#40jours – 05 | On tourne en rond…

Caméra au bout des doigts, main droite quatre doigts à la verticale, engagés sous la sangle et phalanges pliées en bec fermé avec le pouce calé en dessous. Chercher la stabilité de la poigne. Main gauche disponible pour activer le démarrage puis le zoom avec l’ index et le pouce gauches. Les autres doigts un peu niais,un peu, encombrants pour toute manoeuvre ultérieure. Délicate jusqu’au supplice et la bourde.

Maintenant le paysage tourne autour de toi, difficile de régler la vitesse. Il a fallu visser un trépied. Plusieurs tentatives pour le réglage préalable de la hauteur. Les clés de serrage sont espiègles et tu apprécies le petit niveau à bulle inséré sur le bord supérieur de la bête à trois pattes. Une poignée permet de pivoter lentement. Là encore l le moindre à coup fait valdinguer la placidité antérieure de l’image vidéo. Il faut recommencer…

La technique gâche le plaisir de chercher la beauté, l’incongruité ou le raffinement des détails repérés et souvent mal cadrés. Encore une fois filmer ne s’improvise pas, c’est l’expérience qui fait progresser. C’est comparable à la maîtrise d’un instrument de musique. Il y a des étapes à franchir seul.e ou sous guidance.

Et puis d’abord, que veux-tu veux capturer ?

Et puis ensuite que veux-tu veux montrer ?

Rendre accessible et régler l’écran de visualisation. Tu es malhabile. Tu tâtonnes. et donnes des à-coups. C’est fastidieux. Il faut apprendre. Et d’ailleurs pour quoi voir, pourquoi voir à 360 ° plutôt qu’en face de soi comme d’habitude et latéralement jusqu’à la limite de 180° d’amplitude en tournant la tête. Il y a devant – derrière -côté gauche- côté droit. Mais il y a aussi en haut et en bas. Il faut être un spationaute en apesanteur pour naviguer dans toutes les dimensions et surtout choisir un point d’appui fixe pour ne pas avoir le tournis . L’oreille interne est vite déboussolée – déplacer doucement l’objectif si envie. La caméra devient une bille de flipper dont il faut maîtriser la trajectoire. On peut bien sûr trouver une combine et voir ce que ça fait, ce que ça change dans la perception de l’espace et aussi pour décrire. Ralentir voire immobiliser l’objectif et le déplacer centimètre par centimètre , se transformer en géomètre méticuleux. Topologie du décor. « Lire le paysage ».

Alors , que voit un Derviche Tourneur ?

Derviche Tourneur

Tournez Manège…

Il nous est arrivé de photographier des enfants perchés sur les animaux ou les véhicules d’un manège. Ce n’est pas le photographe qui tourne , c’est l’enfant qui revient dans le champ visuel avec son visage rieur, hurleur ou crispé. Beaucoup d’enfants détestent les manèges. Il y a longtemps qu’on leur a coupé la musique d’orgue de barbarie, et enlevé le pompon des tours gratuits. On n’entend plus les harangues des racoleurs de clientèle : – Roulez, roulez, petits bolides, les amateurs de vitesse et de sensation sont priés de se préparer pour un très prochain tour !

Les manèges modernes sont clinquants mais prodigieusement brutaux et ennuyeux. Les adultes fréquemment masochistes aiment relever des défis et monter dans ces machines mécaniques et infernales.

Seules les grandes roues verticales peuvent avoir nos faveurs au jour de l’an sur la grand place. Voir la ville de haut, s’élever en douceur et filmer en tournant le volant de la nacelle rotative donne envie de capter la ville à 360° avec des pauses longues . On s’y exclame joyeusement. Tu vois çà là-bas ! Mais, non, pas là, là ! Aaaah…noooon… je ne peux pas regarder, c’est trop haut, j’ai le vertige… Aaaah…Ouiiiii… c’est beau …!

Les manèges anciens sont les plus beaux, on parle à leur sujet d’art forain. Les plus modernes ressemblent à des stroboscopes ou des paniers à secouer la salade. Que voit-on du paysage dans un grand huit ou un manège à grande vitesse ?

Et que dire du Rotor … qui vous colle aux parois et où il n’est plus question de tenir une caméra ?

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.