#40jours #17 | elles une grande et deux petites – pas la même en trois fois

« Très jeune, petits travaux. Pas de quoi pavoiser. Les tâches agricoles à la façon des domestiques. Tantôt cueilleuse de fruits dans le sud. Cœur à genoux. Tantôt bergère, tantôt serveuse dans les restaurants du pays où les hommes ivres chantaient jusqu’à l’aube. »

joêl vernet celle qui n’A PAS LES MOTS

A croquer

La mère a fabriqué un gâteau d’anniversaire pour son fils, huit bougies. Elle vient d’un pays de l’est où les enfants sont devenus des trésors ambulants à qui on passe tout depuis la fin des dictatures. Même si on les élève à la soviétique avec des rôles prédéterminés. Ce sont les enfants – rois, les garçons sont des gaillards un peu turbulents, les filles sont des princesses, ielles n’ont pas le choix. La mère papote avec ses copines dans leur langue maternelle, elles sont complices de la surprise faite à Ajan, le petit garçon star qui n’a invité que des copains, il n’a pas pu évincer les petites sœurs. La mère est fière de sa progéniture, elle s’en occupe avec ferveur, avec des gestes brusques et des paroles autoritaires, elle dit qu’elle fait ce qu’elle doit faire, qu’elle a été obligée de trouver un travail à temps partiel payé en dessous du smic, pour compléter le budget familial. Le nombre d’enfants est un signe de prospérité. Elle n’en parle pas comme d’une contrainte. Elle sait qu’elle a de la chance d’avoir trouvé ce boulot de caissière à durée déterminée. Elle est fière de son intégration réussie à la société française Elle est maquillée, ongles limés et peints, bien sapée avec des dorures et des couleurs chatoyantes. C’est une mère active et comblée. Elle a les yeux cernés, Vasilka.

Carte postale ancienne

Elle, c’est la grande sœur, elle n’a pas choisi son rang dans la couvée. Elle a deux ans d’écart avec la suivante, un an de plus la sépare successivement des trois autres, arrivées comme des fleurs à peu près à la même saison. Est-ce un hasard ou que leur mère aime être enceinte ? Elle n’a jamais osé poser la question aux parents. Les pisseuses comme les appelait en ricanant le père, elle les a laissées entrer dans sa chambre, d’abord avec curiosité, puis avec de plus en plus d’agacement, l’espace se réduisait, le silence aussi. Elle est devenue une petite mère avant l’heure, elle était la plus ceci, la plus cela, elle devait donner l’exemple aux petites, les consoler, les surveiller. A sept ans elle savait tout faire ou presque, elle a toujours exagéré en racontant, en tout cas elle savait crier et ordonner, elle n’avait pas le choix, même si elle avait sa préférée. La dernière-née encore poupée. De son statut de grande elle était parfois fière. Mais elle n’a eu aucun scrupule à les abandonner. Je n’aurais qu’un enfant, si je veux, et si j’ai le temps, ce sera un garçon ! Dont Acte. Elle s’appelait Gladys.

Hôpital de Nuit

Aide-Soignante, elle ne comprend pas pourquoi on dit toujours, la petite aide-soignante, comme si on ne la prenait pas au sérieux. Elle est jeune, elle vient des Antilles, troisième ou quatrième génération, on lui a dit que devenir fonctionnaire dans le service public est le meilleur moyen de s’en sortir. Elle avait déjà pris des responsabilités dans la famille élargie, s’occuper des petits, cuisiner, ranger, nettoyer, elle ne craignait pas les corvées, même si elle aurait préféré lire et sortir pour rencontrer des garçons moins bébés que ses frères, des filles moins chipies que ses cousines ou ses sœurs. Mais chez nous on vit comme cela, on est solidaires, la famille c’est sacré, le clan aussi, on sauve nos peaux ensemble et on danse au rythme des musiques qui chauffent le ventre, on est très religieux aussi. Elle a découvert l’hôpital et s’est enthousiasmée pour les cours théoriques et pratiques de soins aux malades en plus sommaires et simplifiés que ceux prodigués aux infirmières, elle a un rôle délégué sous leur responsabilité directe, mais elle a le bac sanitaire et social et ne compte pas rester les deux pieds dans un seul de ses sabots crocs qu’elle a customisés en rose avec des pins, ce n’était pas réglementaire et on le lui a dit. Elle a dit : Oui ! Elle obéit toujours par devant, par derrière, elle fait ce qu’elle pense. Elle est fière de porter le sarrau blanc ou bleu avec une étiquette à son nom mais aussi que les malades l’appellent par son prénom. Elle est plus proche de leurs besoins. Elle fait aussi le ménage et les sales besognes liées à l’incontinence. Rien ne la rebute sauf la mort. Elle s’y colle pourtant. Dans la ville, on meurt souvent. Elle est un peu superstitieuse, Clémence

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

2 commentaires à propos de “#40jours #17 | elles une grande et deux petites – pas la même en trois fois”

    • Merci pour cet avis qui encourage.Les idées de forme viennent en avançant. L’importance du prénom qui n’est pas le nom me donne envie de creuser de ce côté là. Mes portraits sont des compositions à partir du réel et du réel supposé avec tous les risques d’erreur que cela comporte.