#L3 | Ce n’est pas couper les cheveux en quatre.

Elle. Tellement contente d’être là. J’avais peur d’être en retard. J’ai besoin d’un bol d’air, ça fait tellement d’année où je n’ai pas pu aligner deux idées à la suite? Enfin une pause, c’est énervant d’être si craintive et j’avoue si démunie. Mais j’ai toujours cette envie d’essayer, recommencer qui refait surface. Il m’a aidée toutes ces années c’est certain, mais il a été aussi mon poteau, en regardant toutes ces années on a tenu la route, il y est pour beaucoup. J’ai décidé un peu vite de venir à ce festival pour tout, le souffle d’air, rencontrer tous ces gens qui arrivent là, tout décontractés, tranquilles, qu’est-ce que ça fait d’être toujours de bonne humeur, ne pas avoir d’angoisse être tranquille, quoi ? Qu’est-ce que ça doit alléger pour les autres aussi, être au-dessus de la mélée il me disait. C’est tellement fatiguant toujours peser le pour le, toujours penser, j’en ai mare de moi. Naîve je suis ça m’énerve qu’on me le dise mais c’est vrai, ma vie se passe plus dans ma tête qu’ailleurs. Mais voilà, ces deux années de cours ont été géniales, je suis contente, c’est super par correspondance mais une semaine par trimestre on s’est retrouvé à Paris, Nantes, au Portugal une fois, dix ou douze et lui je ne l’ai vu que six fois donc, on a tellement échangé, il arrive tout à l’heure pour la conférence à seize heure trente je n’attends que ça.

Les cheveux blancs. Je n’ai pas choisi franchement d’être là, les festivals ce n’est pas ce que, trop la foule mais bon ces deux jours ce ne sera pas trop long. Autant être là il fait chaud et beau ça va m’aérer un peu. Ah les gens arrivent tout doucement il ya du monde tout de même après cette semaine passée avec ma fille ce n’est pas mal – il soulève sa casquette en tweed gris d’hiver et se frotte les cheveux réajuste sa casquette- mais elle s’en sortira, comme elle est, ils travaillent trop ces deux-là elle qui est prof en PAO avec des size dix-sept ans et lui grutier, sa grosse grue mobile qui le mène toujours sur des chantiers complexes et longs, deux mois ou trois toujours en déplacements, je m’entendais bien avec lui, les enfants sont grands heureusement, avec le temps on verra, elle est forte et sait ce qu’elle veut. Cette musique, enfin si on peut dire musique m’agace. C’est reposant de voir ces gens tranquilles, heureux. Heureux ? pas tous sûrement, mais ce lieu rend différent. J’irai bien à une conférence, celle de Jorion m’intéresse. Regarde-moi ces deux-là, elles ont bousculé cette femme, bon pas de mal. Tiens elle me rappelle ma fille, la même démarche calme, tranquille et ce même regard perdu d’il y a cinq mois quand elle m’a annoncé son divorce. Elle sourit quand même un instant fugitif, elle est déjà loin vers le stand d’accueil, je vais en faire autant, ça a du bon cette transition, après je rentre et je serai bien occupé.

Un regard ailleurs. -Pendant qu’elle est au stand un couple avec un ado regarde le programme, elle discute un moment avec la mère et voit que le jeune a quelque problème.- On est venu parce que je sais pas. Mais regarde, lui il est malade non moi je suis pas malade, trois cachets je prends mais maman m’a dit sois sage je suis toujours sage moi. Tu as vu l’oiseau ? Parti loin loin. Moi, moi, je reste là parce qu’il a froid il fait chaud après c’est tout sec, touche pas, donne, donne. Chut, tu fais trop de bruit hier on le voit mais pas moi, mon copain il vient avec moi, tu es mon copain ? Viens dans l’herbre dans l’herbe, je veux le papier, donne, donne -Il la regarde de biais par en-dessous et attend, rêveur – la terre elle tourne tourne tout le temps, c’est le soleil chaud tout le monde est mort, moi aussi je suis mort mais pas tout de suite, attends, toujours j’attends. Prête moi ton livre je sais pas lire un peu et j’oublie mais c’est pas grave, papa me dit toujours c’est bien, tu as bien travaillé, après on va dormir mais pas moi, écoute oui je comprends tout mais non non, mais je te dis après on part dimanche, c’est quand le monsieur tout à l’heure ah oui tout à l’heure.

Le neuvième de la bande. Et bien, il ne manquait plus que ça, ma voiture oh la la! je ne vais jamais arriver à l’heure. Comment je me suis débrouillé? A cinq heure? Vous aurez fini? Quel manque de pot. Ce petit bled, quoi faire, c’est vieillot, il y a pourtant quelques magasins, pas mal même, Heureusement qu’il fait beau. J’aurais marché aujourd’hui. Tiens on dirait oui c’est une librairie ancienne ils ont gardé les portes et les vitrines en bois foncé, genre bibliothèque ou librairie apothicaire, tiens c’est le nom d’une bibliothèque où déjà? À La Souterraine oui, c’est ça, « L’apothicaire » je fais une photo pour les enfants, j’en ai une complètement plongée dans Harry Potter pour l’instant, la boutique de la rue « Le chemin de traverse ». J’aime bien regarder et traîner devant la vitrine, ils ont « Boussole » de Mathias Enard, Allez, jusqu’à cinq heure j’ai le temps, pas plus mal. – Il est complètement immergé dans sa lecture, trois heures vont filer vite fait, il récupère sa voiture et file- J’aurai manqué la conférence de Paul Jorion, ça, ça m’embête. C’était très important après ces deux années par correspondance je vais avoir l’équivalence d’un master, et on s’était donné rendez-vous avec cette amie à peine connue pendant les stages à Lyon, Paris, à Lima, six fois je crois mais on a beaucoup discuté je suis vraiment content de la retrouver, elle me racontera après tout, et moi je lui parlerai de « Boussole » .