#nouvelles Danièle Godard-Livet #05 de la bibliothèque municipale comme enjeu politique

Je n’imaginais pas que mon inscription comme bénévole à la bibliothèque de mon village me conduirait à m’opposer frontalement à l’autorité publique territoriale (comme ils disent). Il faut que je vous raconte.

Bénévole, collaborateur occasionnel du service public
J’aime lire, je lis beaucoup et je fréquente depuis toujours la bibliothèque de mon village, depuis le temps même où elle dépendait d’une association et de ses bénévoles. Disons qu’à l’époque, j’y allais autant pour soutenir le moral des bénévoles que pour y emprunter des livres.
La bibliothèque du lycée avait toujours été le refuge de mes années d’internat, mais c’était loin et presque oublié. J’en gardais le souvenir d’un lieu désuet et contraint qui me dispensait des heures d’étude, mais fermait tôt. Jamais la bibliothèque n’a été pour moi un lieu d’accès à la culture : il y avait des livres chez moi, mes parents en achetaient et en lisaient, j’en achetais et j’en lisais, pas que des livres d’ailleurs des journaux, des magazines, on en parlait, on s’en lisait des passages. C’est peut-être pour cela que j’ai mis longtemps à comprendre.
La bibliothèque associative de mon village devenue service municipal dans de nouveaux locaux agréables et centraux, dirigée par une bibliothécaire professionnelle, a renouvelé ses collections, organisé un comité d’acquéreurs, créé un réseau intercommunal, participé à des prix littéraires, organisé des animations culturelles et bien d’autres choses encore, des conférences, des expositions, des ateliers. Je retrouvais un peu l’ambiance de ma librairie de cœur : Jonas la librairie parisienne, belle et rebelle depuis 1957. Le livre, la culture, les gens qui aiment les livres, le calme, les auteurs invités, l’élaboration du journal de quartier… et un lieu presque toujours ouvert où on peut passer, flâner, feuilleter, boire un café…
Il faut dire que j’habite un village sans librairie et presque sans café. Quand on arrive de Paris (et sans doute de n’importe quelle ville un peu importante), ça manque terriblement ces lieux. Il y a bien le tabac-presse qui fait bureau de poste aussi ; rien pour s’assoir, juste le défilé constant des joueurs et des fumeurs ! Je sais, j’y ai organisé la dédicace d’un de mes livres et je me suis sentie aussi étrangère que si je l’avais fait dans une boulangerie assise à côté des mangeurs de baguettes et de flutes, pains campagnards et pains spéciaux.
Une bibliothèque de village si agréable soit-elle ne peut concurrencer ces havres de paix et de culture que sont les médiathèques des grandes villes. Je garde le souvenir ébloui des bibliothèques de quartier de Montréal, studieuses, silencieuses, simples et joyeuses. Ouvertes si tard aussi. C’est peut-être pour cela qu’on n’en parle jamais de ces modestes bibliothèques rurales qui gardent encore parfois l’image dépassée de l’annexe de la cure ou du patronage.

Mes premières expériences de bénévole ont été une vraie découverte. Passée derrière le comptoir d’accueil avec la douchette en main, je voyais défiler tout le village (hommes et femmes) et tous ces enfants chargés de kilos de mangas ou de BD. Jamais, je n’aurais imaginé que tant de gens lisaient. Les parents et leurs enfants qui s’arrêtaient un moment sur les coussins pour lire, les copains qui se donnaient des conseils, ceux qui en demandaient. Un bonheur, ce lieu où règne l’ambiance si particulière des lieux consacrés à l’écrit, faite de silence, de prévenance, de respect mutuel, de lenteur, de sourires discrets, de bavardages bienveillants en sourdine. Des îles paradisiaques qui ne ressemblent à rien d’autre. Je découvrais des personnes qui ne lisaient pas les mêmes choses que moi. Les avis divergents sur un livre ne manquaient pas. On sympathisait quand même avec le sentiment de faire vivre un espace précieux de partage bienveillant.

Quand ça commence à mal tourner
Tout a commencé à mal tourner le jour où le responsable m’a proposé de « papoter culture ». Il s’agissait de me confier l’animation de la rencontre avec une autrice nominée pour un prix littéraire. J’ai accepté avec enthousiasme. J’ai tout lu d’elle, fait des recherches, élaboré des questions. Son livre était très bon, c’était une personnalité riche et attachante qui avait beaucoup voyagé et écrivait tout en restant consultante internationale en développement. J’imaginais que nous lui ferions un accueil chaleureux, qu’elle signerait beaucoup de livres, que la libraire partenaire serait satisfaite. Une fête du livre dans mon village ! Le responsable qui papotait culture n’avait plus d’argent ni pour la communication, ni pour un pot d’accueil sympathique. J’ai invité le correspondant local du Progrès. Mais la communication est aux mains de la mairie (charte graphique et visa du premier adjoint pour accès aux panneaux d’affichage et aux réseaux), donc pas de communication, trop tard.
Tout se passerait bien m’a dit le papoteur qui trouvait que je m’inquiétais trop, je prenais les choses trop à cœur. Tout ne s’est pas si bien passé que ça ! L’adjointe à la culture du village n’est même pas venue, personne du village ou presque (comment auraient-ils su ?), l’autrice était trop fatiguée (ou trop déçue) pour diner avec les organisateurs. À peine trente personnes présentes dans une trop grande salle des fêtes inhospitalière et mal chauffée (vous voyez comment c’est, si vous connaissez un peu « les territoires »). La fête a tourné au mini désastre. Le lendemain, le journal Le Monde consacrait une page entière à l’autrice qui a eu depuis de nombreux prix… et ne se souvient sans doute pas de notre accueil raté. Moi je le ressens toujours comme une insulte à une autrice, à la littérature, aux lecteurs, aux libraires, à la culture, à la bibliothèque de mon village.

De plus en plus mal
Et puis, il y a eu la charte du bénévole en bibliothèque ! Elle avait été votée en septembre par le conseil municipal ; bizarrement, il devenait urgent de la signer avant fin avril alors qu’elle n’avait jamais été adressée à personne. Alors on a fait un groupe de travail bibliothèque ; ou alors c’est le contraire, il y a d’abord eu le groupe de travail, puis après la signature de la charte. Première réunion solennelle du groupe de travail avec élus, bénévoles et acteurs du territoire ; deuxième réunion, plus rien ! La minuscule brèche refermée ! La guerre était déclarée !
L’ambiance avait changé. Le vent soufflait fort, les acteurs étaient tendus, plus personne n’est venu. Personne n’aime la tempête surtout quand elle balaie la salle de lecture. On sentait qu’on touchait un interdit, sans bien savoir lequel, quelque chose d’important. Le budget ? La gouvernance ? Le pouvoir ?
On a mieux compris face aux mots employés : atteinte au devoir de réserve, à la neutralité du service public, à la discrétion, non-professionnalisme, incompétence ; puis la menace, la sanction (l’interdiction d’accompagner un groupe de préadolescents pour une animation).
Plus personne ne se parlait, les uns se méfiaient des autres, les autres évitaient les uns. Le temps lourd de la défiance, de la méfiance, de la peur. Tout ça pour le fonctionnement d’une bibliothèque municipale et un si petit budget (à peine plus important que celui alloué au comité des fêtes !).

Mais parfois on met très longtemps à comprendre ce à quoi on tient et les valeurs qu’on veut défendre
Je ne m’étais jamais vraiment intéressée au fonctionnement des bibliothèques et mes premières plongées dans ce monde des bibliothécaires (et dans leurs textes) m’ont un peu refroidie. Pourquoi une défense tellement soucieuse de leur professionnalisme, un code de déontologie, une association, un conseil supérieur des bibliothèques (disparu), une loi spécifique relative « aux bibliothèques et au développement de la lecture publique » ? Les bibliothécaires seraient-ils simplement des corporatistes soucieux de leur pré carré ?
Il m’a fallu du temps pour comprendre que les bibliothécaires sont en prise directe avec le politique, que les bibliothécaires défendent notre budget lecture, notre liberté de lecture, mais surtout ces lieux de proximité sociale qui ne fonctionneraient pas sans eux. Rien de moins que notre liberté, aidée par 70 000 bénévoles en bibliothèque territoriale qui assurent le quart du temps de travail nécessaire au fonctionnement des bibliothèques.
Plus je lisais et relisais la charte du bénévole en bibliothèque qui m’était proposée, plus je savais qu’il me serait impossible de la signer. Tout me déplaisait : le style confus et parfois redondant (le même alinéa était mentionné deux fois dans deux articles différents « le bénévole en bibliothèque offre son engagement sans contrepartie en rémunération »), la description des tâches à accomplir et du fonctionnement de l’encadrement qui ne correspondaient en rien à la réalité, les ajouts libres à un texte voté en conseil municipal (!), le ton punitif et menaçant d’un encadrement pourtant dépourvu de lien de subordination et de sanction possible pour un texte censé reconnaître un don gratuit à la collectivié, l’inutilité globale de ce texte qui mettait un terme à 7 ans de bénévolat sans charte. Il était même question de certification ! Après la signature de la charte, faudrait-il se soumettre à un examen ?
Pourtant, je n’avais pas encore remarqué le plus choquant ! Je n’avais pas remarqué que la bibliothèque municipale était dénommée « service de lecture publique » et ce terme m’insupportait. Bien sûr qu’on lit en bibliothèque et grâce à l’argent public, mais c’est bien plus que ça : un tiers lieu, une pratique sociale, le lieu citoyen par exellence.

« Enfermer la bibliothèque dans la “lecture publique”, c’est réduire les citoyens à des lecteurs, les individus à la lecture. Bien sûr que les usager·ère·s recourent à la lecture quand ils viennent à la bibliothèque ne serait-ce que pour lire un dépliant, un journal, une affiche ou même des notes de cours, mais leur visite ne se réduit pas à cette pratique. Ils entrent dans des mondes, ils prennent part à la vie collective, ils rencontrent des homologues ou des “grincheux”, ils se reposent ou se fatiguent, ils marchent ou s’installent dans une “niche”, vont aux toilettes, bavardent avec le personnel, se réchauffent, attendent, etc ». Un lieu de pratique douce, un lieu libéré de l’injonction de consommation. Un lieu de liberté.

C’était cela que je voulais défendre et pas seulement un guichet de prêt et de retour pour faciliter la lecture publique. J’ai décidé de me battre pour la bibliothèque de mon village et je sais désormais que le combat sera rude. La bibliothèque est un lieu plus politique que je le croyais.
Pour autant, devais-je ou non signer la charte du bénévole en bibliothèque ? La question se posait toujours et je n’avais plus beaucoup de temps pour y réfléchir s’il s’agissait de respecter l’injonction de fin avril ou risquer l’exclusion.

A propos de Danièle Godard-Livet

Raconteuse d'histoires et faiseuse d'images, j'aime écrire et aider les autres à mettre en mots leurs projets (photographique, généalogique ou scientifique...et que sais-je encore). J'ai publié quelques livres (avec ou sans photo) en vente sur amazon ou sur demande à l'auteur. Je tiens un blog intermittent sur www.lesmotsjustes.org et j'ai même une chaîne YouTube où je poste qq réalisations débutantes. Voir son site les mots justes .

8 commentaires à propos de “#nouvelles Danièle Godard-Livet #05 de la bibliothèque municipale comme enjeu politique”

  1. ne signe pas, que personne ne signe ce torchon et battez-vous – unissez-vous – associez-vous – il doit y avoir des recours – cherchez continuez (d’autres sont passé par là, certainement) – et vous gagnerez (sans reconnaissance, sans doute, de la « culture » et de la »municipalité » mais vous gagnerez) – (c’est plus facile à dire qu’à faire) (sur ce je m’en vais en vacances – mais) ne signez pas !

  2. « Je ne m’étais jamais vraiment intéressée au fonctionnement des bibliothèques et mes premières plongées dans ce monde des bibliothécaires (et dans leurs textes) m’ont un peu refroidie. Pourquoi une défense tellement soucieuse de leur professionnalisme, un code de déontologie, une association, un conseil supérieur des bibliothèques (disparu), une loi spécifique relative « aux bibliothèques et au développement de la lecture publique » ? Les bibliothécaires seraient-ils simplement des corporatistes soucieux de leur pré carré ? » Avec un peu plus de désinvolture , j’ai été moi-même confrontée à cette rencontre un peu délicate entre l’institution et le bénévolat qui a besoin d’être légitimé par une carence de budget justement, et qui est devenu tellement indispensable à la vie sociale dans les grandes villes comme dans les villages, sans le tissu associatif la vie culturelle et l’entraide sociale, la convivialité et la solidarité s’effondreraient. Les politique l’ont compris depuis longtemps et lorsqu’ils ne flattent pas, ils instrumentalisent les « bonnes volontés » et leur rappelle par des réglements et des chartes que l’accès aux livres ( dans ce cas) est méritoire. Le même phénomène existe dans les locaux de l’éducation nationale de plus en plus « sanctuarisé ». Il faut être adoubé.e et montrer patte blanche. Don de présence, don de temps et de disponibilité, don d’expérience et de compétences,gratos… Ta suprise du constat est légitime. Ce n’est pas vraiment une question de signature d’un document symbolique et discriminatoire envers les non salarié.e.s du dispositif, c’est une prise de guerre qui ignore son nom et ses conséquences. C’est la question humaine qui est au centre de cette rigidification des contraintes.Il est demandé de prendre parti ou non pour la gouvernance en place. Il est exigé de reconnaître officiellement l’allégeance et la dépendance pour encadrer les initiatives. L’exemple de l’invitation d’auteur.e est vraiment humiliante, rien n’est fait dans les régles justement , « gérer c’est prévoir » nous disent les manuels de management, et là ça foire lamentablement pour des raisons administratives et de paresse intellectuelle des partenaires. Il y a beaucoup à dire encore chère Danielle, mais il faut en laisser pour les autres. Merci pour ce témoignage non belliqueux mais lucide.

  3. Merci beaucoup pour ce témoignage et cet hymne précieux aux bibliothèques, lieux qui m’émerveillent, espèces d’utopies réalisées auxquelles on est tellement habitués qu’on ne se rend pas compte de l’extraordinaire qu’elles nous offre ‘Ah! la ville révée dans la ville qu’est la médiathèque Cabanis à Toulouse! Lieu de gratuité, d’accueil inconditionné, de confiance, de côtoiement de tous…)
    Merci pour ton combat!

  4. rageant surtout pour une qui sait l’importance, qui a goutté après les plaisirs des grandes médiathèques à l’ambiance de cette bibliothèque en trouvant dans sa chaleur humaine une consolation à ce presque exil, qui s’es tant investie pour une visite d’un auteur (ou plutôt une autrice) et qui découvre que l’importance des livres a un revers la politique

    • Merci Brigitte. Ce n’est sans doute pas une nouvelle, mais au moins cela m’a permis de mettre mes idées au clair. Ils ne brulent pas les livres (pas encore), ils les cantonnent dans l’univers de l’enfance, un plaisir enfantin avant que l’on puisse goûter aux plaisirs adultes autour de la buvette et du bal folk.

      Quand j’ai vu la maire depuis elle m’a dit qu’elle avait confié les animations de la bibliothèque au responsable des animations du centre aéré !!!! Heureusement, il a démissionné.

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