#été2023 #01bis | Ecrit primal

Éléments pour se souvenir de l’écrit primal ?

  • Le bloc-notes bleu Clairefontaine qui se trouve à côté des grands cahiers cartonnés, dans le placard du bureau. Tout en haut à gauche, avec la pochette de ma seule année au collège en tant que prof de français, le trombinoscope des élèves. C’est avec lui, en fait, que ça a pris. Quelques phrases, comme ça, et puis la chute sur l’autre ligne. La reprise un cran en dessous. Et des paragraphes classiques avec retour à la ligne et alinéa.
  • L’encre bleue, au stylo plume. À l’époque ça devait être le Waterman chromé que j’avais déjà au lycée. Il a tenu longtemps. Des citations en noir, un feutre fin ? La toute première pour l’automne et pour Char. « Je me fais violence pour conserver, malgré mon humeur, ma voix d’encre. Aussi est-ce d’une plume à bec de bélier, sans cesse éteinte, sans cesse rallumée, ramassée, tendue et d’une haleine, que j’écris ceci, que j’oublie cela. »
  • Des ratures en bleu. D’autres au crayon de papier. Des mots, des propositions réécrites au-dessus des ratures. Des mots dans la marge. Des accolades, des parenthèses, des flèches, des astérisques. Des zigouigouis.
  • Titres rouges. De temps en temps, une date au noir. Dommage pour les absentes.
  • Qu’est-ce qu’il reste comme pages blanches !
  • Mais j’ai aussi en tête un bloc-notes tout orange. D’ailleurs le bleu, je crois bien que j’étais déjà là. Pas encore dans la structure, mais déjà là. Oui, je retrouve les premières vacances avec le petit, à Narbonne-plage, ces quelques jours au mois d’août où la Tramontane n’en finissait pas de souffler, on avait froid et l’eau était trop fraîche. Il y a même eu un jour de gros orages alors qu’il n’avait pas plu de l’été, j’ai attrapé la crève. Bref ! Le orange, lui, je le revois dans l’appartement de ME, rue Barrière.
  • Je revois son canapé crème en similicuir, le dossier écaillé, la table basse en bois. Je m’installais là le soir, quand ME était partie se coucher dans la chambre à côté.
  • Je n’écrivais pas devant ME. Il fallait qu’elle soit couchée, absente. Que je sois seul. Et presque rien n’a changé sur ce point. Aujourd’hui, quand ME entre pour récupérer un manuel, un cours dans un classeur, du linge à repasser et le fer, ou pour me souhaiter une bonne nuit, je ne touche plus le clavier. Je fais parfois mine de lire. Si c’est la petite, je peux continuer. Mais elle sait que sa présence me gêne et elle en joue. Elle me taquine en lisant un extrait au hasard de ce que je viens d’écrire, avec une voix modifiée comme pour un personnage de dessin animé. Ou elle ouvre le dictionnaire numérique et va chercher un mot farfelu.
  • L’ampoule au plafond était faible, j’allumais la lampe halogène, où les mouches et les papillons de nuit venaient se faire griller et ça fumait, et ça puait.
  • Le bloc orange, où je me vois écrire au crayon de papier. Mais je dois confondre avec le même genre de bloc-notes pour les exercices.
  • Des exercices de grammaire et compagnie, des analyses de textes et des sujets généraux. Au milieu de tout ça, le bloc-journal dont je me souviens à peine. Je ne sais pas du tout ce que j’en ai fait. Je l’aurai jeté. Je ne sais absolument plus ce que j’ai pu écrire.
  • J’étais en Lettres, mais le truc, c’est que je crois bien avoir commencé avant. Un peu. Avant, en Sciences. Avant ME. Dans la petite pièce d’un vieil immeuble derrière la Victoire. Rue Les Terres.
  • La rue pavée, une porte d’entrée en bois massive, le couloir plafond haut, sombre, la cage d’un grand escalier en pierre, à ciel ouvert, les toilettes sur un palier, l’entrée sur le palier du dessus, le plafond haut, l’ampoule pendue à un long fil, une cheminée bouchée, un coin douche avec un rideau à fleurs piqué, noirci, fichu.
  • Le futon pour canapé-lit, une table carrée, une chaise. Le réchaud de camping, à deux feux, et la petite bouteille de gaz sur la cheminée. Enfin je crois. Je ne sais plus où je mettais les couverts et les casseroles. Il y avait peut-être un placard encastré dans le mur.
  • Je me revois assis sur le futon, un soir, à faire un exercice d’écriture. J’étais à la fac de sciences, c’était trop difficile. J’aimais bien les pourquoi du comment en chimie, en biologie, les récits qu’on en faisait. Mais j’étais incapable de comprendre les formules. Les apprendre, oui, mais les comprendre, savoir comment les utiliser et pourquoi… C’est sûrement pour ça que j’avais conservé un peu de français et un peu d’art en option, sous forme d’atelier. Et je me revois sur le futon, à écrire sur le rêve.
  • Je crois même avoir utilisé l’image des bras de Morphée pour commencer. C’était idiot cette expression toute faite, mais vu les conditions, vu le ou les langages en fac de sciences, où je ne pipais pas facilement mot, où les images n’avaient lieu d’être que par les schémas, les graphiques, j’avais peut-être besoin de me rassurer sur ce plan-là, avec des images toutes faites. Histoire de se lancer. Histoire de jouer avec des mots pour une image. Et à l’époque, j’étais bien capable de manipuler tout ça en tous sens, un peu comme dans Les Fruits d’or, quand le personnage voit aussi dans héros les mots erre haut. Et alors mort fée
  • L’atelier d’écriture fac de sciences, dans une salle à l’étage. Lequel ? Une petite salle de classe tout ce qu’il y a de plus courant, au collège, au lycée. Les chaises d’écoliers dures, bancales, les tables idem, le placage imitation bois rayé, taché, percé, écorné. Une ou deux fenêtres donnant sur le toit plat et la pompe à chaleur d’un bâtiment, à l’ombre et les flaques d’eau. Un tableau noir. Et le type, un auteur que je ne connaissais pas, qui note deux ou trois choses dessus en nous parlant littérature, écrivains, style et figures, pendant une bonne demi-heure, et le quoi-comment d’un exercice d’écriture auquel on va alors s’essayer. Et si on n’avait pas fini, on pouvait continuer chez soi, mais il fallait quand même rendre sa copie en fin de séance.
  • Chez soi et pour soi aussi. (Mais pas que je pense.)
  • Et sur quoi j’écrivais ? Un bloc-notes ? Des feuilles mobiles ? Doubles, simples, comme pour les exercices à formules pas faits et les examens ratés ? Et puis est-ce que c’était vraiment de l’écriture ? Comment ça pouvait prendre ? comment ça aura pris ? Il aura bien fallu, à un moment donné, que l’atelier s’efface ? que l’exercice en soi disparaisse ? Qu’est-ce qui doit tomber, dans ces conditions, pour que ça prenne ? pour qu’au but, si but il y avait, le chemin devienne l’important ?
  • La semaine suivante, on avait droit à une version tapée, éditée, de nos écrits. Noir sur blanc, avec une belle fonte, pas bleu ou gris tordu sur des lignes blêmes. Et le type lisait nos écrits, sans nommer les auteurs.
  • Et avant, ça compte les petits mots doux que je glissais à Sophie ? Avec des rimes insignifiantes, bien sûr, pour épater la galerie. N’empêche, il fallait les trouver et faire attention au rythme.
  • Sophie, tes yeux bleus, tes cheveux noirs coupe garçonne, la cité scolaire, en 4e 3, sur le grand bloc de béton sous les arbres. On était assis là, on attendait le prof d’anglais. On déconnait, on était cul et chemise. J’ai glissé mon bout de papier plié en quatre dans la poche de ta veste. Je crois qu’on a fini par s’embrasser dans l’année. Une fois. J’ai oublié ton nom.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

4 commentaires à propos de “#été2023 #01bis | Ecrit primal”

    • J’ai essayé en effet de remonter le courant du texte 1 au 1bis, jusqu’au ruisseau. Mais forcément, j’ai raté des affluents et d’autres sources. J’ai le temps d’y retourner. — Merci Juliette

  1. Je trouve le  » chez soi » chez toi alors que je l’ai piqué à Françoise Renaud et que b’ai écrit sur cette notion ce matin. J’adore nos échos souterrains. J’ai beaucoup aimé cette suite et c’était comme voyager. Merci pour la citation de Char, pour l’emplacement dans le placard pour la façon dont tu racontes Sophie pour « écrire en lettres » et qu’avant tu ecrivais en sciences et je me suis demandée si avant tu ecrivais en chiffres et comment était ton texte de ce temps là en chiffres comme un message codé. Mon cerveau etait parti en voyage. Avant de comprendre que comme moi tu avais d’abord épouser les sciences. Bref merci pour cette belle lecture du matin.

    • Oh oui, j’ai dû écrire en chiffres avec Sophie, justement, qui a été une belle surprise et de la rencontrer il y a… belle lurette, et de la retrouver là, et je n’aurais pas imaginé au départ. — Eh oui, j’ai commencé mes études en sciences, et j’ai tout recommencé en lettres. C’est le saut de l’un à l’autre qui reste à déchiffrer. — Merci Anne. J’irai voir dans ton souterrain comment ça résonne.