#voyages #07 | un tout petit voyage, Pierre Bergounioux

un cycle consacré à l’imaginaire et au réel dans le récit de voyage


 

le double voyage, #07 | un tout petit voyage, Pierre Bergounioux


L’idée, dans ce cycle, qu’on vienne travailler sur un « tout petit » voyage, mais un voyage qu’on aurait fait tant et tant de fois, à des périodes différentes de sa vie, c’était l’idée de départ. Elle m’a mené assez vite à Pierre Bergounioux, c’est que je développe dans la première partie de la vidéo — ce rôle chez lui, dans l’intérieur des récits, ou de récit à récit, de ces explorations dans le tout proche (La Toussaint, La maison rose et même La mort de Brune, dans l’intérieur même de la ville, indépendamment de ceux qui s’appuient un voyage plus grand, comme L’arbre sur la rivière...). Alors j’ai sorti tous les livres, parce que le passage que j’avais en tête (je me souvenais du mot bleu, mais ce n’était pas dans son livre Un peu de bleu dans le paysage) m’a fait re-feuilleter celui-ci, Points cardinaux.

Dedans, deux passages en particulier : sortir en reculant la voiture du garage, puis prendre une suite de bifurcations possibles dans la ville (mais jamais celle du nord, la N20 qui briserait cette sorte de séclusion volontaire), et, un peu plus loin, le terme de cette sortie : un pique-nique du dimanche, les rôles du père et de la mère bien définis, la nappe posée sur l’herbe, l’après-midi près de la rivière. Voir le PDF en pièce jointe (page abonnés), pages 11-14, puis plus loin pages 24-27. Et il y a bien le mot bleu.

Mais c’est seulement après avoir scanné l’extrait pour cette proposition que j’ai re-découvert la dédicace du Bergou : « à F., ces tout petits voyages. »

Par contre, ce texte est exemplaire de la démarche de Bergounioux en ce qu’il avance par suite de fragments disjoints, que l’illusion de continuité s’établit précisément par la netteté de séparation des figures et fragments, un peu comme ces lignes noires qui séparent les motifs chez Dubuffet ou Chaissac.

C’est cela que je vous propose de reprendre. Tout petit voyage, oui, mais ne pas craindre la longueur. Lui nous propose en 35 pages ce pique-nique du dimanche. Dans Les eaux étroites, il faut à Julien Gracq une soixantaine de pages pour développer la suite linéaire des motifs d’une remontée des dizaines de fois faite, ce bras fermé de la Loire qu’on emprunte sur cinq ou six kilomètres pour rejoindre un lieu de baignade connu depuis l’enfance.

Tout petit voyage, mais que l’ensemble des récurrences a incrusté mémoriellement en suite de motifs distincts, précis, même si discontinus.

Tout petit voyage, mais isoler ces motifs sans se soucier de leur continuité, les traiter avec la plus grande précision possible : de la précision viendra la poétique, comme dans cette phrase page 24 : « il restait du bleu, lorsque nous arrivions, comme si la substance du ciel avait été brassée avec le sable fin des rives, les feuilles des arbres, les galets ». Cette phrase vraiment comme incipit qui pourrait devenir celui de chacun de vos motifs successifs.

Donc oui, tout petit voyage, mais comme suite successive de motifs poétiques, qui n’ont rien à justifier qu’eux-mêmes, et de confier la tâche au lecteur, et lui seulement, pour qu’ils se rejoignent. Avoir cette confiance-là, même si elle perturbe, même si vous ressentiez comme frustration de ne pouvoir tout raconter. Après tout, et je le dis dans la vidéo, ce motif du « déjeuner sur l’herbe », chez Manet ou Renoir, ou Berthe Morisot encore plus haut, que sait-on d’autre que cette façon de poser d’abord la sensation, d’avoir confiance en cette sensation ?

La sensation, oui, mais sur une surface. Votre tout petit voyage est une surface, où les lignes noires isolent des motifs distincts, qui, vus dans leur juxtaposition, vus depuis la simultanéité qui est la nôtre, lecteur, crée cette sensation de proximité, de possibilité infinie du détail. Et permet aussi à chaque motif de s’installer dans un grossissement (une focale ?) différente, une poétique différente, comme lorsque nous regardons, immobile ou nous déplaçant dans plusieurs angles de vue du tableau, une toile de Berthe Morisot.

J’utilise le mot « motif », dans la vidéo je dis plutôt « figure », j’évite le mot « fragment » parce qu’on traitera de cela plus centralement dans #08 à suivre, mais cette discontinuité dans la juxtaposition, et de s’en remettre au lecteur pour que la simultanéité des motifs recompose à distance la linéarité de la lecture, c’est vraiment, vraiment, ce qui donne à Bergounioux, dans ce texte en particulier, son unique façon de poésie.

À vous. Et tout d’abord de le laisser venir, sans précipitation, sans démonstration, sans forcément qu’il ait été là d’emblée avec évidence, ce qui sera votre tout petit voyage : ce n’est pas forcément le plus facile de cette proposition, que ce laisser-venir, et surtout sans contrainte, hâte, encore moins brusquerie.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 février 2023
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