#techniques #07 | en TGV avec Bernard Noël, phrases glissées

un cycle pour développer les techniques de syntaxe et récit


 

#techniques #07 | en TGV avec Bernard Noël, phrases glissées


De 1995 à 1997, Bernard Noël s’impose un exercice à la fois exhaustif et arbitraire : un poème, en général entre 10 et 15 vers, donne une image synthétique de la ville où il vient de séjourner, ou bien exhausse un instant précis de ce séjour. Bernard Noël a toujours été un voyageur, toujours mené aussi par une lecture militante du monde (Palestine, mais pas seulement). Il est régulièrement invité pour des lectures ou conférences, en France et partout dans le monde. On trouvera ici Naples et Pompéi, mais aussi Niagara et Mexico, ou Jérusalem, Helsinki, Florence et Vérone, Miami, Houston et Lisbonne.

Et peu importe le rôle ou le statut ou la dimension de la ville : il y aura Saint-Étienne, Issoudun, comme Forbach, Nantes, Angers et Poitiers. D’autres. Il y a aussi une série interstice qui s’intitule Nulle part.

Mais ce qui compte (pour nous), pour les villes françaises du moins, c’est qu’à cinq reprises au moins il insère des textes qui disent le trajet pour s’y rendre, ou en revenir. Selon les heures, selon les saisons. Avec ce qu’on aperçoit de la vitre, dans le flou, ou la brève saisie, ou dans l’écho intérieur que ça provoque, et selon le confort ou la vitesse.

Trois de ces textes s’intitulent TGV et se retrouvent en exact vis-à-vis du poème dédié à la ville qu’on rejoint : ainsi Forbach, ou Poitiers. Un autre s’intitule Paris-Nantes et précède la double page avec à gauche Nantes, à droite Angers. Pour Issoudun, le texte en vis-à-vis s’intitule Train Corail.

Et c’est ce dont nous allons nous saisir. Cette opposition, ou brisure, ou différence. Dans les poèmes « ville », un point d’énonciation fixe. Dans les poèmes « train » un point d’énonciation en mouvement, un point d’énonciation glissant.

Ainsi le début de Paris-Nantes :

rangs de buissons tertre et brouillard rideaux
tirés tout le long du trajet vers Le Mans
l’actualité nous étouffe respirons
c’est une affiche dans le petit soleil
soudain tombé de haut sur un quai de gare
puis terres basses et fantômes de pommiers

Comme encore plus particulièrement dans ce cycle que dans les autres, j’insiste sur le fait de prendre un temps de lecture préalable pour l’extrait à télécharger : donc avec cinq trains et cinq villes (celles d’ici).

Et examiner précisément leur opposition : ce qui fait clôture et bloc pour les poèmes-ville, et ce qui est clôture de chaque vers pris séparément pour les poèmes-TGV.

Chaque vers est image mouvante, avec jeu à la fois 1 sur le réel vu (extérieur train ou intérieur rame), 2 jeux qui s’en induisent dans la distorsion de la perception, 3 sur la rêverie mentale engendrée.

Et ne porter attention qu’à ce principe : que vous rédigiez en prose (c’est pour moi l’enjeu) ou restiez dans une versification (attention, se méfier du « vers libre » qui ne l’est jamais autant qu’il paraît), chaque élément du texte reste glissant, mouvant, indépendant de celui qui précède comme de celui qui suit.

Oui, c’est un enjeu majeur aussi pour un texte qui s’écrit en prose, reste avant tout narratif (je pense à La mort de Virgile d’Herman Broch).

Pour cela que — à titre exceptionnel — j’ai inséré dans l’extrait la dédicace que m’avait faite Bernard (mais je suppose qu’il a utilisé la même avec plusieurs personnes) : « ces images cassées »... Comment c’est la discontinuité radicale, de vers en vers, par images ainsi glissées, qui détermine en retour, pour nous lecteurs, cette impression de trajet continu, de déplacement dans le continuum du monde.

Et si vous vous procurez le livre (les « désherbages » de bibliothèques sont une telle chance, pour ces livres rarement dans les stocks librairie), ne manquez pas le texte qui précède Le reste du voyage : ce séjour de Bernard au mont Athos.

Et bonnes écritures. Oui, vraiment, un enjeu technique de taille, déjà approché dans d’autres exercices des différents cycles de Tiers Livre, mais ici... comme à s’y laisser glisser.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 mai 2023
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