#gestes&usages #08 | description d’un combat, Michaux, Bailly

un cycle sur l’interaction du corps et du monde


 

#08 | description d’un combat, Michaux, Bailly


Il est temps d’aborder la notion de geste dans sa plus extrême radicalité : l’exercice de la violence.

Mais on ne s’y risque pas sans précaution.

D’abord, se positionner : violence commise (et quel riche exercice que d’en faire l’exploration), violence subie, violence dont on a été le témoin direct. Non pour l’ancrage autobiographique (quoique...) mais pour savoir dès cet amont où construire votre narratrice ou narrateur, ou l’absence de.

Ensuite, l’écart entre le temps du récit (la durée et le cheminement, la structure et l’ensemble des éléments, contexte, action, de votre texte) et le temps référentiel : l’acte violent n’a pas de durée, il est l’instant sans durée qui commet l’irréparable.

« Je l’ai senti s’enfoncer », phrase écrite lors d’un atelier d’écriture en détention, en 1998 (voir mon livre Prison), où surgissait cet instant sans description possible d’un coup de couteau mortel par celui qui le donnait. Phrase qui m’a hanté depuis lors, mais première fois que j’ose aller à sa rencontre.

L’étroit chemin possible pour entrer dans de tels textes, nécessaires, c’est d’en emporter avec soi, résonant par cercles concentriques autour de cette durée nulle, le contexte. Il sera forcément lacunaire, distordu.

Mais lourd de symboles et rituels. Si le titre Description d’un combat appartient à Franz Kafka, c’est Michaux qui va nous y emmener : son légendaire livre Ailleurs propose 34 (oui, 34...) civilisations ou cultures toutes portant nom, et définies par les rituels qui sont les leurs. Et, « chez les Hacs », on se bat. Mortellement. Mais ces combats s’intitulent « spectacles ». Ensuite on voyagera, des Hacs aux Émanglons, et des Émanglons aux Hizivinikis.

Je voulais vous proposer un autre biais d’accès. J’ai présenté (plus fragments lus) — voir vidéo ici, le très singulier livre de Sébastien Bailly, Parfois l’homme (Le Tripode, 2024), constitué de 109 facettes que croise à un moment ou l’autre n’importe lequel ou laquelle d’entre nous toutes & tous dans la vie ordinaire. Dans le fragment 90, la rencontre précisément de la violence, ordinaire et sale, aveugle. Cutter contre portefeuille, coup au visage contre téléphone, Sébastien Bailly procède par brèves suites d’accumulations comme pour mieux uniquement cerner cet instant aveugle et sans durée, mais irréparable.

Et bien sûr sans vouloir limiter au « fait divers », ni au coup porté, la dimension sociale de cette menace et de la contrainte. Mais à nous toutes & tous d’y entrer.

À vous : violence commise, subie, témoignage ? Sans durée, mais emporter dans le texte le lieu, les circonstances, le grossissement, et bien sûr lui, le geste dans son irréparable, et ce qui échappe probablement à celle ou celui même qui le commet ?

Et qu’on ne s’avancerait pas ici sans les sept étapes qui ont précédé.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 mars 2024
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