#été2023 #04 | Poser le temps

Il est bien trop tôt pour prendre le bus et aller au musée avec les quinze élèves de CM1. Pourtant Julie a mobilisé un car Transbeauce dès le premier jour de la rentrée. Elle voulait aller au muséum d’histoire naturelle d’Aurelcastel. C’est un déplacement de dix kilomètres et les enfants sont sages à l’aller. Ils ne savent pas à quoi s’attendre, ils ne sont, pour la plupart, jamais entrés dans un musée. C’est une grande inconnue pour eux. Mobiliser un Transbeauce pour quinze élèves dès le premier jour de la rentrée. « Ça y est, elle va cramer tout notre budget » s’exclame la directrice de l’école qui ne veut, pour l’instant, rien refuser aux élèves bien que les élus se soient interrogés, lors du précédent conseil municipal, du bien-fondé de cette sortie le premier jour de cette année scolaire 2008-2009. Julie jubile et se dit que, encore une fois, elle est bien singulière. Elle se gargarise de sa singularité et veut proposer ce qui se fait de mieux dans la région. Et le muséum d’histoire naturelle d’Aurelcastel rentre parfaitement dans son projet pédagogique. Aux enfants maintenant d’imaginer comment les animaux vivent dans leur biotope. Ces enfants là ne vont pas souvent à Aurelcastel. Ils vont plus volontiers à Brou, en plein Perche-Gouet. On est toujours en 2008 et certaines élèves de la classe de Julie sont majorettes à Brou. Il n’y a plus de majorettes à Aurelcastel mais à Brou, la commune s’est arrêtée aux années Giscard avec son armurerie pour grands chasseurs. En attendant, les majorettes et les petits chasseurs de la balle au prisonnier sont étrangement sages avant d’aller au musée. Ils sont encore intimidés. C’est du repos pour le chauffeur du car qui les a connus plus remuants le matin où il les a amenés à l’école. Un nouveau bus qui fonctionne au biogaz. Cela fait un peu peur à Julie, ce biogaz qui pourrait s’enflammer. Elle laisse libre cours à son imagination, son scénario-catastrophe. Pas de parent, pour ce premier jour de l’année, pour accompagner cette sortie surprise pour les enfants. Dix kilomètres en Transbeauce sur des petites routes de campagne, sinueuses, entre plat et petits coteaux. Les enfants ne parlent pas ou très peu. Ils sont intrigués pour l’instant. Le car est silencieux. Il n’y a plus de train à Saint-Marcou. La dernière ligne a fermé il y a quatre-vingts ans. Ne subsiste qu’une ligne ou les acacias poussent en anarchie et des ponts qui ne relient plus rien. La ligne est coupée. Il y a le bus désormais et la voiture qui permet les trajets individualisés. L’ancienne gare a été transformée en logement social. Le bus passe deux fois par jour. Un le matin pour l’aller et un autre le soir pour le retour.

C’est le dernier jour de l’école et les élèves de CM1 sont déchaînés. Ils font du bruit dans le Transbeauce qui les ramène du musée d’Aurelcastel, le même musée que le premier jour de l’année. En début d’année scolaire, ils ont visité le muséum d’histoires naturelles et là, ils se sont attardés du côté de la salle égyptienne. Dans ce tout petit musée, il y a une salle consacrée à l’Egypte. Il y a même une momie qui les a fait fantasmer une bonne partie de l’année scolaire. Ils sont repartis du musée avec plein d’images dans la tête qu’ils emmènent avec eux dans le car. Ils sont bruyants. Les deux parents qui accompagnent Julie n’arrivent pas à les faire taire. Prendre un Transbeauce pour faire dix kilomètres avec quinze élèves, les parents ont eu comme un air de gâchis, comme un air d’argent mal employé. Julie a eu beau leur dire que c’est pour le bien des enfants, que c’est leur première entrée dans un musée et que voir un musée aussi riche ne peut que leur faire du bien. Tout le monde n’est pas de cet avis, à commencer par certains élus qui commencent à regarder à certaines dépenses à l’école alors qu’avant, le budget de l’école était sanctuarisé. Difficile d’apporter de la culture à une population qui n’en veut pas forcément. C’est le dernier jour de l’école et le dernier voyage de l’année. Après le musée, les élèves de Julie apprendront à réaliser des hiéroglyphes. Dans le car, tous pensent aux phasmes qu’ils vont désormais devoir quitter. C’est le dernier jour de l’année scolaire et le dernier jour dans la classe de Julie qui les a emmenés pendant toute une année dans son projet pédagogique avec des phasmes, des animaux dans leur biotope, la tenue d’un potager et des leçons de choses qui ont appris aux enfants à apprivoiser certaines choses de la vie. Oh, ce n’était pas forcément grand-chose, mais c’étaient des petits points de détails qui ont donné du corps à une année qui s’est révélée riche de découvertes. A commencer par l’écomusée de la haie qui a servi de support aux leçons de choses. Et de cela, les enfants s’en souviennent encore dans le car qui les ramène à Saint-Marcou. Cette année, ils ont délaissé le city park pour investir la haie qui ceint le village. C’est l’été et, lorsque le car les ramènera à l’école, ils iront cueillir les petits fruits rouges de la haie pour les ramener chez eux.

A propos de Elise Dellas

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