Carnets individuels | Sophie Grail

4 Décembre: #25 Fragment de corps

Peau pierre— pourtant si douces— volets des yeux— filtre-larmes— chasse poussière— cache misère — parfois battantes, tressautantes — fragiles aux courants d’air— palper les sillons optiques — plonger dans le noir — semeuses de zizanie dans la persistance rétinienne — port d’attache des cils — yeux papillonnants — surplus de peau, moelleux des yeux — stroboscope de regard vide — abat-jour, relève-nuit — plie-déplie-camoufle — retient-larmes— éclaireuse du sommeil ou du grand rideau SG

3 Décembre : #24 Attendre

Rare avance sur lieu de retrouvailles (compte à rebours presque dénombrable), cacher un peu ses émotions derrière une contenance, scruter un horizon lointain, ne sachant si l’on espère sa traversée du champ de vision , ou une surprenante approche furtive, camouflé dans le fil des pensées. Pas besoin de tortiller les doigts sur un écran, ni gribouiller , laisser vagabonder esprit et fourmillements. Occuper le regard, les gens alentour, éveiller tous les sens à détecter l’attendu. SG 

2 Décembre: #23 Dénombrer

Cuentos patrióticos 1997 – Francis Alÿs

3 sons de cloche- arrêt image CENTAINE de personnes sur la place autour DU mât.

Il arrive avec 1 mouton, on pourrait dénombrer les dalles 16×16 dans le cadre,

1 gong tous les 20 carillons, premier tour d’une ombre à l’autre 50 pas, le mouton le suit mais fait plus de pas, 4 pattes et trottinement- 80 secondes un DEUXIÈME mouton arrive , chaque tour un mouton de plus vient tourner en rond, 3 – 4 – 5 – 6 – ( 28 pas depuis l’ombre avant l’arrivée du SEPTIÈME)- 7 – 8 – 9 – impression que les battements de cloches s’accélèrent- 10- 11 – le pan de veste qui flotte, un mouton à la traîne, le 11ème court les rejoindre, un écart se creuse un peu- 12 -13 -14 – un peloton avec 4 à la traîne; recompter 15- les compter quand ils sortent de la zone cachée derrière le mât, 16, quand arriveront-ils à former une file ininterrompue, combien de moutons faut-il ? 18 toujours pas, 19 peut-être 4, 20, quoique 1? 21… n’en ont pas marre de tourner en rond, 12 minutes 50 secondes de vidéo. Plus d’arrivée de mouton, combien de tours encore?

1 est parti, puis un autre au même endroit, au prochain passage, 3 sont partis, dès que FA passera dans l’ombre compter des tours, ne pas focaliser sur le départ des moutons, tenir encore 9 minutes … 23 minutes 26 ils n’étaient plus que 4, dont 3 moutons, 2, combien de tour encore et combien dans les dernier… compte à rebours ? 25minutes et 14 secondes le mouton et FA quittent le champ de vision… Dénombrer plus précisément les pavés de la place?

1ier Décembre : #22 Perdre un livre

Évidence: perdre un livre qui raconte l’histoire d’un homme qui trouve un poème.
Comme ce livre a été lu à voix haute à une partie de la classe de CM,  attiser et recueillir l’imagination des élèves, les impliquer dans l’aventure. Discussion animée, pas si facile de perdre volontairement, l’abandonner dans la rue serait risquer un destin de déchet,(sceller?).Tout près ou très loin? Écrire un mot d’accompagnement, afin qu’une bonne âme ne le ramène pas trop vite et des coordonnées pour suivre un peu sa piste et les effets que produisent cette découverte pas si fortuite , rencontre et échos espérés.

29 Novembre: #20: Muette transaction

/Reden ist Silber, schweigen ist Gold/
Ce ne sont pas leurs oboles qui le ramèneront
Ni fleur ni couronnes on avait écrit dans l’annonce
Les autres ils faut quand même qu’ils donnent pour jauger leur chagrin,
Faux-monnayeurs de tristesse
Ses mots lui survivront, c’est ce qui me console
Et déjà les vautours conciliabulent; qui héritera de la manne des droits d’auteur ?
Dans ta dernière demeure je glisse un petit rouleau bien serré, nos lettres;
pas sûr que Charon te mène bien loin avec ça
SG

27 Novembre #18: Copier 480 signes de la géante Laurence Vilaine

L’or fait courir le monde mais le monde se trompe de course, on ne fait pas belle fortune en vidant les rivières, et surtout quand l’or est de la pyrite de fer. Aujourd’hui, à part les quelques enfants qui ressuscitent les survivantes pour jouer à se faire peur, les cailloux qui brillent n’intéressent plus personne et il n’en reste de toute façon plus guère. À part aussi Rimbaud qui cherche et ramasse ceux là que le monde n’a pas mis dans ses poches, parce qu’à courir, le monde

Aller-retours clavier papier. Première copie, confier aux intelligences logicielles le comptage de signe: baliser les réserves de précieux caractères. Extrait court, sera donc tapé sur clavier virtuel tablette deux fois deux doigts. Page marquée avec le flyer ateliers d’arts de Vevey: puisque deux mains prises faire l’effort de mémoriser, stratagème gardé lorsque la plume crissera sur le papier du carnet, s’imbiber des mots, trois ou quatre à la fois, effacements et ratures.

25 Novembre #16 | il fait froid, couvrons-nous

Le pull dinosaure vert ton sur ton, jogging bleu marine une poche qui pend à l’envers. Jupe plissée rose bonbon, doudoune rose fushia. Ensemble veste jogging PSG serré, un espace de peau de cheville, baskets dominante bleue et jaune semelles épaisses ultra blanches. Salopette vert kaki , pull laine bleu bouloché, botte de pluie boueuses. Manteau noir fourrure au col de capuche, écharpe soie, escarpins vernis. Le T-shirt blanc petits motifs révélé par le soleil, polaire noire accrochée au portail pour libérer les mouvements. Jogging noir noir noir bleu noir, jean brut délavé délavé stonewash slim fit fit rouge pat d’éph à fleur,  bottines à pompon, chaussettes à rayures, pantoufles, pantalon détente balinais enfin.

24 Novembre #15 | Cut up sonore

Pourquoi il en gracie deux le président des États-Unis et pas une? C’est gros et ça une drôle de peau une dinde. Elles mettent des plumes partout dans la chambre d’hôtel! / Avec la neige on peut jamais savoir./ C’est des petits bouts de rien dans ce carnet, là j’ai dessiné à Kiev, une vieille dame, un homme au couteau, il m’avait fait peur mais il était très gentil, …, des anges sans sexe, parce qu’on ne le connaît pas,… mais après j’en ai fait un…, mon amoureux qui dort, ma chambre chez ma maman, un bout de viande, plein de petites choses ( transcription partielle radio espace 2 RSR)/ grésillement du colrave dans la poêle, roulis du tambour de la machine à laver / je suis polytraumatisé, j’ai fait une analyse, je viens de changer ma perception de la peur, je ne comprends pas que l’on m’accuse de faire peur. On peut ficher dehors les bagnoles. Vous avez la réponse, vous tombez d’la lune ou quoi? ( émission vacarme écoanxiété) /Pour les soustractions/ ah vous êtes passé à travers du Covid, moi cette fois j’ai pas résisté, c’est ma petite de deux ans et demi, elle nous toussait dessus, petite puce/ merci de m’avoir soignée quand je suis tombée, j’ai eu des agraphes dans la tête /c’est grave de manger un yahourt perimé? / c’est le plus petit ou le plus grand nombre que l’on met en haut?| SG 

23 Novembre #14 | Rien qu’une seconde

Bascule en dromomanie, insaisissable instant où la tangente s’impose, après avoir été moult fois chassée d’un battement de cil, revers de main, haussement d’épaule. Grain de sable : trajectoire toute tracée qui vacille vers la fugue qui s’immisce dans cet instant de baisse de vigilance de toute stabilité. Seconde qui dans la balance pèse plus lourd que tout le plomb que les années te fourrent dans la tête et les ailes. S’oublier/ se réinventer/se perdre /se redécouvrir/ se seconder
SG

22 Novembre #13 | Arrêter le monde

 Ralentir un des seuls mouvements d’élan vers une possible pause de cette journée saccadée et élargir le champ de vision à ce passage piéton. J’avais le temps de passer mais lui cède, le dos voûté se relève, le sourire s’affiche jusque dans les yeux, permanence rétinienne du jour.

( repenser à la phrase de cette tête blonde du CE1 où je venais encore debugger l’ordinateur: pourquoi tu souris tout le temps? Tu souris trop…)

Énième rappel à l’ordre , du fond de classe cette fois, dos à l’arrière plan. Retour au calme après travail de groupe en brouhaha concerté. Atmosphère qui peine à se déselectriser des tensions de récréations, la neige a saupoudré les sommets, mais l’excitation est plus adolescente qu’enfantine. L’ambiance et les visages semblent retrouver un semblant de calme , puis un regard ose, détourne les autres: OK l’arc en ciel, même un peu délavé sur immeubles moches: on garde aussi

21 Novembre #12 | La grisaille, les dessous

D’abord dans la tête, ça murmure, les idées s’égrènent-engrenages de mots. Petite musique intérieure, volume accentué lors des longues marches. Plus facile d’écrire avec contrainte. 

Sinon ça bourdonne, mais la grisaille qui embourbe les choses plus qu’elle ne se prépare à fixer une quelconque lumière, c’est la légitimité de cette écriture, l’à quoi bon. Pourtant ressac du trop plein de mot, se vivre autre en écriture, fragile édifice parfois un peu casse-gueule ou tremplin euphorisant. SG

20 Novembre #11 | C’est dimanche

Fille unique, lecture compagnie des mots, première indépendance silencieuse, faiseuse d’histoires. L’été surtout deux mois de camping sauvage et de lectures en nature. Passeuse de livres ne voyant longtemps pas plus loin que le bout de la fiction, jusqu’aux rencontres avec ceux et celles qui écrivent ( et la première page du carnet élu qui commence par une adresse à Bettina, le trop-plein de lecture qui devrait me mener à l’écriture?). Écrire un peu; trop souvent pour unique destinataire. SG 

19 Novembre: #10 | Pendant que

Pendant que l’hiver est là, j’oublie les feuilles pour l’émerveillement des couleurs d’automne

Pendant que je tiens ma tasse de café je laisse à mes mains le temps de siroter sa chaleur

Pendant que je fleuris pour d’autres de froides dalles de marbres, je suis heureuse de t’avoir dispersé au milieu de tes lys martagons

Pendant que je lis une lettre au coeur d’un roman, j’oublie souvent qu’elle ne m’est pas destinée 

Pendant que je dors, j’assure à mes rêves l’immunité mémorielle SG

Et en marge de la cincentaine de caractères:
6) Pendant que je fais plus ou moins consciencieusement le ménage ( dans la tête ou la maison ) je laisse toujours un petit coin aux araignées pour tisser leur règne.
7) pendant que je suis censée faire des courses, j’ai dévié vers le delta de la Dranse, remplir ma page #10 de carnet
8) pendant que je griffonne assise grelottant sur des galets, un juvénile grèbe éprouve l’étanchéité de son duvetplumagé , guettant mon immobilité entre deux apnées.
9) Pendant que je contourne rapidement les flaques, j’espère qu’un rire joyeux sera suivi d’un gamin sautant dans les flaques ( mais je ne suis pas sûre de souhaiter être éclaboussée)
10) Pendant que je marche au milieu des fleurs des chants, mon corps se charge d’histamine, ( avec les huîtres, c’est plus rapide et plus violent)

18 Novembre: | #09 Ne pas s’attarder

Ne pas s’attarder sur les horribles visions si tu n’as aucun lever d’action | les chasser d’un revers de paupières | et te renforcer en trouvant une lutte à ta mesure | si minime soit-elle | Ne pas s’attarder sur les récriminations | figer le regard comme certains usent des polochons | sortir de soi par l’oreille tendue, pseudo-offerte | enduis ta carapace mais laisse lui des prises | agis sur les douleurs externes |  NB: les tendinites ne se soignent pas en langue de chien langue de médecin | SG|

17 Novembre: #08 | Les noms c’est du propre

C’est étrange, la semaine dernière j’imprimais et distribuais des listes des 39 noms du monument aux morts du chef-lieu, accueillais un groupe de 12 élèves pour répartir les noms à citer lors de la cérémonie, 5 par enfants et tous les 10 noms, cette mention «  mort pour la France » avec dépôt de bouquet tricolore sur le monument.

Pas de noms propres dans les rues de mon village , ni dans la ville voisine qui grossit et abrite l’école sans nom propre ( lui en attribuer un est un projet évoqué lors de la réunion préparatoire à la commémoration du 11 Novembre)

En marge du premier jour de carnet cette playlist, plus des voix que des morceaux précis: Ane Brun Lisa Ekdhal Tom Waits Joni Mitchell Robert Wyatt

liste des éparpilles du chevet instantané du 17/11 matin: Marie-Jeanne Urech, Sarah Jollien-Fardel Antonio Tabucchi Pierre Vinclair Michel Layaz Schmuel T Meyer Raluca Antonescu Eric Pessan Jérôme Meizoz Rebecca Gisler

D’un film à l’autre : hier Audrey Hepburn Fred Astaire Kay Thompson Michel Auclair Jo Stockton Dick Avery Maggie Prescott Emile Flostre Stanley Donen , ce soir Jean-Louis Trintignant Roberto Mariani Vittorio Gassman Bruno Cortona Catherine Spaak Lilly Cortona Claudio Gora Daniel Borelli Luciana Angiolillo Linda Sini

16 Novembre: #07 | Chaque visage un trait

Visage lisse, matifié, colorisé juste un soupçon, où sont les ouvertures? Vide le regard, creuses les joues, friselis de vie dans le léger froncement de sourcil | Éclipse de bouche, cette coque de téléphone lui mange le menton, à trop sourire les pommettes se relèguent en rideaux d’une comédie de roule-hausse-plisse yeux trop grands ouverts | Nid de rides en tour d’œil, sillons silhouettes qui relient le nez à la bouche, boucles blanches qui ornent le front, yeux souriants |SG| 

15 Novembre: #06 | Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que

Personne que moi n’aurait remarqué que dans cette lecture si fluide une lutte contre des accrocs de voix était imperceptiblintensément menée, que le regard qui balayait l’assistance avec une telle assuranceregularité se chargeait de petites particules qui picotaient la pupille et pailletaient l’iris, le mycelium des mots tus, emberlificote ce qui doit rester secret. SG

14 Novembre: #05 | Ciels

Drapé noir mité d’étoiles, petits points de jour à travers nuit.

Halo de reverbrume, réchauffe de dortoir à corneilles, le merle est plus matinal.

Ciel chantier perpétuel, tectonique de platane, écorce de nuage. 

Remuer n’est pas l’apanage de la nuit.

Friction ciel pleureur avant apaisement,  creux bleus plumetés de blanc.

Ciel pommelé, femme frisée ( fardée ?) sont de courte durée. SG

13 Novembre: #04 | Phrase de réveil

Moissonnée en pleine rêverie, vrombissement de tracteur interminable, préparatifs de la foire de la Saint Martin, croire échapper à la pétarade en surpressions sur l’oreiller, trop tard: défilé des impératifs du jour  / ressauts crâniens / Essayer de retenir un peu du rouge flamboyant de l’érable de Chêne-Bougerie. Laisser germer, demain peut-être… SG

12 Novembre: #03 | Il aurait fallu

Peut-être que deux ou trois pas de plus vers le lac auraient modifié le cours des choses. Envolées les barrières de froide ferraille, aux lettres détourées, pas encore le grand plongeon… trouver une voie, d’eau, vers quelle traversée, dérivée sans tangente. SG

11 Novembre: #02 | Si loin si loin

Extraire du temps qu’il reste à partager, des fragments d’accroche pour mémoires mouvantes, qui flanchent, se renforcent en enfance, oubliant presque instantanément le tout proche présent. 

/Vagues et ressac mémoriels/ sourires tentant de cacher les failles de l’oubli à coup d’intactes données chiffrées.

/Errements mnésiques/ éclipser même des pans de vie entière 

/efface-souvenir/ Tes petits-enfants, parfaits inconnus : incompréhensible et insistante présence, chassés d’un revers de main. SG

10 Novembre : #01 | l’imprévu

Repousser l’écriture du prologue, peut-être un peu superstitieusement: combien de #00TL pour aucun cycle mené au bout? Choisir le carnet sans l’écrire, le prologue se fera postface ou émergera à mi-parcours. Tâter, feuilleter, effleurer mais ne pas dévoiler celui qui semble parfaitement convenir, s’impose même : lui laisser l’interstice d’un amont. Pluie diluvienne sur le velux et pile de corrections chancelante, s’autoriser pauses musiques et lecture , finir « sa préférée » de Sarah Jollien-Fardel. SG

A propos de sophie grail

Après une grande vingtaine d’années en région lyonnaise, vis depuis bientôt une petite entre Léman, vallée verte et blanches montagnes... sans renier racines ardéchoises et tête en terres corses, balinaises ou cévenoles... dévoreuse ou passeuse de livres, clame haut et fort les mots des autres ( accompagne aussi depuis quinze ans les élèves de CM2 à jouer avec les leurs et en apprivoiser d’autres) sans jamais trop extérioriser les miens (sauf en labyrinthiques cérémonies secrètes). Alors sourire de me livrer en tiers-livre sans pseudo ni hétéronyme ... (Interviens discrètement sur Facebook via Sophie Sopibali)

7 commentaires à propos de “Carnets individuels | Sophie Grail”

    • Oh merci Laure, pour cet encouragement à partager des carnets dont l’habituelle vocation est pour moi de les égarer ou dissimuler! J’ai lu tes ciels et constate que nous avons un petit point qui pommelle de concert.

    • Merci Brigitte, touchée. Ces visages se sont construits sur le fil, dans l’urgence de la fin d’après-midi , pesant les mots juste ce qu’il faut pour éviter le trop plein…

    • Oh oui, Brigitte. Bien sûr. Ne pas s’attarder sur ce qui recroqueville. Garder l’élan ( et l’envie d’ajouter des barreaux à notre échelle.)