le double voyage #02 | l’arrivée dans la ville

un cycle consacré à l’imaginaire et au réel dans le récit de voyage


 

le double voyage, #02 | l’arrivée dans la ville


Rappel : l’enjeu de ce cycle, basé sur le récit de voyage, est basé sur le principe d’une double écriture. Chaque participant construit simultanément, complétés à chaque proposition, deux récits de voyage, l’un basé sur une expérience réelle, l’autre basé sur une expérience imaginée.

Et si important de suivre les archétypes présents dans les récits de voyage de notre propre bibliothèque, même si différente pour chacun·e ; cet élément de focale, ou de grossissement, spécifique au tout début de l’aventure, la première arrivée dans une ville.

Le mot ville ici par commodité générique : grande ville, petite ville, village (La mort de monsieur Golouja) ou hameau — à Franz Kafka, qui utilise cette figure de façon récurrente, il suffit d’une route en courbe et d’un pont pour que débute Le château.

Donc un trajet, le premier trajet qui est celui de l’arrivée (à Paris les deux rues parallèles, sous la gare Montparnasse, rue de l’Arrivée et rue du Départ), et on en donnera pour cette proposition trois exemples — merci de les télécharger en pièces jointes depuis votre page abonné·e sur Patreon, lien ci-dessus, il me semble important de passer du temps sur ces trois extraits, avant toute rédaction.

Comme cadre principal, deux pages que je considère essentielles dans Espèces d’espaces de Georges Perec. On est dans la section La ville et Perec la structure en trois parties : 1, ce qu’il nomme « ma ville », 2, ce qu’il nomme « villes étrangères », et 3, ses « exercices pratiques ». C’est cette opposition entre la séquence « ma ville » et les deux pages « villes étrangères » dont je voudrais me saisir pour appui. L’arrivée ? Gare, ou aéroport. Il dit air terminal en le laissant en anglais, on sait l’importance pour Perec de ses souvenirs d’adolescence à Londres (voir ses « chambres retrouvées »). Il cite une « rue du Prince-Adalbert » mais il s’en trouve une de ce nom-là aussi bien à Francfort qu’à Munich qu’à Berlin. Il cite aussi Sarrebrück, Bâle et Edimbourg, mais pas les USA où pourtant il s’est rendu en 1969, nous léguant ce texte impressionnant sur les tout premiers développements embryonnaires de l’ordinateur et ce que cela pourrait bouleverser à la littérature. Ce qui rend unique ces deux pages d’Espèces d’espaces : l’affirmation que le tout premier trajet, l’entrée dans la ville si l’aéroport en est à l’écart, ou la première traversée de la ville en quittant la gare pour se rendre à son hôtel, est une démultiplication des perceptions et des sensations, une révélation de cette nature étrangère de la ville, alors même qu’elle ne s’appuie que sur des éléments qu’on considérera, quelques jours plus tard, comme totalement mineurs, voire banals. Et c’est bien cela qu’on va chercher à inscrire, à la fois en recréant ce trajet depuis les réminiscences d’une expérience réelle, à la fois comme construction d’une arrivée dans une ville fictionnelle.

Réaffirmer aussi (je ne l’ai pas fait dans la vidéo, alors que je le voulais) le caractère fondateur voire archaïque de ces récits d’arrivée : le plus emblématique serait l’arrivée à Venise chez Philippe de Commynes.

Deuxième exemple ou appui : la haute singularité du deuxième livre de Jacques Abeille (décédé il y a exactement un an, à Libourne, le 23 janvier 2022 — pensées), première parution Flammarion 1986, Le veilleur du jour. Un récit où l’ombre de Kafka est fondatrice, où la ville plus ou moins transparente ou revendiquée sous la ville imaginaire magnifiée et dangereuse serait Bordeaux où il vit alors. Mais dont la singularité c’est que le narrateur surgit déjà d’une contrée imaginaire : celle-même du livre précédent, Les jardins statuaires, dont l’importance est inversement proportionnelle aux tristes épisodes de son histoire éditoriale. Surgir d’un territoire imaginaire, construit lui-même à la seule force d’un livre, pour fabriquer l’illusion matérielle et solide, hallucinatoire, d’une autre configuration imaginaire, la ville où s’installe ce veilleur du jour, ce sera, dans le premier chapitre d’ouverture du livre, en suivant le détail des étapes de son arrivée et de son entrée progressive dans la ville. Comme si l’illusion de réel des micro-étapes de cette arrivée qui n’en finit pas devait à la fois fonder et annuler le caractère imaginaire d’où on surgit et d’où on va –– magistral.

Et troisième exemple, retour à un autre classique (du moins pour nous auteurs) : Dire I/II de Danièle Collobert, que les éditions POL tardent incompréhensiblement à rééditer, mais encore trouvable, là aussi destin éditorial qui poursuit ce texte depuis sa première publication chez Change en 1972 après Meurtre chez Gallimard en 1964 (PDF dans les ressources abonné·e·s du site). Une déambulation à deux personnages dans Venise en déshérence, et s’inscrit en superposition la traversée-souvenir d’un village en Bretagne, de la petite gare jusqu’au quai devant la mer, c’est le montage que je vous propose, même si la séparation dans le texte de Collobert n’est pas si formaliste.

Et ce troisième extrait tout aussi important que les deux premiers, parce que c’est à ce texte de Danielle Collobert que je souhaiterais vous voir emprunter la langue, la compacité de syntaxe, la capacité matérielle de présence dans le moindre élément qu’on désigne : Étrange paix ) cette heure, ailleurs celle des grandes villas sur les collines, enfermées dans les cyprès, devant les jardins à terrasses, escaliers-fontaines, ou bien aussi celle des arcades sur les places, silence, où les lions de pierre immobilisent les colonnes pour Venise non nommée, ou Ne va pas tout de suite vers la ville. L’éviter par les routes. Aller vers la mer. Route à vide [...] Ici pour rechercher l’immobile, désir difficile de silence et de mobilité pour le récit en juxtaposition.

Alors à vous d’écrire, et si possible deux récits, deux arrivées : expériences réelles que l’écriture reconstruit, expériences rêvées qu’elle établit de façon aussi solide, ou deux expériences réelles ou deux expériences rêvées : ce dont il s’agit, c’est de rendre implacable l’illusion de réel de ces deux arrivées, puisque de toute façon, récit archétype en tête de toutes les expériences de voyage, on en connaît d’avance la règle, on les reconnaît tels et on en accepte le pacte.

Saurez-vous en retrouver d’autres exemples dans vos propres livres élus ?

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 janvier 2023
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