interroger l’écrit depuis la mutation numérique de l’image

conférence au NT2 Montréal, 26 mai


• attention : nouvelle version actualisée de ce support d’impro, Aadhus, 18 avril 2017.

• ce mardi 25 octobre, 12h précises, université de Lancaster – merci Erika Fülöp – je reprends cette présentation, où il s’agit de parler de nouvelles formes d’écriture qui naissent des usages web ;


Montréal, 6 juin 2009, une visite surprise au NT2 : mais comment et pourquoi j’ai pu mettre autant de temps à comprendre l’intérêt de YouTube comme outil quotidien ?

 

Ce jeudi 26 mai, au NT2 de Montréal, je pars en impro 1 heure en projetant soit l’intérieur de mon ordi, soit des liens préparés.

Le titre : Le web est une histoire : sous le flux, les questions.

Le pitch : Au privilège de l’ancienneté, exploration avec François Bon, pour fêter ses 20 ans de connexion Internet, d’un certain nombre de sites, blogs et plateformes photographie, vidéo, narration ou combinaisons des trois, retour sur l’évolution de ces sites et tentatives, plus quelques incursions dans son propre ordinateur et outils pour dégager empiriquement, au gré de cette balade, un certain nombre de questions directement adressées à l’univers de la littérature sur web.

Il est 7h30 du matin (heure Montréal) : ce billet sera projeté à l’ouverture de la conf, à 13h30, et servira de guide interactif, sur projo ou depuis les machines individuelles des présents.

Ce ne sont pas plus que des notes d’impro, chaque site ouvert génèrera quelques accès supplémentaires par diffraction. S’il y a un live, je mettrai le lien ici un peu avant.

Si j’ai le bonheur d’être réinvité pour une conférence de ce type, les liens seront évidemment chaque fois remodelés et complétés.

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Entrer à la New York Public Library.

Se souvenir de la rareté des images à l’époque de celles-ci. Se souvenir des vieux livres feuilletés chez les bouquinistes. Se souvenir des cartes postales chez les brocanteurs.

Voici, avec tous les moteurs de recherche possible (nommés filtres) plus de 30 000 photographies de New York, un outil fabuleux pour le traducteur de Lovecraft que je suis.

De même que nous avons accès à tous les livres de toutes les bibliothèques, nous avons progressivement accès à la mémoire globale des images.

Qu’est-ce que cela change à notre relation au monde ?

Mais si on cherche plus en profondeur – ici le Brooklyn Bridge – est-ce de la documentation, ou comment on échappe à la documentation par le geste même de photographier ?

Rapport au statut de la bibliothèque sur la table de travail numérique de l’auteur. La constitution numérique de la bibliothèque est aussi construction neuve rétrospective d’une documentation du réel.

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Comment qualifier alors celui qui permet d’échapper à la collection brute, massive, et de lui redonner signification, d’en faire une question ? Eric Tabuchi est photographe, plasticien, mais sur sa page Facebook il ne présente pas ses propres photographies, plutôt des curiosités, des thèmes, des albums – et même mieux : un répertoire d’albums.

Est-ce que dans le domaine du livre et de l’écrit, passer ainsi du big data (les données brutes dans leur profusion, à traiter dans leur masse), aux smart data (éditorialisation d’une part de ces données pour entrer en interaction avec elles), concerne le domaine de l’écrit, en quoi cette éditorialisation est une des tâches que nous pratiquons en permanence, susceptible d’interférer ou remplacer le domaine de la critique littéraire, produisant un même type d’intermédiation ?

Voici ses stations-service, voici des immeubles du brutalisme : en 5 ou 6 ans, à une dizaine de photos par jour, ça fait combien ?

3

Peut-on alors être encore photographe, et photographe dans le contexte du web ? Voici Mériol Lehmann, suisse vivant à Québec. Sur son site, avec sa propre URL, la vitrine officielle, expos, séries>.

Mais qu’on le rejoigne sur son Tumblr, tout devient chronologique : ses voyages, ses prises de vue.

Et qu’on le cherche sur FlickR, c’est l’ensemble de l’atelier qu’on a à disposition. Presque un lieu privé, qui n’est pas indiqué sur son site et blog, même si on y accède librement si c’est lui qu’on cherche.

La mutation numérique de l’image s’est amorcée 10 ans avant le réel décollage de la mutation numérique de l’écrit. Elle a reconfiguré aussi le statut de photographe professionnel.

En quoi cela nous permet de définir une stratification de nos propres déploiements d’écriture, du carnet de notes terrain à la diffusion blog et au statut du livre commercialisé.

4

Et quand l’image fixe s’émancipe par le web d’une présentation non dynamique : depuis une vingtaine d’années, Philippe De Jonckheere a probablement fait une photo toutes les 20 minutes.

Tout son site est un monde de scripts, à la fois pour qu’on s’y perde, à la fois pour les photographies trouvent leur propre langage.

Qu’on vienne deux fois de suite sur son journal La Vie (et ses avalanches), jamais on n’aura les mêmes images. Voir son flux transmedia Ursula, comme éventuel compte rendu d’action collective : Formes d’une guerre : ré-éditorialisation d’une forme scénique comme nouvelle scène partageable sans l’enclore ni la « représenter » ?

Le script (code, ici toujours proposé librement dans son Wiki pour réemploi) comme fondateur en lui-même d’un langage, et langage qui prend une part de sa nouveauté de son rapport à la profusion, à l’éditorialisation de contenu massif – quelle incidence là encore pour nos postures d’écriture ?

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Et si notre univers photographique à chacun ne serait plus alors la totalité de photographes reconnus par leurs pairs, mais ce qu’on se construit soi-même par affinité : ainsi « knowaphotographer », pseudo de Noah Scialom à Baltimore. Une sorte de marche urbaine permanente. La photo de rue confiée à l’arbitraire.

Mais nous sommes 15 000 à le suivre, et il a un mur à lui dans le Musée des arts imaginaires de sa ville. Mais si quelqu’un vient mourir devant votre propre maison, est-ce le même protocole ?

Suivre sur Instagram ou suivre sur Facebook : de l’intimité dans les réseaux, et du journal web comme signe esthétique.

Une typologie à construire de nos usages Instagram : l’irruption de démarches artistiques en tant que telles (Subjectively Objective), d’explorations urbaines devenant par là-même affirmation esthétique (City Fall). Ou la typologie intérieure à un compte : M.-E. L.. Auteurs en Instagram : Seb Rongier.

6

La reconstruction du réel par les outils neufs spécifiques au web, ouvrant nouveaux enjeux de narration en tant que tels, et non pas le monde nain du « livre augmenté » : le Dreamlands Virtual Tour (intérieurs boîtes de nuit Leeds) d’Olivier Hodasava.

Revenir ainsi à Cleveland et de suite être confronté à ces lieux de l’horreur et de remonter le temps en synchronie même avec l’horreur dissimulée.

Et bien comprendre que si son livre n’est pas une éditorialisation du blog, mais qu’il en tire son territoire de fable, là est l’indice.

7

Voici un de mes blogs fétiche : la Grange. Lieux secrets du web, lieux sans adresse, étanche aux robots, la photographie ncomme la lecture et le temps du carnet un lieu de méditation, d’inscription de son rituel même. (Mais comment retrouver l’Instagram où on voit Karl ?)

8

J’aimerais vous proposer, indiscrètement, un court voyage dans l’intérieur de mon ordinateur même, en passant d’abord par les bases de données qui y sont hébergées (Ulysses & NotationalVelocity, Outlook, catalogue Unix), les bases de données ensuite gérées à distance depuis l’ordi (Lightroom, Coda et le site, Dropbox), enfin les outils classiques d’éditorialisation (Word, InDesign, FinalCut). Tout cela, icônes comprises, une préhistoire ? Ou bien : de quel ordi je rêve ?

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Hors parcours : la vidéo comme suite d’images fixes, la contrainte du Un mot par jour de Laura Vazquez, et le poème que cela recompose.

En quoi la typologie YouTube déplace le champ littéraire comme (Blanchot) « le langage mis en réflexion » : Weinzaepflen & Pireyre, Noémi Lefebvre / studio Doitsu, Claude Enuset ou Spyros, Lysandre Nadeau – statut essentiel de la parole improvisée dans la littérature, la littérature aussi comme histoire de ses socialités (pas seulement Mallarmé, mais Kafka et Beckett).

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Des sites de littérature en invention : Joachim Séné, fabricant de sites pour écrivains (Jeanney, Grossi, Kaplan...) – retour sur Yan St Onge présentant Lectures en champs de mines. Ses nuits à la demande.

Problématiques annexes : le risque de l’enfermement dans un spip figé, le message qui a du mal à passer d’être maître de ses données (Portier oui, Liron et Claro non).

Aperçus : Bourrion/Drupal, Maïsetti/spip, Delabranche/spip, TheOneShotMi/WP (et si l’écriture naît depuis l’intervention plastique nativement transmedia, est-ce qu’on est dans site d’auteur ou pas ? – les cloisons ont la vie dure).

Hommage spécial Liminaire/spip, le site comme atelier : sourire sur les photographies, l’atelier d’écriture comme répertoire de ses propres modes d’incursion virtuelle, et pourquoi il m’a fait rompre avec Wikipedia. Sa propre typologie Instagram.

11 (corollaires au précédent)

Et si un site devenu monde ne présente sans exception que du texte : L’Autofictif fameux de Chevillard. Il n’y a pas d’obligation à l’image pour construire un miroir du monde. L’effacement à mesure de l’édition des livres, un contresens majeur ?

Mémorisation des chemins d’accès : je n’ai plus d’onglet Netvibes (enfin si, mémoire ordi meilleure que la mienne), je ne me sers pas de Zotero ni d’autres compilateurs, mon fil Twitter comme mémo de liens : je ne regarde jamais mes propres archives, le moteur de recherche comme geste même de retrouver ? (incidemment : mais lequel, statut encyclopédique de YouTube).

Comment chercher dans un site lorsque les billets s’accumulent : 3000 dans l’Oreille tendue, pas loin de 10 000 au total en 20 ans de ce Tiers Livre...

Le statut spécifique du collectif comme histoire à construire : ce qui s’amplifie (la fabrique Instin) ce qui finit (VasesCo, pour moi du moins), ce qui se réinvente (L’air nu) ou se développe (maison témoin).

Absents considérables : l’impossibilité de « rétro-éditorialisation » sites sous droits : présence croupion de Michaux, Perec, Gracq, Artaud, Beckett etc, UbuWeb.com comme transgression assumée (hébergement Mexique), l’exception (pauvre) Claude Simon. Au risque que ce que nous inventons en littérature ne puisse plus prolonger la tâche d’emporter les aînés au travers du gué. Domaine public, études de cas : Flaubert, Lovecraft (et chez moi : site dédié, ou pas ?).

Enfin : de la raréfaction des blogs. Oui c’est un combat, usant, difficile. Et Internet tend à renforcer les cloisons et frontières héritées. En 5 ans, dans la blogosphère Qc, combien d’évanouissements ? Salut cordial à M-H. Voyer ou Bibliomancienne (Tumblr) qui maintiennent l’éveil...

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Un autre rêve d’enclosure : le webdoc, et la fin prématurée d’une promesse ; France Télé Nouvelles Ecritures.

Quelques exemples sélectionnés (rappel Anarchy).

Retour sur enclosure et édition : les chroniques Facebook d’André Markowicz) et autre exception : le YouTube de Jean-Paul Hirsch / POL.

et coda

Tiers Livre, site fossile : dans tous les sites qu’on a traversés, quel serait mon site rêvé ? De l’articulation site et réseaux : se contraindre soi-même à la pensée de sa présence web comme écosystème ?

Impossibilité provisoire, ou barrière à contre de notre rêve d’un web d’invention ?

Fin sur une seule image de Taryn Simon, l’arrivée du câble sous-marin transatlantique – jamais perdre de vue dans aucune de nos approches la matérialité du web qui nous y donne accès, avec contraintes aussi bien technologiques que politiques.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne 26 mai 2016 et dernière modification le 25 octobre 2016
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