POINT 2

POINT de salut sans détermination sans travail sans courage sans effort sans réflexion sans tentative sans audace sans répétition sans stratégie sans perspicacité tu crois on te dit tu sais que le prochain POINT est pour toi que tu vas gagner ce POINT peut-être ce jeu éventuellement ce match assurément ce POINT tu fais l’expérience de l’intuition du POINT de bascule du POINT espace-temps d’un monde parallèle loin de la dialectique cerveau gauche cerveau droit loin des théories de la coordination loin et en même temps proche tout proche de toute origine qui n’est qu’hasard POINT d’équilibre entre mystère pour les poètes logique pour les scientifiques mérite pour les croyants et autre parieurs il est un POINT étrange où tu-ne-sais-par-quel-miracle et pourtant tu sais ou peut-être tu sens mais sentir n’est pas assez fort pour parler de cette échelle de la certitude tu sais donc tu sens-sait que tu vas inscrire un POINT un POINT gagnant tu en as la vision c’est ancré en toi c’est écrit pour toi c’est encré par toi dans chaque pas sur la terre ocre tu sais que les milliers de tentatives réussies que les centaines de sauts de balles que les quelques superbes POINTS placés que les repères des lignes si familiers que les dizaines de suées vécues à l’entraînement ne peuvent que payer que c’est le moment idoine qu’il n’y a pas l’ombre d’un doute c’est une évidence partagée entre toi et la ligne à quelques millimètres de ta semelle de tennis blanche sur la terre ocre la ligne trop blanche et trop naïve pour ignorer tes heures d’entraînement tes gestes répétés mécaniquement pour parfaire le frottement l’effet la puissance le lancer le placement le lift avec le rebond haut le slice avec le décalage gagnant qui sort l’adversaire du court tant et si bien qu’il devient hors-jeu dès le début du POINT ce POINT c’est l’intuition qui nimbe la réalité de certitudes elle qui n’était pas si assurée souvent contestée l’intuition du POINT gagné est une balle au cœur qui touche sans rebond sans prévenir sans adversaire sans prétention c’est une zone de non droit défendue par on-ne-sait-qui chance hasard avant le début du POINT engagé c’est un espace-temps qui s’impose qui oblige qui vibre et le juge arbitre du haut de sa chaise a beau attendre que l’adversaire se replace tout est parfait à ce moment-là tu baignes en confiance tout baigne les lignes du carré blanc la hauteur du filet la voix du juge-arbitre le placement de l’adversaire deux bons mètres derrière le carré de service il ne manque rien pour sortir ton coup favori et marquer le POINT qui fera de toi un adversaire méritant combattif – forcené ? tu te prépares méticuleusement à servir la balle fait un rebond sur le sol tu lui dis combien elle ne doit pas te décevoir cette fois-ci tu marques un temps d’arrêt avant de lancer le POINT tu lèves les yeux vers l’adversaire tâche blanche quadrillée comme dans un mauvais film où le snipper s’apprête à tirer un rebond avant de servir tu entérines la stratégie tu fléchis les genoux comme pour t’ancrer un peu plus profondément sur cette terre battue tu es Neil Amstrong monté sur ressorts tu joues déjà le POINT le coup d’œil à l’arbitre trop serré dans son polo blanc le regard figé sur la balle tu la lances tu te redresses tu offres aux trois pékins du public venus pour la finale du tournoi une réminiscence des heures de gloire de la sculpture académique en Grèce antique muscles saillants veines gonflées bras tendus fessiers rebondis corps superbement équilibré visage déterminé mâchoires serrées dans la course au POINT que tu t’arrêtes net façon athlète sculpté après le retour out de l’adversaire battu qui s’est fait parangon du perdant tête basse petits pas lents de replacement mots marmonnés pour soi-même et autres insultes proférées à l’encontre du vent qui a dû tourner comme la chance un POINT l’annonce indélébile du juge arbitre te fait serrer le poing 15-0 Tu orientes tes choix tu imagines une stratégie nouvelle après un premier set à l’arrachée perdu au tie-break jeu décisif tout est relatif au prochain POINT tu tentes le tout pour le tout tu veux jouer ton jeu enfin ou celui qu’on t’a assigné conseillé attribué étant donné ta taille et ton bras ils ont dit c’est qui qui décide ils ont dit c’est notre métier ils ont dit fais nous confiance POINT tu ne sais plus comment tout cela a commencé exactement si tu as aimé ton premier service-volée ils ont dit tu es un bon volleyeur ils ont dit tu as des aptitudes ils ont dit il y a quelque chose ils n’ont rien dit surtout le plus souvent ils n’ont rien dit ou bien ils ont seulement dit fais nous confiance POINT il n’est pas impossible que tu te sois dit que tu ressemblais à un tennisman professionnel que tu avais ce jeu de serveur-volleyeur bâtard croisé entre un Rodick et un Djokovitch spectaculaire et élégant à force de vouloir entrer dans des cases rectangulaires des normes et des lois qu’ont-ils fait de toi tu décides de retenter le même coup service-volé en changeant de trajectoire les statistiques te donnent raison tous les cinq services un service sur l’axe central est gagnant et déstabilise l’adversaire tu sers c’est encore un ace POINT 30-0 annonce l’arbitre impassible blanc comme sa chaise le niveau de confiance sur le service est au beau fixe comme les actions Airbus de Mamie qui boursicote en voilà une bonne rien n’est impossible impossible n’est POINT toi tu n’oserais pas retenter trois fois de suite la même stratégie tu jettes un coup d’œil au placement adverse rien de clair pas de volonté flagrante d’avancer dans le court de prendre la balle tôt tu l’interprètes comme un aveu de faiblesse qui te donne un certain poids une sorte d’avantage psychologique c’est ce que tu te racontes ni plus ni POINT c’est le moment d’en profiter et de marquer chaque POINT l’un après l’autre sans penser au suivant seulement penser à chaque geste à chaque placement à chaque petit pas qui ouvre un angle improbable à chaque fois tu choisis un court croisé pour cette balle de jeu le démarrage adverse te laisse croire qu’il remettra la balle à bout de bras en décroisé tu anticipes tu te souviens t’être dit avant de servir que si tu gagnais ce point tu gagnerais le match encore un de ces petits calculs dont tu as le secret au-delà du POINT l’enjeu est primordial donc il revient à valider la toute-puissance de l’intuition des énergies et les théories de la physique quantique il faudrait l’expliquer au Padre sceptique venu pour l’occasion il faudrait lui dire que si l’on observe intensément des électrons sans les toucher ils se comportent différemment que si on ne les regarde pas au POINT où il en est il n’est POINT sûr que le Padre comprenne comme il a commencé à pleuvoir il essaie depuis deux minutes d’ouvrir son parapluie c’est long deux minutes pour ouvrir un parapluie tu es à dix mètres de lui et pourtant tu ne le vois pas tu ne peux pas le voir tu vis dans un autre monde le monde des POINTS le monde de la confiance absolue l’intuition de la victoire la certitude de la réussite le Padre s’acharne sur le bouton du parapluie il n’a pas vu passer 40-15 encore un mauvais POINT il ne voit pas ton service pour le jeu remis in extremis au milieu du court par l’adversaire il ne voit pas ton décalage sur le coup droit la balle frappée à hauteur d’épaule il ne voit pas l’adversaire faire l’essuie-glace derrière sa ligne de fond de court il a profité d’un POINT un peu plus long pour se concentrer sur ses verres de lunettes où ruissellent à présent des gouttes de pluie qui dessinent sur ses verres rectangles des trajectoires improbables tu gagnes deux jeux break d’entrée tu t’es définitivement relancé dans le match tu as compris que tu étais seul à y croire le Padre réfugié quelque part quand le juge arbitre interrompt le match à cause de la pluie au moment où tu disparais dans les vestiaires le Padre ressort sec dans les gradins trempés tu aimerais voir un signe POINT de signe tu aimerais voir un sourire POINT de sourire tu aimerais mais le billet de train n’est ni échangeable ni remboursable POINT il n’y a POINT d’issues le fils finira seul le premier tour de son premier tournoi international le Padre part il travaille demain normal comme tout le monde comme tous les Padre comme tous les Padre sauf pour les Padre d’ici qui ne travaillent pas mais qui ont des rendez-vous le Padre ne dit pas la déception contenue il ne sait pas dire la sourde résignation de celui qui porte au cœur le poids de l’éternelle blessure dont on ne sait POINT d’où elle vient qui l’a causée s’il pleuvait ce jour-là le Padre ne dit POINT il part le fils entre et dans la séparation de ces deux-là se tend un filet sans sécurité un lien sans attache une corde sans nœud ils n’ont POINT parlé ils ont senti derrière leurs talons tournés les fils invisibles qui relient POINT à POINT leurs envies leurs espoirs leurs luttes leurs ambitions POINT de regard il est de cœur et dans le train le Padre collé contre la porte des toilettes loquée courbé sur le téléphone à clapet recommence pour la sixième fois la saisie du début du message où est le POINT sur ce fichu téléphone il essaie en vain trop tard il est passé de l’autre côté du côté des chiffres après avoir appuyé sur la touche en bas à gauche comment revenir du côté des lettres il ne sait pas il ne sait POINT il va falloir parler chiffres que dire au fils avec des chiffres trouver quelque chose à dire plutôt que rien plutôt que POINT un message à décoder 6 1 x 7 / 6 = 0 2- 7 / 6 = 1 POINT il relit l’air satisfait son message est clair il a entourloupé le téléphone il a réussi son coup si une fois 7/6 égal zéro deux moins 7/6 égale un POINT la traduction nécessaire délivre un sens le sien si tu perds une fois au tie break cela ne veut pas dire que tu perdras demain au tie-break il ne voit pas mieux à dire dans ces circonstances POINT ils avaient dit que tout était intuitif il avaient dit facile ils avaient dit simple ce n’est ni intuitif ni facile ni simple pour le Padre il ne savait plus comment revenir en arrière et quelles manipulations il avait faites pour faire apparaître un premier POINT putain de POINT il veut envoyer le message mais la porte des WC de l’intercité s’ouvre en même temps que la chasse d’eau se déclenche le Padre ne sait plus s’il veut prendre son tour aux toilettes ou céder sa place pour finir d’envoyer son message il finit par entrer par s’asseoir sur la cuvette à présent il joue avec ses lunettes devant son écran certain que l’optique y est pour quelque chose il refait les mêmes tentatives efface le message sans le vouloir la jolie ligne de chiffres codés s’efface il est hors de lui hors d’usage hors du commun au POINT qu’il décide d’éteindre son téléphone l’écran noir égalité des scores téléphone 1 Padre 1 de toute façon il n’a pas besoin du téléphone

A propos de Anna Miro

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