creative writing et Français Langue Étrangère

l’atelier d’écriture court-circuit entre langue et littérature pour les apprenants


Cette année, pour la 3ème fois consécutive, Fabienne Dumontet, du département Français Langue Étrangère de l’ENS Lyon, m’a invité à proposer une session d’écriture, sous la forme de 2 x 2 jours, en après-midi et soirée le vendredi, et le samedi à suivre – pour ne pas impacter les cours – avec des étudiants venus à Lyon en Erasmus ou pour leur master ou thèse.

L’originalité : dans la petite salle où nous nous retrouvons, se croisent des étudiants de l’ENS, littéraires, philosophes, sociologues ou scientifiques, mais aussi des étudiants de Centrale (école d’ingénieur, recherches physiques) et d’autres du CNSM, le Conservatoire nationale supérieur de musique.

Le défi : à ces étudiants en pleine crête de découverte intellectuelle, dans un moment charnière de leurs découvertes et apprentissages, entraîner à la maîtrise écrite du français, avec des outils d’écriture qui permettent un dialogue intérieur avec sa propre langue, sa propre intériorité.

Et c’est bien ce qui me fascine depuis toujours dans ces outils du faire écrire, comme une fois par an aussi avec les undergraduates de Philadelphie (merci Philippe Met et Mélanie Peron, de la Penn) en immersion à Tours, ou l’an passé lors de la semaine passée à la Johns Hopkins de Baltimore (merci Derek Schilling et Wilda Anderson, hâte qu’on recommence !), mais sans se leurrer : si en France on commence à repousser les barrières symboliques autour du creative writing elles restent encore largement de mise dans ces bastions lents que sont les universités.

Cette année (merci Fabienne Dumontet et son équipe), nous avons eu la chance de pouvoir rassembler et présenter l’expérience lyonnaise dans une petite plaquette imprimée.

Grâce aux bons soins d’un jeune graphiste et photographe, Maxime Bersweiler (visitez impérativement son site, et spécial merci Maxime), je vous en propose ci-dessous la découverte et le téléchargement. Je complète par ma propre introduction.

lire ou télécharger la brochure complète

N’empêche que je vais vous dire le secret, probablement le seul secret qui compte : dans le pacte que chaque atelier installe entre l’animateur, l’institution invitante, et les participants eux-mêmes, la seule chose claire à exprimer c’est ce que soi-même on en tire.

Et là, de mon côté, ces 2 fois 2 jours, 3 années de suite, c’est la claque. D’abord, la confrontation des scientifiques de Centrale et des littéraires de l’ENS (et pas toujours lié à la dissymétrie réciproque garçons filles). Mais de reconstituer dans une petite salle comme une image complète de la planète – ces 2 dernières années, comment ça vous époustoufle la connaissance en poésie de leur pays des étudiantes russes.

MAIS, c’est la première fois de ma vie, ces stages, où j’ai pu travailler avec des musiciens. Et, ce vent tout artiste et exigeant qu’ils installent, la prégnance du corps, du rythme et du souffle, comme ça fait du bien à tout le monde.

FB

 

D’abord redire le plaisir que j’ai eu à prendre en charge ces trois sessions de stage pour étudiants non francophones, comment ils décalent mon propre regard sur la langue.

L’enjeu, ou le défi : à condition de définir un territoire esthétique ou formel suffisamment précis, la maîtrise de la langue peut devenir seconde par rapport à l’affirmation et l’expression personnelle quant aux questions évoquées.
Ma tâche : trouver des oeuvres et des points d’entrée suffisamment repérables pour le permettre.

Côté étudiants : ne pas être en situation d’un « exercice », mais en situation d’un acte artistique véritable, qui suppose 1, un large temps de pratique individuelle de l’écriture durant le stage, 2, une place pour chacun dans la lecture collective et la voix haute, 3, une structuration et ouvertures sur la création contemporaine, littérature française bien entendu, mais débordant sur pratiques visuelles ou sonores, ou rapport de l’écriture au monde actuel (la ville, le corps par exemple).

De mon côté, un vrai remerciement parce que ce domaine est encore neuf, il faut se mettre ensemble pour structurer les outils, les thésauriser, faire circuler les expériences. Ainsi, récemment à la Johns Hopkins de Baltimore pour un workshop similaire, et là revenant d’un même type de workshop à l’université Waseda de Tokyo, j’ai recoupé plusieurs fois les mêmes pistes : comment les constituer en outils, et les rendre transmissibles ? Il me semble qu’il y a une vraie demande de comment intégrer l’écriture narrative et poétique comme pratique dans l’enseignement du FLE, et non pas seulement exercices d’application, et qu’une structure comme celle mise en place à Lyon pourrait y prendre un rôle déterminant.

Comme pour la première session de l’an dernier, l’étonnement à ces stages d’avoir devant soi comme une carte du monde, mais surtout – c’est une première je crois – dans cette croisée transversale des disciplines. C’était flagrant avec les trois composantes à peu près également représentées lors du premier stage (ENS, Centrale, CNSM), un peu décalé la deuxième année année (ENS lettres ET sciences, CNSM, VetAgro), et plus orienté artistiquement à notre troisième rendez-vous, dans la belle confrontation entre jeunes étudiants-chercheurs de l’ENS, scientifiques de Centrale et artistes musiciens du CNSM.
Point extraordinaire pour moi : la présence de scientifiques, Centrale ou ENS, qui déploie le champ des interrogations, du rapport conceptuel au monde et c’est formidable, tellement trop rare. L’autre appui formidable : les étudiants CNSM ont évidemment une réflexion corporelle (tenue, souffle, énergie) qui s’empare naturellement des questions de poétique. Le sens rythmique de ces étudiants passe bien avant la maîtrise de la langue dans les textes produits, et l’échange rejaillit sur tout le groupe. Je rêve un jour de proposer dans un lieu comme le CNSM un studio d’écriture du type de celui que je mène dans ma propre école (École nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy, avec fort pôle photo et film, arts visuels et performance, mais où de nombreux étudiants ont aussi des pratiques musicales).

Il me semble important aussi de noter qu’il ne saurait y avoir d’un côté l’atelier artistique, de l’autre l’approche didactique du français langue étrangère. Les problèmes de phonétique de la langue parlée, la prise en compte des avancées de l’atelier pour la pédagogie, ne peuvent être le seul fait de l’intervenant artistique. Les séances qui ont été animées de façon conjointe le prouvent bien.

Autres réflexions, principalement à partir du deuxième stage :

 se retrouver le vendredi en fin de journée donne une couleur particulière au stage. La première session, on fait connaissance et la longue journée du samedi est tout de suite sur les rails. La semaine suivante, on se retrouvait comme de vieux amis, et la présence de la nuit dans l’école vide a coloré l’imaginaire et les textes. Il reste néanmoins que ce stage reste une proposition ponctuelle, qu’on termine en plein élan, avec de vraies promesses d’écriture...

  il y a une nette dichotomie dans la composition du groupe, qui d’ailleurs traverse à égalité les écoles, entre celles/ceux en quête de pratique littéraire, et celles/ceux en quête d’apprentissages linguistiques. Mes exercices peuvent se prêter au grand écart, mais jusqu’à un certain point. La demande littéraire porte souvent sur la littérature nationale des étudiants (je pense au noyau germanophone, Centrale et ENS, de l’an dernier, ou à fort et si dynamique noyau russophone de cette année, qui nous a emmenés dans des discussions sur Mandelstam, Harms...) autant que sur des pistes contemporaines francophones, et cela vaut, j’y insiste, autant pour les scientifiques ou musiciens que pour le noyau « littéraire » de l’ENS, toujours au plus haut niveau. Quel bonheur et quel trouble de voir se demander par un mathématicien aux textes étonnants et passionnants : « Comment ça s’écrit, Kafka, monsieur ? », dit cet étudiant de Centrale.

 corollaire du précédent : ces deux étudiantes roumaines en vraie difficulté linguistique, en Erasmus à VetAgro, et avec lesquelles nous n’avons pu échanger qu’en anglais. Elles sont en pratique chirurgicale du matin au soir : « and animals don’t speak ». Les propositions que je serais amené à faire pour étudiants en seule demande linguistique seraient différentes, en tout cas ne peuvent pas s’appliquer à un groupe dont 1/3 ou la moitié viennent là parce qu’ils ont, dans leur langue, une pratique littéraire de création, recherche, expression narrative ou poétique.

  et corollaire au corollaire : quel bonheur pour l’animateur, au bout de trois ans, de garder relations (mail ou réseau) avec une petite poignée d’étudiants de chaque session, en quelque point du monde qu’ils soient…

En tant qu’écrivain, mais aussi en tant qu’enseignant l’écriture créative (enjeu considérable, en école d’arts comme dans les jeunes masters de création littéraire), je termine en rappelant la non-banalité absolue de ces rencontres. Personnalités extraordinaires, grande finesse, magnifique implication de travail, et les textes qui en résultent ne sont pas des textes d’apprenants.

Quel mystère nous ouvre dans la cité cette jeune organiste souabe écrivant ses chemins dans Lyon pour aller retrouver par des escaliers dérobés, connus des musiciens seuls, les orgues des églises au fond des vieux quartiers de la ville... Et comment cela nous rapprochait de E.T.A. Hoffmann, le lui faisait découvrir en même temps que nous l’établissions, et toute la littérature avec lui, comme fondation commune.


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1ère mise en ligne 8 février 2017 et dernière modification le 4 janvier 2022
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