#voyages #04 | halte sur cosmoroute, Julio Cortázar & Carol Dunlop

un cycle consacré à l’imaginaire et au réel dans le récit de voyage


 

le double voyage, #04 | halte sur cosmoroute, Julio Cortázar & Carol Dunlop


Rappel : l’enjeu de ce cycle, basé sur le récit de voyage, est basé sur le principe d’une double écriture. Chaque participant construit simultanément, complétés à chaque proposition, deux récits de voyage, l’un basé sur une expérience réelle, l’autre basé sur une expérience imaginée.

Paradoxe : le voyage est un déplacement, avec séjour provisoire aux extrémités, d’un lieu à un autre lieu. Mais le récit de ce déplacement se construit par la suite des étapes immobiles qui le constituent.

Qu’est-ce qui distingue une attente, dépli du temps et de l’espace, si elle est halte dans le cours d’un voyage, du même temps passé en un lieu quasi identique, dans une situation qui ne comporte pas le voyage ?

D’ailleurs, la meilleure préparation pour écrire (ce temps de préparation faisant organiquement partie du temps d’écriture, on ne réfléchit pas la plume à la main, on se construit pour le saut, sans écrire) serait de commencer par une double recollection : pour chaque voyage effectué, en remontant aux plus lointains (dans le temps comme dans l’espace), reconstituer, même de façon floue, lacunaire, une de ces haltes — c’est dans l’inventaire de ces haltes que vous allez piocher, et la constitution de cet inventaire c’est aussi (même si nous on va faire autre chose) une très forte proposition d’écriture avec vos publics (y compris en leur proposant d’y intégrer une halte inventée, mais qu’il sera impossible de distinguer comme telle). Et symétriquement, recollection mentale de ces récits de halte, dans les récits de voyage de votre propre bibliothèque intérieure : et vous verrez comme ils fourmillent, y compris dans les livres que nous avons déjà cité, Les jardins statuaires de Jacques Abeille par exemple. C’est aussi le cas dans votre filmographie intérieure.

Et ce double dépli est une étape (oui, j’ose) nécessaire pour notre proposition d’aujourd’hui, puisque c’est aussi la relation voyage réel, voyage imaginé qu’on va mettre en cause : ce que je voudrais vous proposer d’expérimenter (oui, en terrain inédit), ce sera de travailler d’abord exclusivement sur le récit d’une de ces haltes réelles prises à l’inventaire ci-dessus, et en faire ce dépli de temps et d’espace jusqu’à épuisement. Épuisement, ou exhaustivité, c’est trop dire ? Non, puisque justement il s’agit d’un très peu, d’un provisoire, de décalages souvent minuscules, encore accentués par le côté lacunaire du souvenir.

Et puis prendre ce premier récit, le dupliquer par copier-coller, et le transformer, mais rien toucher à syntaxe et structure, en halte imaginée –– c’est vraiment le défi d’aujourd’hui.

Et pour cela, ce livre-culte, ce livre-légende, Les autonautes de la cosmoroute, de Julio Cortázar et Carol Dunlop.

Je ne reviens pas sur ces spécificités qui en font un livre aussi unique : la liaison autoroutière Paris-Marseille à peine construite. Le défi de rester un mois dans ce ruban linéaire sans jamais en sortir, avec arrêt dans chaque halte, une pour déjeuner, l’autre pour dormir. Le fait que tous deux se savent condamnés : le voyage a lieu à l’été 1982, Dunlop mourra en 1983, Cortázar en 1984.

Mais c’est le côté qu’aujourd’hui nous dirions « transmédia », même dans la projection fermée d’un seul support, le livre imprimé, qui fait de ce livre un monde :
 les notes, récits et inventions de Julio (en espagnol) ;
 les notes et récits de Carol (en français) ;
 le « journal de bord » factuel et détaillé que relève Julio ;
 les lettres, reproduites dans leur état manuscrit, que Carol adresse (fiction ou réel je ne sais pas) à son fils ;
 les photographies omniprésentes, elles-mêmes soit principalement documentaires (la table de camping, les machines à écrire, la tambouille, des visages de rencontre), soit intimistes ou artistiques (portraits de l’un par l’autre, paysages ruraux ou autoroutiers) ;
 les cartes et dessins.

On pourrait probablement encore subdiviser et affiner, l’introduction, l’écriture post-voyage etc.

Les 3 fragments en pièce jointe ne concernent que la strate d’écriture qui nous concerne pour cette proposition : la halte. Parking nu et pelé, lavabo qui ne fonctionne pas, on repart : oui, mais c’est en soi déjà récit de halte, et il y en a plus de trente-quatre entre Paris et Marseille.

S’en servir pour phrase, syntaxe, structure ? Je préférerais que simplement vous rêviez sur l’idée, vous reparcouriez, si vous disposez du livre, la suite de ces haltes, et que vous repreniez de suite votre inventaire préalable, en s’attachant justement à ce lacunaire, ce peu de signes. La première halte après une frontière. La halte qu’on refait rituellement chaque fois qu’on refait tel voyage. La halte accidentelle et contrainte, imprévue.

C’est déjà immense. Alors pensez, si en plus il faut la dédoubler dans une deuxième, mais inventée...

Mais c’est pourtant ce qu’on va faire, et quelle joie d’avancer ainsi en terrain neuf !

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 février 2023
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