#été2023 #11bis | Le Lecteur

Témoignage d’Albert S.

J’ai dû cuisiner Aut., le travailler au corps, pourquoi, comment, le déconneur, l’aventurier de nos frasques adolescentes, adultes souvent, avait un jour pris la plume, mené à la campagne une vie d’ermite – connecté – quand je lui proposais d’autres possibles. Oh, il a fini par répondre, peu à peu, chaque réponse appelait un nouveau questionnement ! Je lui ai tiré ces premiers mots : 

– Cherche du côté des lectures. Il a ajouté – coup de pied de l’âne -, « ça te changera, des Pieds Nickelés, de Spirou… tu vas découvrir… te rappeler… qui peut savoir ? »

Ses plus anciens souvenirs de lecteur, il les a déjà racontés, je les ai lus, ici même, je cite de mémoire… « ou bien, calé dans une épaisse enveloppe de traversin, mon canoë de l’enfance, je fais halte sous la table du salon. Ayant stoppé ma course à l’aide de ma balayette-pagaie, je me plonge dans la lecture des albums du Père Castor, Frou le Lièvre, Quipic le Hérisson, Bourru l’Ours brun… » C’était un début, j’avais réussi à amorcer la pompe. J’avais compris, il fallait remonter loin.

– Cherche du côté des lectures.

J’ai tout de suite pensé à l’école, à Pasteur. Le père Mégoce avait constitué une petite bibliothèque. Le samedi après-midi, lever le doigt, un par un aller chercher son miel de la semaine, d’un rapide coup d’œil, aborder la première page (ça a commencé quand les quatrièmes de couv. ?), le faire inscrire, quitter la classe, impatient. Enfin, je parle pour lui, moi j’avais entraînement de foot. On rentrait en vélo. Il était fier, Marie Christine sur le porte-bagages, il lui avait confié son précieux Bibliothèque Verte.

– Cherche du côté…

C’était Vingt-mille-lieues sous les Mers… Toutes les dix ( ?) pages, il y avait une illustration. Comme je dessinais passablement, il m’avait demandé la copie du calamar géant enserrant le Nautilus dans ses tentacules, longtemps sur un de ses murs. Les Jules Verne, il les a tous lus, il alternait avec DeFoe, Alexandre Dumas. Avant le collège, il avait lu le théâtre classique dans la collection des Contes et Récits tirés de Corneille et de Racine. On lui offrait des Rouge et Or, aimables romans destinés à l’enfance, il préférait déjà les grands auteurs, J.O. Curwood, Jack London.

Au lycée, on se perdait de vue, on n’était pas dans les mêmes classes, dès la cinquième, mon père a dû me coller chez les frangins. Qu’est-ce qu’il lisait ? A quoi ressemblaient ses premières dissert ? Il faisait la paire avec GéGé, qui l’initiait à la science-fiction au temps du Spoutnick, de Laïka, la chienne morte en orbite, de la concurrence avec les ricains. Avec GG ils se sont faits prendre à voler des SF chez Lepape, ça l’a guéri, il est passé à autre chose, tout en gardant les yeux ouverts sur Poe et Lovecraft. Il montrait à GG des esquisses de nouvelles. Sur ses copies, le prof de lettres écrivait : « Vous marchez en gros sabots dans les avenues de la littérature ! ». Max piochait son Lagarde et Michard.

  • Cherche du côté des lectures.

Témoignage de Penelope P.

Quand j’ai connu Max Aut., il trimballait partout une édition complète des œuvres de Rimbaud, il s’essayait à la poésie, il insérait des poèmes dans ses courriers, j’en ai gardé quelques uns.

Témoignage de Béatrice L.

La collection Le Masque, les couvertures jaunes avec un loup noir sous le titre. Des amis de ses parents ne lisaient que ça. Il empruntait, Conan Doyle, Agatha Christie, Charles Exbrayat… Aujourd’hui, entre deux romans « sérieux », il se détend avec un polar suédois. A Vincennes, comme expliqué par ailleurs, nous suivions ensemble les séminaires sur le roman américain, Hawthorne, Melville, Crane…  On produisait des textes courts pour V. Sacher et Laz. Bitoun, certains ont été édités.

Témoignage d’Albert S .

  • Cherche du côté des lectures

J’avais retrouvé Max Aut. Je montais une petite boîte de pub. Je lui ai proposé une association, il a refusé. Il était déjà passé à autre chose. Il avait pris Céline en pleine gueule, Mort à Crédit, surtout, plus que le Voyage. Miller, Plexus, lu d’un trait lors d’une convalescence. Joyce qui lui inspire encore son Odysseos ; Gracq, un iceberg solitaire. Il m’en parle comme on évoque un diamant, un saphir, pour lui, Gracq est un cristal bleu, caché dans un four géographiquement insituable…

  • Cherche…
  • Ouais, je sais, depuis le temps…
  • Et tu as trouvé ?

Albert est mort, cette question en travers de la gorge. Il n’a pas eu le temps d’entrer chez Pinget, Simon, Perec, il n’a pas eu le temps d’entendre Vinteuil, il s’y est pris trop tard, renâclant devant la montagne proustienne, il n’a pas connu l’ordinateur, cet outil aiguillon de la pensée. Max Aut. cherche aussi sur son écran ce qui le pousse, le-pousse.

  • Cherche du côté de chez…

/

Un commentaire à propos de “#été2023 #11bis | Le Lecteur”