#été2023 #01bis | Danse contre l’angoisse

Danse contre l’angoisse.

Fais la danse contre l’angoisse.

Tu me regardes et en deux secondes tu as blêmis, tu rigoles ouvertement tu dis « mais comment ça « blêmi », tu plaisantes ou quoi ? » mais non c’est simplement l’observation d’une tension qui d’un coup tend les traits, les embrume, les fantomise et attaque les lèvres, leur fraîcheur rondeur devient sinusoïde de peur, dentale de pensées en suspens sur les bords, fil de barbelés, coriandre crue, peau filée, échevelée de contractions. Je vois ce qui tape contre la joue, le long des yeux soudain figés, imprécis, remplis de sueur. Alors c’est mon rôle alors je te dis : entortille-toi autour de toi-même, et refais un tour, désincruste, tords-toi sur toi-même, fais la vis à spirales, projette hors du buste avec les coudes, balance tes bras droit devant, racle les bras, et jette, racle et jette, souffle, souffle et râcle et jette, ramasse ce qui tombe à tes pieds et jette-le le plus loin possible hors de toi, fais-le rebondir contre les meubles, les étagères, le plafond, les vitres le sol, envoie la balle, brise la vitre, fais rentrer l’air et la bourrasque du dehors, cette joie de l’hiver, cette joie du froid et du gel, des gerçures et des tenailles, cette joie du silence empourpré de soleil-glace, cette joie du vent rêche gorgé d’eau grise, cette joie du plus soif, du vouloir ardre de soleil, de ne l’avoir jamais, de l’espérer chaque fois, attendre la colonne des îles le long de ton dos. T’attendre de pouvoir suffoquer. De voir le cortège des adieux, tout quitter pour se réparer profond. Mais l’été, quand ça arrive vraiment, l’été, alors ça arrive, de très loin, informe et lente comme un sentier dans un cimetière, l’angoisse de vivre et de devoir en rire.

Je me souviens des étés de la campagne.

Je dansais dans les champs, je criais à tue-tête parmi les digitales. Le bétail habitué m’écoutait sous le talus. Le linge de la semaine secouait leurs têtes à mouches, et je m’appliquais à écrire avec le corps, d’un pied sur l’autre, avec un cri. Dans l’indifférence des herbes arrachées, malaxées sous les broyeuses, le linge, les têtes avaleuses, vrombissant de mouches.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

8 commentaires à propos de “#été2023 #01bis | Danse contre l’angoisse”

  1. Superbe… Comme une envie de lire l’avant et de découvrir l’après…

    • Mais oui, le corps peut parfois prendre le relai, car peur sature suture la pensée, rétractile quand violence… alors le geste réajuste et imite, imite comme le boa imite le battement de coeur de sa proie, avant de …
      car il faut éjecter de soi ce qui semonce…

  2. C’est très beau. Ça prend au corps. L’écriture comme une danse, un jaillissement des tripes.
    Merci