hors série | onze fois trente-trois (Édouard Levé)

art du croquis, à partir du « Journal » d’Edouard Levé


 

Pour une fois, c’est le grand écart que je vous demande.

Ce qui m’intéresse dans ces trois pages denses prises au Journal d’Edouard Levé, c’est la suite de 15 fragments distincts, chacun consacré à un personnage séparé.

Dans la reconstruction détournement que fait Edouard Levé d’un archétype des quotidiens régionaux, avec les rubriques international, société, économie, faits divers, petites annonces, météo, on est ici dans la rubrique Culture, et plus précisément dans la suite des films que proposent à cette date les cinémas de la ville.

Chaque personnage est donc décrit non pas en général, mais dans un moment précis d’une histoire. Il est donné non pas depuis lui-même, mais depuis son contexte et ce qui le meut.

Un homme et une femme se retrouvent une fois par semaine pour faire l’amour. Ils ne se parlent pas et excluent toute tendresse. Mais peu à peu l’homme cherche à en savoir plus sur sa partenaire.

Un policier à la retraite s’acharne à enquêter sur une affaire classée : le viol et le meurtre d’une fillette. Il est prêt à sacrifier sa vie, son argent, voir sa raison, pour démasquer le coupable.

La maladie de son père rappelle un homme de trente ans qui vit en ville. Le retour à la ferme familiale le plonge dans son passé.

Une femme disparaît au cours d’une croisière. Son amant, parti à sa recherche, l’oublie vite au profit d’une autre, qu’il trahira à son tour.

Édouard Levé, Journal, POL, 2004, bref extrait.

D’autre part, il est personnage de film, donc personnage construit. Représentation.

Et si on se saisissait aussi de cette instance ? On oublie le film, ce n’est pas ce qui nous intéresse. Mais on garde la forme : je vous propose onze fragments concernant onze personnages distincts – je reviendrai plus tard sur pourquoi onze, quand on abordera Pierre Michon. Et chacun de ces fragments-paragraphe, si possible – qu’il fasse trois, quatre ou cinq lignes mais jamais plus – qu’il soit donné en triptyque de trois lignes. C’est ce qui induit mon titre : onze fois trois trente-trois.

Ce qui vous appartient ; quelle méthodologie pour poursuivre ces 11 personnages, et les projeter dans une image-texte qui à la fois les fasse surgir et les projette dans une histoire possible qui n’appartiendra qu’au lecteur ? Reparcourir mentalement vos 2 dernières semaines, et collecter ces présences provisoires qui sont autant de questions ? Partir mentalement loin dans tel endroit du passé, et convoquer les êtres qui reviennent, dans leur immobilité même ? Partir d’une thématique : ceux qui attendent, ceux qui rêvent, ceux qu’on n’a pas réussi à connaître comme il le fallait ? Les passagers du bus que vous avez pris ce matin ?

Chacun et chacune va trouver sa propre méthode. Pas besoin de numéroter, mais important d’aller jusqu’aux 11 avant de m’envoyer. Une clé pour les paragraphes-personnage : l’instant où vous les arrêtez par l’écriture, ce qui s’y inscrit de temps passé et de temps à venir. Ce que vous écrivez du non-advenu. Et la relation du dedans, le corps, le mental, l’histoire tue, au dehors : le contexte, ce que le personnage voit.

Sur cette façon de sculpter très vite des personnages, en leur donnant le maximum de complexité, voir dans les « fiches imprimables » l’extrait de Henri Michaux « Quelqu’un ».

À vous aussi de savoir quelle contrainte supplémentaire vous ajoutez : les 11 brefs paragraphes chacun composés d’un triptyque, donc 3 phrases ? ou bien une seule phrase, ponctuée ou pas ? Et quel point d’assemblage pourrait être commun à vos 11 personnages, les yeux, les ciels ?

On n’en fera pas obligation, mais cette série pourra servir d’ancrage à un exercice ultérieur. Éprouver la solidité de ce que vous écrivez en pensant à l’épaisseur interne du personnage, tout ce qu’il pourrait vous permettre d’amorcer.

Une deuxième proposition arrivera vite, qui paradoxalement sera plus facile. Mais le but pour moi ici c’est précisément la répétition : à multiplier par 11 la prise d’écriture, on se force à un territoire imprévu, on amoindrit sa propre résistance pour que les personnages surgissent d’eux-mêmes et s’imposent.

À vous !

• lire les contributions reçues à partir de cette proposition (été 2017)

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne 9 juin 2017 et dernière modification le 11 novembre 2019
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