Il y a le tuyau gris de descente cassé béant couvert de mousse, son collier rouillé qui ne fixe rien et les gouttes qui suintent au petit matin et sèchent à midi
Il y a les herbes folles, elles brouillent la géométrie du jardin
Il y a le manguier au milieu de la pourriture de ses fruits par terre que personne jamais ne ramasse
Il y a les rats qui la nuit arpentent au flair les lieux désertés
Il y a le bout de ciel bleu une lune dedans presque ronde
Il y a le vert des feuilles
Il y a la rivière en bas qui, même à la saison sèche, continue de couler
Il y a celle qui observe le tuyau, l’arbre, les fruits pourris, le ciel, les feuilles et la rivière
Il y a celle qui sait pour les rats.
Il y a le vide, le rien, l’immobilité d’un monde qui tourne sans celle qui tient l’inventaire du vide
Il y a celle qui s’est retiré qui s’est tu qui attend
Il y a l’attente obstinée fébrile, elle pèse sur la poitrine et l’empêche de respirer elle respire quand même cigarette après cigarette comme pour devancer la pourriture et défier les dieux en mettant la main à précipiter l’agonie, elle ne précipite rien. Tout est lent, lourd, visqueux c’est comme d’être aspirée dans le vide jusqu’à suffoquer et elle n’y peut strictement rien.
Il y a le silence parce que tout est silencieux, ne serait-ce le vent dans le jardin à l’abandon, le ronronnement de la climatisation, la collègue qui cherche un balai pour ramasser les miettes qu’elle a fait tomber sous son bureau
Oui au vide plein de l’absence de quelque chose qui a forcément été amputé, sinon comment expliquer la brûlure. Elle vit et tape sur son clavier des réponses à qui lui demande de confirmer une réunion, un entretien, sidérée de traverser ça qui n’a pas de nom et d’en dresser l’inventaire comme on dompte un animal sauvage au fouet. Elle est l’absente, l’amputée, le maître des hautes œuvres, l’archive du procès, le défilé des témoins, l’agonie, la résurrection une fois qu’elle sera morte.
Il y a la pourriture qui colle à la résurrection…
De proposition en proposition, un fil décidément se dessine, au bord du gouffre. J’aime beaucoup le titre.
C’est ça Emilie le gouffre que j’explore dans la 4 du moins un des gouffres il n’y en a peut-être pas qu’un. Merci Jen c’est grâce à vous deux que je suis là sinon j’aurais encore tardé à prendre le départ
Revenir à ton « Il y a » me fait penser à un fil tendu entre tous ces textes, à poursuivre évidemment, thématique jamais épuisée. Merci pour cet inventaire du vide si bien rempli !
Un inventaire du vide qui m’est doux. « Oui au vide plein de l’absence de quelque chose qui a forcément été amputé, […] Elle vit », merci Gilda