#40jours #22 | seine et marne

Par la fenêtre, une cour intérieure, généralement rien n’est visible, à part le travail du gardien : sortir les poubelles, mettre la musique à fond, de vieux disques année 60 toujours les mêmes, une voix de femme assez mélo, peut-être Dalida c’est bien possible, et dans la voix qui s’élève, caisse de résonnance, il balaie et balaie, chante un peu parfois. Rentre dans son antre du rez-de-chaussée, ne reviendra que le dimanche matin. Avant cela, rien. Seuls les bruits de la vie peuplent la cour intérieure, canalisations de l’immeuble, vaisselle, eau coulée trop fort, voix qui racontent, appellent, se fâchent, les téléviseurs. On ne pourrait rien filmer ici.

En Seine-et-Marne, j’ai vécu trois ans. Oui là ce fut possible. Fenêtre au premier étage, place du marché. Totalement déserte toute la semaine. Bondée et virulente le samedi. En face : un kébab où je me rendais tous les soirs après mes cours, où l’on parlait littérature et poésie turque, Nazim Hikmet, les dissidents kurdes, les appartements de la cité, je leur laissais ma carte d’abonnement au cinéma d’art et d’essai, même s’ils n’aimaient que les films américains, ils allaient quand même les voir, des films iraniens, Abbas Kiarostami, des films de Souleymane Cissé, des films de Theo Angelopoulos, ils revenaient avec des visages blêmes, renversés, ils buvaient des cafés, volutes de cigarettes, les yeux détournés, verts et gris, on restait souvent sans rien dire pendant des heures à la terrasse. J’allais voir aussi Séverine, dans son bar de nuit. On discutait jusqu’à deux heures, elle me payait des pots. Parfois elle m’emmenait en boîte. Les trentenaires de la cité disaient que c’était pas bien. En face, il y avait le bar-brasserie de l’Algérien, on était toujours chez lui. On entrait en débat, toujours. Les policiers du commissariat de la ville venaient manger le soir, de grandes tablées. Grands débats, on s’engueulait très fort. Ça criait dans la salle. Les clients du comptoir n’étaient pas tranquilles. Les policiers faisaient des crises, et nous on cillait pas. Hassan était fier, lui, de Séverine et moi – on disait les choses, on faisait notre cinéma même si c’était pas bien.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

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