#L3 | COMME SI TU NE VOYAIS PAS QUI NOUS SOMMES EN VRAI

INDIVIDU 1

comme si tu ne voyais pas qui nous sommes en vrai (t’obstinais toi (toi toi) à ne pas nous voir) (comme s’il y avait (P_A_N_!) danger mortel à nous voir) moi (moi moi) & mon œil de lynx tels que nous sommes (me suis-je dit) des êtres (H_O_P_!) parachutés du ciel sur ordre divin (me suis-je dit) des puissances divines décrétant (H_O_P_!) (je-ne-sais-pas-pourquoi) (je-ne-sais-pas-comment) qu’il serait temps de : précipiter sur terre quelques anges (ou créatures divines) en vue de je-ne-sais-pas-quoi (les forces divines ne frappant pas pour rien (jamais pour rien) dans leur dos (sans crier) des êtres divins choisis avec soin (précipités sur terre (S_H_A_Z_A_M & Z_O_U_!) d’un coup d’index pointé) les faisant choir (partir en vrille) (en torsade de feu) comme si leur corps & leurs ailes brûlaient (ou qu’un incendie intérieur (P_A_N_!) venu on ne sait d’où les ravageait soudainement = = par surprise) (me suis-je dit tandis que toi (toi toi) tu t’obstinais à ne voir en moi qu’un : ouvrier idiot (en bleu de travail) & se roulant (de nuit) cigarette sur cigarette sur un quai en ruine d’une gare de triage en ruine à peine éclairée par : quelques néons sales (poussifs) crépitant dans la nuit au milieu de : dix mille voies de chemin de fer se croisant & recroisant (incapable toi (toi toi) de voir qu’ici on est au cœur du monde (brother) me suis-je dit scrutant la nuit & léchant d’une langue experte le mince papier de cigarette sans prêter attention à toutes ces choses (importantes dis-tu) que tu aurais à me dire (ne supportant plus (dis-tu) de me voir (moi) (moi moi) nuit après nuit debout immobile & scrutant la nuit & tâchant de trouver dans la nuit quelque chose dans la nuit (comme si j’étais ici (précipité sur terre) (dis-tu) pour scruter la nuit & tâcher de : deviner dans la nuit quelque chose de sourd qui ramperait dans la nuit ou profiterait de la nuit pour se confondre à la nuit & répandre dans la nuit son corps fluide (à géométrie variable dis-tu) & on ne peut pas mieux dire (dis-je) (face à la nuit) ne te regardant pas & te laissant dire (débiter une à une) tes : fariboles (ou hypothèses ridicules) quant aux raisons pour lesquelles je n’en ficherais pas une (préférant m’en rouler une à nos tâches) (dis-tu) comme si l’on était payés à ne rien foutre (dis-tu) comme si l’on n’avait aucun compte à rendre (comme si l’on était payés à se les rouler dans la farine) comme si le job (C_O_O_L_!) consistait (rien d’autre) à : scruter la nuit = = déceler dans la nuit & ses odeurs de nuit (ses vapeurs toxiques indécelables de jour) ou dans les lumières granuleuses (les éclats blancs des néons se reflétant dans les lames d’acier) (les tôles sombres des trains) (les rails se croisant & recroisant par milliers) la présence d’un monstre (maléfique) (ou quelque chose du genre dis-tu) (pour une fois proche de la vérité vraie me suis-je dit)

INDIVIDU 2

& il sortit de sa poche tout ce qu’il pouvait sortir de sa poche (me rappelai-je) & il posa sur la table tout ce qu’il venait de sortir de sa poche (me suis-je dit de nuit juste après avoir rouvert la lumière) (la petite lampe sur pied répandant la lumière) (tuant la nuit & les pensées sombres) & il se dépêcha de le faire (me suis-je dit) & il le fit tandis que l’autre parlait parlait parlait & à aucun moment (c’est un fait) (avéré) il ne regarda l’autre & il ne vit pas le coup venir (n’arrivant pas quant à moi à me sortir tout cela de la tête) (l’enchaînement des faits me : pourrissant l’existence) (l’enchaînement des faits sciant mes nuits en deux) & jamais il n’aurait cru que quelqu’un le frapperait dans le dos & sans un réflexe inouï il se serait pris la table & qui sait ce qu’il lui serait arrivé s’il se serait pris la table & peut-être aurait-il mieux valu qu’il se prenne la table (l’enchaînement des faits me réveillant toutes les nuits) (de sorte que (P_A_N_!) il faut que je me lève & je me lève) & il eut des étoiles dans les yeux & il crût mourir & il ne mourut pas & le chien s’avança vers lui (c’est un fait) (avéré) & (je scrute la nuit sans scruter la nuit) (je regarde la gare de triage sans voir la gare de triage) le chien s’avança dès que l’autre avait porté son coup & c’était comme si le fait de porter son coup était un signe & le chien capta le signal & c’était comme le chien était dressé & le chien le mordit au mollet & le chien le fit dès que l’autre porta son coup (me dis-je toujours face à la nuit) (regardant sans regarder l’immeuble building de l’autre côté de la gare de triage) (ses lumières éparses allumées dans la nuit) (toujours aux mêmes étages) (toujours dans les mêmes appartements) (une silhouette d’homme ou de femme (toujours la même) s’installant alors pour des heures derrière une fenêtre) (toujours la même) (scrutant elle aussi (lui aussi) la nuit) (décelant dans la nuit quelque chose) (comme s’il fallait (la nuit) quitter son lit (scruter la nuit) tenter d’y déceler quelque chose) (ou y trouver de l’apaisement) (pensai-je encore avant de voir sans voir ces : deux silhouettes en bleu de travail) (l’un sommant l’autre) (l’autre immobile roulant cigarette sur cigarette comme si tout cela (tout ce qu’ils feraient là) n’avait pas d’importance) (ou quelque chose du genre)

A propos de Vincent Tholomé

Auteur performeur, biodégradable, biodégradé, s'enduisant l'été abondamment de crème solaire, multicouche l'hiver, rasant les murs l'automne parce qu'il craint le vent et les tempêtes, heureux comme une plante au printemps. Ses derniers livres ? MON ÉPOPÉE (Lanskine éditions) et QUARANTE JOURS DANS LA VIE DE ROCCO MCCALL (Maelström Réévolutions). Travaille actuellement à TERRES RARES, le livret d'un opéra qui, croisons les doigts, verra le jour en avril 2022. Un site ? http://uranium.be/monepopee/ consacré au livre éponyme et réalisé avec Gauthier Keyaerts, comparse dans le duo sono-verbal VTGK. Voilà. C'est tout pour aujourd'hui.

8 commentaires à propos de “#L3 | COMME SI TU NE VOYAIS PAS QUI NOUS SOMMES EN VRAI”

  1. Et P_A_N_!, artifices et feux, ça glisse et détourne le récit, ça intrigue et frustre (titille). Bises!

    • oui, c’est très tours et détours, ces temps-ci : grosse envie de lâcher la bride, de ne pas mener trop vite la barque ! on verra où elle va quand elle y va toute seule, en somme ! biz à toi, amigo !

  2. eh oui, on est secoué – et P_A_N ! – comme un bocal de cornichons, et c’est piquant et acide comme les cornichons. voix codée dans le micro de l’écriture et le vu-mètre c’est moi qui lit et oscille aux fréquences des mots et des signes de ponctuation. Chouette.

    • haha ! tâcherai dans un autre bout de fragment d’éclat de machin chose de glisser un bocal de cornichons, tiens, en clin d’oeil ! merci d’avoir pris le temps de lire !

  3. Et vlà encore des tiroirs dans des tiroirs dans des tiroirs et sont éclatants de vie. A pieds joints, je saute dedans et m’immerge.

    • oui oui : bien lu : grand envie de tiroir dans les tiroirs, ces temps-ci ! et grand grand merci de votre commentaire : ça m’incite à poursuivre dans la même veine, dans l’éclatement et dans la gravitation autour de trois fois rien ! belle fin de journée à vous !

    • cool ! merci merci ! tout cela est encore confettis, explosions en mille morceaux ! pas envie, pour l’instant, de rassembler les billes ! envie plutôt que tout cela trouve, petit à petit, sa voix/voie, tout seul comme un chef ! merci de votre lecture, en tout cas !