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2015.02.12 | de prêter son téléphone

une autre date au hasard :
2009.03.06 | à quoi tu penses ?

L’immersion complète deux jours successifs parmi deux cents étudiants, même si chacun d’entre nous doit en connaître le tiers, ne se limite pas à la frontière du scolaire, c’est le paradoxe des écoles d’art, et les destins individuels, quand on a 20 ans aujourd’hui, ne participent pas forcément du cliché autrefois usé de jeunesse dorée, on en a souvent plutôt lourd sur la patate à digérer, dans les doutes, bifurcations, creusements, avancées, et c’est ce qui en crée aussi le sens. Alors se retrouver vers 18h20 sur le quai de RER pour affronter le transit vers le train de 19h44, et voir s’afficher que les trains sont supprimés jusqu’à 18h37, se blinder pour les 17 minutes, ce n’est rien sauf qu’on est encore transpirant de l’atelier et que c’est pas l’idéal comme refroidissement. Dans la commutation métro à Étoile vers 19h20 compter l’écoulement des stations, monter dans le train voie 1 à 19h41 juste à temps, le train est bondé donc se replier voiture 16 place 64 sur la place réservée. Apprendre à 19h46 qu’un TER est bloqué pour raison et durée inconnues à Massy et que le départ est suspendu. Puis que TER a été débloqué mais que la signalisation n’a pas été réactualisée, on partira finalement à 20h15. Pas très grave une demi-heure de délai non plus. À côté de moi un jeune type en partance pour Poitiers a pris un énorme sac Quick, il mange un hamburger, puis un deuxième, puis des frites. Il lui faut 20 minutes, à midi j’ai pris un sandwich jambon cornichons à la boulangerie de Cergy c’est pas très goûteux, surtout qu’il s’étale des coudes et des frites. Je surveille l’appli SNCF Direct. Le type à côté est très enrhumé, d’ailleurs une fois parti il ronflera la bouche ouverte. Il me demande en grande simplicité : « Vous pouvez me prêtez votre téléphone pour un appel rapide ? Le mien est en panne. » Qu’il soit très enrhumé plus les mains pleines de graillon Quick ne me réjouit pas pour mon iPhone, mais solidarité oblige. En fait, à peine commence-t-il à parler, et justifier auprès de sa maman ou de sa bonne amie (une voix de femme répond à ses : « Ah non c’est le bordel ici ») que ce n’est pas son numéro qui s’est affiché, qu’il ne sait pas rompre la conversation et ça dure, sans que ça le culpabilise outre-mesure. Puis deuxième version : « Non, mon téléphone n’a plus de batterie » leur dit-il, ce qui n’est pas exactement ce qu’il m’avait dit. Je récupère l’iPhone, il termine son gobelet géant de boisson Quick non identifiée. La SNCF nous informe que le départ prévu sera avec retard de 25 minutes, on s’installe dans l’attente et là, le type à côté il sort carrément un beau Samsung à l’écran brillant et pendant plus de 10 minutes joue à un jeu niais comme les Candy Crush Machin. Me forçant de penser que c’est comme ça dans sa tête limitée (par la gastronomie Quick), il ne se souvient même plus du prétexte qu’il m’a donné pour passer son coup de fil depuis mon téléphone au lieu du sien, et moi je n’ose même plus approcher du mien avec son rhume et ses doigts graillon. Rien de plus, c’est juste que je me dis que la diversité humaine est grande et que je n’aurais pas fait ça comme lui il fait, ni mes étudiants de là-bas, et quand je suis descendu à Saint-Pierre des Corps, avec les annonces de la SNCF affrétant des taxis pour les voyageurs en rade vers Saumur, Montlouis, Port-Boulet, je lui ai dit au revoir il n’a même pas daigné répondre. Je tousse beaucoup ce matin. Photos ci-dessus : Cergy, parc, canal.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 février 2015
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