#été2023 #08 | absence et classifictions

L'extension se développe dans cette proposition 8. J'ai d'abord repris l'ensemble de mon texte écrit les 13 étapes précédentes (principale et bis), retiré des personnages, recentré l'histoire. Puis j'ai procédé à l'extension, creusé. Non pas un lieu proprement dit, plutôt les personnages d'Eva et P., imaginé comment ils vivent de transferts fabuleux. Quelques retouches de ponctuation à prévoir .

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À 22 ans 9 mois et 5 jours le 10 février 1972, c’est un jeudi la lune est en forme de croissant depuis 3h50 du matin, le soleil se lève à 6h56, Mercure à 06h55 avec 99% de la surface illuminée dans un angle de -4° 35′ 47,4″ avec le Soleil, la distance angulaire entre Vénus et le Soleil serait de 39° 31′ 20,2″. Mars serait vue se lever à 09h39, le lendemain une dépression très creuse se forme au sud de la Bretagne et se dirige vers la Bourgogne, les vents atteignent 172 km/h, les dégâts sont considérables. Une tornade de type F2 est observée le 12 février 1972 entre Bessé et Charmé (Charente). Sur un trajet de 3 km, cette tornade provoque de gros dégâts et la mort d’une personne (une jeune femme sortie pour aller dans son garage et tuée par les débris de sa toiture). Deux autres personnes sont blessées. Un garage neuf est pulvérisé, la charpente d’une grange soufflée et emportée. Eva ne donne pas d’information sur Castor, Pollux garde le secret. Il y a cette dépression très creuse qui traverse la France, et l’heure sombre de Castor. Alors qu’il rentre à La Rochelle et se trouve au large de Chassiron, le René Gabrielle se perd corps et biens lors de la tempête avec les 4 membres de son équipage.

Deux mois de grossesse, ventre à peine visible le jour de l’enterrement, il s’arrondit, les premiers mouvements visibles, c’est une fille, premiers cheveux, tête en bas, doigts et visage se distinguent pendant que le corps du père absorbe avec lui une partie morte d’Eva, creuse des souvenirs qui peinent à le devenir. Ils luttent pour exister, pour disparaître sans laisser de trace. Eva ne sait pas quel silence dessiner autour du père. Elle dessine une page blanche. Les premières affaires de bébé sont prêtes, le lit installé dans une petite chambre par Pollux. L’amoureux, le suicidé, le géniteur, l’absent à perpétuité, Eva et Pollux liment son image, suivent au jour au le jour le ventre d’Eva et la forme improbable d’années à venir.

Le 16 septembre 1972, c’est un samedi, ce mois de septembre 1972 en compte cinq. Essie sort sa tête du bassin d’Eva qui la pousse et pousse une dernière fois pendant que les mains de la sage-femme supportent et tirent doucement Essie. Un accouchement dans la douleur, difficile de savoir. Un accouchement. elle veut ce bébé. Essie absorbe sa première bouffée d’air, envoie son premier cri, pose ses yeux sur la peau d’Eva. Pollux pose ses yeux sur elles deux. Il signe, peut la reco-naître et naît à son rôle de père. Ils sont deux, lui et l’absent qui l’a mise en vie mais pas au monde. Pollux l’ami fidèle joue son rôle et à partir de ce jour, il ne s’appelle plus Pollux, il est P.

Eva sait que toutes les femmes ont à parler, à décider de leur grossesse. Mais sait-on si elle fait partie des 6 % de femmes qui ont accès à la contraception cette année-là ? On sait seulement que parmi elles 2 femmes sur 1000 vivent dans des milieux populaires, qu’Eva scinde un avant et un après à partir duquel elle ne parle plus d’avant. En avril, elle sent le souffle d’un manifeste lui donner de l’élan. Elle n’est pas victime, quelque chose emmène son deuil au-devant d’elle, le manifeste de 343 femmes qui ont déclaré : « J’ai avorté » pour qu’un mur tombe, que les femmes décident leur grossesse.  « Le torchon brûle » l’informe, lui ouvre un espace de dialogue. En octobre, c’est le jugement de Marie-Claire Chevalier au tribunal pour enfants de Bobigny qui fait la Une du journal. Madame Halimi défend la jeune femme de 16 ans pour avoir avortée à la suite d’un viol. 500 femmes ont été condamnés l’année précédente, le fameux article 317 interdisant l’avortement les condamne. « Y’en a marre », Eva tient contre elle ses convictions, c’est une femme libre. Ce n’est plus Eva en retard sur elle-même, sur le monde à connaître autour d’elle. Il y a le ravitaillement de courses à répartir équitablement avec P., la préparation des repas à rééquilibrer, les machines à laver et le repassage à distribuer un jour différemment, le ménage à démocratiser… Les couches à changer, la toilette d’Essie, les biberons, c’est un début.

P. vit dans les classifictions, dans les origines dans les embranchements dans les vertèbres. C’est comme une généalogie, l’arbre vivant des espèces où nous entrons. Nous tenons ensemble dans une catégorie nos points d’être se rejoignent. Dans les métazoaires nous sommes plus d’un million d’espèces ensemble et cela nous fait du bien de se sentir aussi nombreux. Nous sommes très nombreux à nous ressembler  dans la catégorie pluricellulaire où nous vivons dans un monde plus ouvert aux différences car nous avons à l’origine non pas un seul noyau qui nous tient mais nous naissons déjà pluricellulaire et c’est comme si plusieurs spermatozoïdes entraient dans un même ovule pour ouvrir une identité plurielle dans ses classifictions loge une part de désappartenance et réappartenance à une catégorie nouvelle car nous tenons quoi qu’il en soi sur terre comme eucaryotes, comme une cellule avec un vrai noyau et non pas sans rien, sur une cellule unique, en forme protozoaire. Nous avalons nous ne fabriquons pas notre matière organique à partir de la matière minérale, est-cela que font les morts quand la terre les entoure, nous avalons dans un grand régime alimentaire commun. Nous sommes terriens mais bilatériens depuis l’origine, nous habitons une symétrie, une maison à deux faces pliables l’une sur l’autre, peut-être une face de vie une face de mort, une partie droite une partie gauche, et P. est un père arbre avec une partie génétique protozoaire et une branche pluricellulaire de bilatériens. Il y a deux trous, deux orifices qui nous séparent tous, un plasma proto mono un monde-un comme nous voudrions y tenir comme un être d’un seul noyau d’une seule cellule d’une seule face, sans cordée pour éloigner nos bouches de l’anus, différer notre faim de son excrément, notre vie de notre mort. Nous voulons protostomir vivre prostostomiens quand la bouche se forme d’abord, quand nous ne sommes que bouche, qu’orifice unique, que bouche-vulve sans os en noyaux pluriels et libres de leur corde de leur colonne de vertèbre qui les tient en position dorsale nous ne voulons plus attacher nos vertèbres à notre squelette comme un arbre sans choix. Nous, osseux, nous, craniés, nous les craniates et les vertébrés comme si tout pouvait changer dans un crâne cartilagineux des fluides des formes libres des liens non génétiques des identités hybrides. C’est au fond ce que P. pointe quand il montre la classe des vertébrés du bout d’une baguette sur l’affiche de la classification animale, certain qu’il est père d’une nouvelle manière qui n’existe pas. 

Pendant que P. parcourt le règne animal progresse dans les distinctions et points communs de plus en plus subtils entre espèces animales, cherchant au fond de nouvelles différences comme si un détail avait pu être oublié dans l’histoire et qu’une catégorie nouvelle pouvait exister qui le redéfinirait lui, père sans filiation génétique de l’espèce avec sa fille, père passé par le mort et rattaché aux vivantes sans cordée. Pendant que P. n’en finit plus de séparer les vertébrés des autres êtres, de montrer ce qui nous rapproche et nous éloigne, surtout ce qui nous rapproche dans l’espèce, ce qui les réunit Eva, Essie et lui dans l’espèce animale. Pendant sa procréation assistée d’une famille nouvelle, une famille sans squelette, ni vertèbres, une mère et sa fille englobée dans une même bouche morte, le père disparu, le père d’une seule face de mort en os en proto monde mort sans bouche ni excrément en trou unique en crâne et en cordée, c’est P. qui reprend les catégories des espèces animales comme un schéma de la vie quotidienne. Si les catégories se dessinent, s’affinent, les membres du règne animal existent comme un corps naissant un corps en formation d’animal, un corps vivant. C’est le travail de P. dans la lutte pour l’espèce dans la lutte pour l’espèce contre la mort de Castor qui s’en est soustrait comme on saute d’une catégorie à une autre comme une branche tombe alors que c’est l’arbre qui doit tenir les branches. On ne décide pas contre l’espèce de son corps d’animal. P. explique et réexplique le règne animale à plus soif comme un grand vivant supérieur qui peut sauver la perte, le manque. Un grand vivant fait de branches qui se ramifient jusqu’à englober tous les êtres en un seul ensemble un tenant qui subsume même jusqu’aux os du mort, son squelette, sa corde et ses vertèbres, son crâne dessiné comme une présence à sa place dans l’espèce. C’est comme ça que P. rend son culte bilatéral face vivants face morts et lutte contre deux vies anéanties prêtes à crouler sous l’absence du père échappé en pleine grossesse.

Pendant que P. déplie sa lutte pour l’espèce, lutte contre le sort des vivants qui chutent, contre la tristesse et le désespoir et le fracas de la non-vie de Castor, Eva prend le temps car il faut du temps pour comprendre la composition de la matière végétale comment de rien de l’invisible de l’air qui nous traverse de la lumière qui nous baigne de photons et de carbone la plante transforme produit de la matière comme de la vie qu’elle façonne et nous envoie de l’oxygène pour notre air. C’est ce cycle invisible des vivants du végétal autour de nous qui nourrit Eva tisse autour d’elle un cycle continu entre ici et ailleurs entre nos pieds sur le sol, notre corps vertical et la terre en dessous, la terre où nous sommes en cycle continu par le cycle du règne végétal, le cycle de l’eau, des pluies, des fleuves, des plantes, de la biomasse entre l’atmosphère et le sous-sol. Il y a toujours des chloroplastes, des organites où se déroule la vie, où les cellules accueillent leurs compatriotes pour enfanter une molécule nouvelle et de la chlorophylle, de la sève, de la cellulose. Il y a sous la vie, quels que soient les choix qu’on fasse, une rencontre de photons et de chloroplastes qui se poursuit en silence, plus forte que le non que les humains disent à leur être, un règne du corps végétal à nos côté, en tissus et photosynthèse, en continuité d’être entre nous et le corps du monde où nous vivons. Nous nous enveloppons dans le règne végétal qui nous héberge fraternise nous relie au compost à l’être en compost en matière communicable par la terre que nous sommes une matière come un corps unique que nous habitons nous sommes terriens terre-rien en nous partout du sol à la tête nous coulons en putréfactions, nous sommes habités d’eau nous absorbons. Quelque chose nous est fraternel la chlorophylle un éclat de possible où le temps va vers sa couleur sa matière sa forme et son élan végétal.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.