#enfances #02 | L’armoire à Pharmacie de Grand Mère

Hors de la portée des enfants mais pas avec un tabouret de la cuisine. Les portes sont en fer recouvertes de peinture blanche avec une espagnolette qui donne l’impression d’ouvrir des volets. Les bonbons des pharmacies, les pastilles blanches que Grand-mère nous donne même si nous n’avons pas mal au ventre car elles sont inoffensives, les boites de Citrosodine où l’on pioche pour attraper un peu de l’acidité qui grésille sur la langue, juste à côté des suppositoires à la glycérine qui ont leur vie propre à glisser sous les mains et des bandelettes en coton que l’on accroche avec une épingle anglaise. Ça sent le rhume et l’hiver avec le tube de bronchodermine avec lequel grand-mère nous frictionne quand nous sommes malades avec du coton pour garder la chaleur après. Sans oublier la bouteille de Synthol où c’est moi qui frotte grand-mère quand elle a mal au dos. Mais ma main cherche au fond la boite en fer de Solutricine vitamine C. Merveilleux gâteaux anglais miniatures, petit feuilleté de blanc, de beige et de jaune. Je reviens toujours en chercher une dernière jusqu’à la boite vide. Ne pas dépasser la dose prescrite entourée de rouge se met à clignoter dangereusement dans mes yeux, avec ma langue jaune fluo, je sens les premiers symptômes de l’empoisonnement, et mes dernières heures arrivées, condamnée au silence.

Le garde à manger

Il est encastré dans le mur de la salle à manger et débouche de l’autre coté sur le vestibule qui sert de couloir avec la cuisine. Il devait servir de passe plat dans un autre temps maintenant c’est une réserve qui peut abriter des choses très intéressantes quand on a des fringales hors des repas. Avant de l’ouvrir on écarte le compotier bleu avec ses fruits fatigués qui bloque pour ouvrir ce grand tabernacle avec des précautions infinies ; vérifier qu’il n’y ai pas d’arrivée venant de la cuisine ou du salon. Après avoir balayé l’absence de gardienne du temple, pousser délicatement la targette plate qui offre une petite résistance en début d’été car elle a un peu rouillée. On peut enfin opérer : reprendre une lichette de la tarte, déballer le sachet de cellophane qui entoure les crêpes pour en subtiliser une épaisseur, plonger dans la boite céréales pour en prendre tous les accessoires, piocher dans le plat de hors d’œuvre pour prendre une tranche de concombre ou de carottes râpées, égaliser le fromage, piquer du pain dans la corbeille. Après avoir vérifié que l’on a tout remis dans son équilibre premier, passer sa main sur la bouche pour effacer les traces, refermer sans faire de bruit et s’éloigner en boulottant son morceau de pain en veillant que la joue n’enfle pas comme un hamster.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.