Par exemple, c’est la première fois que je tente des propositions basées sur une double écriture. En musique, l’idée de variation me rejoint dans mes écoutes les plus abstraites, les plus intimes : la rudesse des Goldberg, l’épanchement des Diabelli.

Ce qui me retenait : si l’atelier trouve sa justification comme marche d’approche vers sa nécessité propre d’écriture, la débusquer, lui donner matière, l’écriture par variation en serait le risque opposé : on ne vise pas cette dépossession à quoi nous contraint d’écrire, nous mettant face rétrospectivement à ce qui s’y est exprimé, et nous enjoint empiriquement le chemin.

S’il est possible d’avoir à sa main plusieurs réponses à une proposition, est-ce qu’on ne manque pas celle qui devrait s’imposer d’elle-même, hors de vous, plus loin que vous ?

Et je mesure déjà, à ce qui m’arrive la proposition précédente (la #3, donc) les résistances que cet écart provoque. Pourtant la manière de la phrase, son élan, sont en osmose profonde avec l’amplitude — brève ou longue — de l’oeuvre, de même que le coup de pinceau d’un peintre a rapport à la taille choisie de la toile. Ce n’est pas une hiérarchie : les Illuminations de Rimbaud (60 pages) sont au même niveau de renverse esthétique que la Recherche de Proust (3000 pages). C’est plutôt qu’aider chacun.e à cheminer vers le format d’oeuvre qui est sien.ne est un des enjeux majeurs de tout atelier.

Et c’est l’insistance de John Gardner à revenir à ces propositions d’écriture duelle, voire multiple (voir sa série 4a, 4b, 4c, 4d...) qui m’incite à ce qu’on s’y ancre pour une deuxième proposition.

Cette fois, dans la suite des 30 exercices de Gardner, il s’agit du 17. Je ne pense pas qu’il soit directement transposable à la langue française : Gardner en appelle explicitement à ce qui, dans la langue anglaise, créée une tonalité qu’on dirait soft, et une autre qui serait plus hard (je simplifie, ce ne sont pas deux mots qu’il emploie). En peinture, en cinéma, je vois très bien de quoi il s’agit. En littérature, on va tomber vite sur l’obstacle précédent : il y a des oeuvres en tonalité soft et d’autres de tonalité dure : de grands artistes comme Henry James peut-être abordent les deux : tonalité étouffée, glissante pour les Papiers d’Aspern, tonalité contrastée, saccadée pour son Tour d’écrou et c’est affaire, comme en photographie ou peinture, de quantité de lumière, de réglage des contrastes et du grain.

Mais, en musique, c’est une base du travail : on va jouer ce morceau en accentuant ce qui le rend plus brutal, ou rapide, ou haché, ou anxieux, et à l’inverse on va le jouer en accentuant ce qu’il inclut de paisible, de nappes, de courants invisibles. Alors vous serez libre de ne plus penser à rien de cela lorsque vous l’interpréterez sans partition, comme dans toute sa grâce Arielle Beck, dont son père nous dit qu’elle travaille longtemps ses partitions sur table.

L’enjeu, alors : et si, à pousser le texte, une figure de récit, dans une interprétation plus fluide, sfumato, puis le pousser dans une interprétation plus scandée, contrastée, dure, nous puissions gagner ce cran de liberté, dans une palette plus large de nuances, lorsque nous aurons à reprendre la même figure de récit dans la liberté (grande) du roman ?

Chez Baudelaire, Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre appartiendrait à ce pan dur de la langue, tandis que Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille à ce pan plus chuchoté.

Reste à trouver le lien, le thème qui nous unisse. Là, je reste fidèle à mes principes en matière de conduite d’atelier : si on souhaite travailler sur un paramètre, assourdir les autres. Prendre un thème, une figure, qui soit un archétype, une constante. En peinture, un personnage seul devant un paysage (Friedrich), un personnage seul devant fenêtre (Vermeer), un personnage livré à sa méditation intérieure en chambre (Hopper) peuvent relever de ces archétypes, et vous aider d’ailleurs à choisir votre entrée de récit.

Chez Kafka c’est intéressant. Parce que la figure du personnage seul dans sa chambre en train d’écrire des lettres (et jamais occupé à lire un livre, il faut le noter) est une mise en abîme auto-réflexive de lui-même à sa table écrivant dans ses cahiers le fragment que vous lisez. Une porosité s’installe, et on est dans la fiction ; une porte s’ouvre dans le mur et entre son double, une épée se promène au plafond à mesure qu’il se déplace, le voisin de palier entre sans prévenir et le frappe, etc... au moins quatorze occurrences.

Vous trouverez, dans les fiches d’appui, des fragments du Journal de Kafka où il déplie ce thème à la fois discret et prévalent : un personnage seul dans une chambre, et qui se réveille, ou qui attend. Aussi, dans les fiches, la magnifique fugue sur le mot Seul... tissée par Aragon dans son Paysan de Paris.

Alors, à vous de bien choisir le lieu, le personnage, le contexte et la « non-action » (vous verrez, on va dès la #5 s’attaquer précisément au contraire !), et si vous écrivez en deux colonnes parallèles (pourquoi pas) ou par laquelle vous commencez (la douce, je parie ?).

Et n’oubliez pas le petit codicille, ni de donner un titre !

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 juin 2020
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