#P2 Décharge (en l’état)

La pilule, les papiers, l’argent, la pilule dans le café au lait, du thé déjà le matin, des palpitations, tout de même un livre, ou deux , dans le sac, dans les poches du sac, dans les poches grandes des habits, de grandes poches, les manteaux superposés, un casque sans musique et sans bruit, des trains sans aucun son, des villes de Partita, des paysages d’Asian Dub, des kilomètres avec vue, les yeux plus gros que le ventre et plus patients aussi, un sac pour mettre un corps, une penderie, la penderie de Mademoiselle Jesuisjolie, Mademoiselle Jesuisfrançaise, trop de livres, trop de livres pas lus, trop de lest, Monte Cristo à Boston, à Cork quoi ? des trousses de maquillage, des trousses de crayons de couleurs, des trousses pour l’encre, des trousses pour se faire détrousser comme au coin d’un bois, des trousses dans des trousses, le trousseau qui pèse une âne mort, une mule corse, le corps mort de la valise traîné avec peine, Agatha Christie, bientôt David Peace, toute la peine des premières amoures repassées par la case départ, des terminaux pour terminer, une gare champignon et introuvable, mercy, mercy on me, persil, Quercy, Bercy, des bouchons qui flottent, deux sur la balançoire, des éclairs dans le ventre qui illuminent des pieds à la tête, des éclairs au doigt et à l’œil convocables à l’envi, la baignoire brûlante dans la salle de bain glacée, les murs vert de Lynch, l’appartement de Cork, la machine à deux sous de l’électricité, le charbon par poignée, des bouchons qui bouchent, le divorce interdit, l’homosexualité punie d’emprisonnement, les lesbiennes qui n’existent pas, l’avortement chuchoté, un référendum sur l’éventualité de communiquer sur l’avortement avorté, la contraception avec alliance, bouchons en plomb, la tête rasée de Sinead O’Connor, une jeune femme en jaune, une jeune femme Joan, son parachute, son éternel retour, le coleslaw, la loi de Murphy, un si gros chagrin, des yeux de pandas, un fin en queue de poisson, les fils torsadés du téléphone, le lycée à sa place, les marronniers, la bibliothèque, la salle des profs, le bac, la saison, le job, le petit job, le boulot logée, le boulot ni nourrie ni blanchie, la boulange, le pain boulot, le téléphérique, l’absence d’ascension, la montagne des autres, la chambre de Cosette, le fournil derrière la cloison, l’absence de fenêtre, le regard de caniveau du soupirail, le fournil et le laboratoire, le pain dès 4h du matin, la radio, la couleur locale, le pain à l’envers, respect du travail, ça fait pleure les anges, je l’ai pas gagné sur le dos, Edgar Morin, Science-Po, la pile des livres flambant neufs, la pile pour la quille, les boîtes de thon, le scorbut, la pile pour la pile, les fringues limites, les robes de bonnes coupes, le crêpe usé et lustré, le tablier blanc, les horaires, les patrons, la patronne, l’hyperoxydation du blond, les gâteaux, les vieux gâteaux, les tartelettes aux myrtilles de deux semaines, la crème au beurre rance, la bourgeoisie du gâteau rassis, le chignon brioche, l’aigreur du timbre, la double-crème du fond de teint, la rancœur de la reine de cœur, les deux filles gâtées, les becs sucrés, les dentiers de vampire acidulés, les glaçages vert amande, les divorces, l’ouverture, les hommes du matin, les pères de famille, les pères divorcés, le fils du père divorcé, les croissants, les hommes d’ailleurs le matin, les bonjours dans la voix douce, la voix du café noir, la couette de mie chaude, la torréfaction, la chaleur humaine, la canicule, la pause à 13h, la paie perdue d’avance, la paie boulottée, la grenouille mangée, la terrasse, les hauteurs, la reprise, le thé, le salon de thé, les locations, les boîtes de gâteaux, le Bolduc, le dimanche à Combray, les rêvasserie, les rappels à l’ordre, les plateaux de tartelettes, le lent balayage, l’apprenti sorcier, la sorcière bien-aimée, la surveillance, le petit personnel, le balayage, la fermeture, le fournil, les autres esclaves, un grand et un petit mitrons, une baguette et demie, les camarades du lycée, les camarades de dèche, les camarades d’infortune, les habitués, les habitudes, les us et coutumes, le jour de repos, la soirée volée, les cheveux sales, les cernes, la marinière et le bermuda bleu marine, les pataugas, les retrouvailles, le bar à la ville, l’ombrelle du jus de fruit, le bord de sucre rose, l’odeur des vaches, la nuit étoilée, la route du retour, une mauvaise rencontre, deux auto-stoppeurs, l’embrassade, une seule auto-stoppeuse, des virages, la forêt, une allusion, la forêt, l’épaisseur de l’air dans l’habitacle, la forêt noire, une demande, l’obscurité, les phares, la forêt, le mot GENTILLE, un virage, le prix de la course, un virage, la fausse assurance, le cauchemar du loup, la peur qui se voit, la forêt, un virage en épingle, un sentier, un arrêt, un couteau, un papillon en épingle, la fin, la peur du sang, la peur de la cicatrice, une plaidoirie, une litanie, le père, l’homme qui mord, la grande tablée, la petite culotte, la honte ancienne, la forêt, la carotide, un couteau de chasse, le cœur de Blanche-Neige, la peur des marques, la peur des marques plus que des coups, le cœur d’une biche, une égratignure, un corps vide, un corps déserté, une patte dessus, la fête des fous, une décharge, des excuses, le soulagement, du blanc sur la toile bleu marine, l’épuisement, des excuses, la promesse du silence, des excuses, la phrase CE N’EST PAS GRAVE, le panneau Montchavin cerclé de rouge, les lettres capitales, des excuses, la promesse réitérée, un parking orange, les lampadaires, des lampes à décharge, le roi des trolls, le village désert, la nuit belle, la promesse rompue, le charabia, le dortoir, les visages effarés, le lit jumeau, l’escorte, la nuit sans sommeil près du fournil, le matin comme les autres, les clients, les hommes du matin, les pères de famille, les pères divorcés, les croissants du dimanche, la voix frêle, le les noeuds dans le Bolduc, le tremblement du café, le broyage des grains, le sourire peint, les yeux de biche, le mascara waterproof, la peur des regards, la peur de dire, la certitude d’avoir déjà dit, une mesquinerie, la grossièreté, le rire gras du patron, la graisse du patron, la gêne des mitrons, la cabine téléphonique, les grands-parents, le coup de feu en cuisine, le métal des couverts, l’écho de la phrase ce n’est pas grave, la plonge, la croix au couteau sous le pain, travailler c’est prier, le pain et l’eau sur toutes les tables, le pain à volonté, l’autre génération, l’autre monde, les pièces, la voix de ma mère, sa voix d’infirmière, le mercurochrome, le nom de la chose, les jambes vides, la reprise, le service, le service en salle, le service en terrasse, les plateaux tremblants, les tasses cassées, les erreurs de caisse, la punition, un balcon couvert de fiente, des sols à laver, les seaux de larmes sales, une prophétie de bazar, Cendrillon, la route à l’envers, les virages de jour, un gendarme bourru, des reproches, la liste de mes manquements, des suppositions, la suspicion des habits, la conviction des habits, la marinière et le bermuda dans un sac plastique, le témoignage, la plainte, la honte, la routine, les chasseurs alpins, la caserne, les chasseurs alpins ont gagné la guerre, les chasseurs alpins blancs comme neige, les frasques, une vieille inimité, l’exaspération du gendarme, les détails, les gros plans, la tache du blanc sur bleu marine, l’égratignure, le couteau de chasse, les chasseurs alpins, le samedi soir, les cheveux très courts comme tatoué sur le crâne, les chasseurs alpins vous dis-je, les sièges de l’Alfa, le tissu des sièges de l’Alfa, les petits carreaux, les concessionnaires, le diable dans les détails, un arrêt, un arrêt net, un arrêt sans solde, la tension, la haute tension, la tension du fil, la petite danseuse sans genoux, l’ombrelle en papier des cocktails, l’impossible permis, l’impossible concours, l’incertain avenir, un repli, un moulin, un grenier, un abri, une fiancée cassée, des retrouvailles, deux auto-stoppeurs à nouveau, les montagnes, le grand désarroi, la grande tendresse, la sérieuse tristesse, des éclairs figés, des photographies de ciel zébrés sous les paupières, les orages d’été, l’été qui continue, l’été qui dure, les points de suspensions, l’université, la chambre à prix d’or, la maison au cerisier, les mauvaises nuits, un cauchemar, la porte à double tour, le petit verrou, le cerisier coupé, un cauchemar, un couteau de cuisine en guise d’ours une fois, la reconnaissance au commissariat, les photos, l’autre victime, une toute jeune, une fiction ? une moins costaude, une fiction ? une balafrée, une fiction ? la dette, la dèche, la fierté, la bourse d’état, les cartons de conserves des grands-parents, l’invitation maternelle bi-mensuelle au buffet à volonté, les livres en début de mois, les places de théâtres en début de mois, les corn-flakes dès le 15, le lait, l’eau, les fêtes de médecine, les fêtes des ingénieurs, un sosie, un sosie en liberté, une histoire avec narratrice, la reconstitution, le simulacre, la nuit, la forêt, la femme sauvage, la décharge, la liaison grotesque, les exigences de stabilité, les exigences de durée, le rêve bavard (Fred), le petit-déjeuner ennuyeux, la jalousie hilarante (qui est Fred ?), le mépris, la rapide rupture, la fin de partie, le manteau d’invisibilité, les lunettes de Marcel Achard, les années de silences, les signes, les banderoles des avions, les livres revus, les cassettes vidéos usées jusqu’au jeu de piste, des kilomètres, des déménagements, une autre île, d’autre ils, d’autres elles, d’autres villes, des traversées du Channel, un tunnel de verre, les bris de bouteilles dans la tempête, les brumes d’alcool dans les couloirs, les retrouvailles, la boutique de soleil, les UV à Londres, l’appartement chauffé, les éclairs d’avant, la zone d’ombre, les brusques frousses, la trousse de toilette réduite au savon, savon à tout faire, bloc vert laurier, une pomme, un en-cas, la responsabilité civile, plus des pièces mais un téléphone, un carnet mais un ordinateur aussi, d’autres histoires, d’autres façons de dire l’histoire jusqu’au démantèlement de ce qui dans chaque histoire ment…

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

15 commentaires à propos de “#P2 Décharge (en l’état)”

    • Merci pour cet encouragement. Je vois bien ce que cette pratique m’apporte (déclenche, déchaîne). Elle est assez coûteuse. J’en avais déjà mesuré le coût et les gains avec PARPAING. Mais je suis sidérée que ça se lise. Que ça puisse parler à d’autres.

      • non seulement ça parle, mais ça donne envie que ça se déroule encore

        d’ailleurs, est-ce que tu l’entends lu quand tu écris? je veux dire, est-ce que tu te projettes sur scène, dans une énumération, dans ce que ça produirait cette accumulation dite?

      • C’est ce que Xavier Georgin m’a tout de suite proposé : mettre en voix. Mais tandis que j’écris ça, les accumulations, étrangement je n’entends rien (alors que d’habitude c’est tout le contraire, le chœur des petites voix, les brailles, les conversations de l’autre côté du mur…). Je vais essayer de l’enregistrer. Simplement, sans image. J’ai beaucoup retravaillé du dedans. Là, il faut faire une pause. C’est assez consistant pour un premier enregistrement, je pense. Merci de tes questions qui font avancer. Tu écris pour dire, toi ?

    • Eh bien alors, oui, c’est une bonne idée. Je voulais le faire avec FIL ( Parpaing de Phrase, l’été dernier , ou celui d’avant ?). Une bonne idée que tu as là. Merci. Ça pourrait me familiariser avec ce geste accumulateur, m’aider à lire à mon tour, à laisser de la place aux collections (ou aux décharges) des autres.

  1. C’est un feu, ce mélange, dont certains éléments nous sont cachés, ce qui rajoute à l’imaginaire…

  2. Vachement bien cet exercice Tarkos ! derrière les mots choqués les uns aux autres, des tas de sillons, regards, manques, creux et bosses. Ta décharge est particulièrement génératrice d’images.
    Merci, Emmanuelle 🙂

  3. Perdue puis plus perdue du tout ! Surprise. Me laisse faire. De plus en plus d’images, une histoire… Des virages en épingles à cheveux, c’est casse-gueule, ouf, ça passe, raccrochée. Quel voyage ! Merci, Emmanuelle. Oui, ça fait sens à la lecture et çà me laisse sur le c…

    • Au pied levé, alors 🙂
      C’est vrai que je ne trouve pas moyen de faire autrement que dans l’autoportrait sur ce type d’écriture. C’est troublant pour moi qui renâcle à raconter ma vie autrement que par fragments très distanciés (cf le Journal d’un mot). Mais j’imagine que la contrainte est si forte que je ne pourrais pas, pour l’instant, l’appliquer à un personnage. En tous cas, j’ai l’impression d’avoir appris à lire (encore une fois) et donc peut-être à dire autre chose que la contrainte dans ces textes.