Agréable descente

Mon village est scindé en deux. Il y a Le Haut, puis Le Bas. J’habite à la sortie du haut, dans une maison de bois. De mes grandes baies-vitrées, j’ai la vue plongeante sur la vallée qui s’étend à mes pieds. Enfant, j’y ai toujours trouvé un grand terrain de jeu pour mon imagination, nourrie par toute sorte d’oeuvres fantastiques. Je sortais d’un pas déterminé pour m’engager dans le grand chemin qui traversait tout le village et la longue Route du Vignoble. J’étais au milieu des vignes. De part et d’autres, des parcelles recouvertes de raisins à perte de vue. La maison des Vincents, mes voisins, marquait la sortie de mon village par ce chemin de traverse. Arrivé à la fin du premier segment de chemin, proche de la route, à gauche les vignes et à ma droite, toute la vallée. Le monde semblait s’étendre devant mes yeux. J’y voyais des géants couchés dans les plaines, jouant avec les nuages. Le Rhône, long et sinueux séparait la Savoie de l’Ain. J’étais dans un royaume, protégé par la barrière naturelle de l’eau. L’Ain n’était pas forcément un ennemi, mais on ne sais jamais qui pourrait traverser. Un peu plus bas, un arbre solitaire avec un banc demeurait au milieu des vignes. C’était un repos pour les pélerins de Saint-Jacques de Compostelle qui montaient jusqu’à la Chapelle qui surplombait tout le village au plus haut de la colline. J’entamais la partie la plus ardue du voyage. Le chemin étaient complètement désagrégé, les cailloux glissaient, et chaque pas menaçait de me renverser, tête la première. Je prenais alors mon courage et avançait sous l’ombre de la Charve qui s’élevait sur ma droite. A ses pieds s’élevait une maison que je fixais en me rapprochant de la fin de ce second chemin. C’était un gîte, fait de bois, devant laquelle se dressait une statue d’un long manteau, sans visage. De là où j’étais, je pouvais le voir, et quelque peu déformé par la distance, il ressemblait à un spectre qui attendait au loin, guettant mon passage. J’accélérais souvent le pas à ce moment là. Une statue de bois ne m’aurait pas sauté dessus, mais dans le doute, autant sortir rapidement de son champ de vision. Je m’enfonçais alors plus profondément dans les vignes, le dernier morceau de chemin s’enfonçant plus bas, élevant les vignes à ma droite et à ma gauche. Doucement, je sortais de mon piédestal, de la vision de la plaine pour me retrouver dans cet ensemble si petit de chez moi, et si grand quand je m’y retrouvais. L’Eglise se dressait fièrement sur la place du village, en face de la Mairie. Je prenais un moment pour m’arrêter et regarder le monument aux morts de la première et seconde guerre mondiale. Le monument est surplombé d’une statue de Jeanne d’Arc, et je ne pouvais m’empêcher de la regarder, me demandant ce qu’elle pensait de ce qu’elle voyait de nous aujourd’hui. J’étais là, jeune garçon du 21ème siècle, et elle me surplombait, vêtue d’une armure, portant un étendard et une lance, symbole de justice et d’héroïsme, grande figure du 15ème Siècle. A la sortie du chemin, je me sentais à nouveau en sécurité, couvert par l’ombre des bâtiments, à nouveau revenu à une taille d’enfant couvert par les habitations, les murs, de retour à ma taille d’humain, quittant le domicile familial qui surplombe la vallée pour rejoindre mon Grand-père dans cette vallée où demeurait il y quelques minutes, géants et royaumes.