## été 2023 #08 bis | Laboratoire photographique

Dans l’obscurité feutrée du laboratoire photographique, il se tient, silhouette énigmatique, aux mains nerveuses et aux yeux encore brûlés d’une passion intemporelle. Dans cet espace hors du temps, les gestes se fondent dans une chorégraphie mystérieuse, comme si chaque mouvement était une danse sacrée en communion avec la photographie Les rayons lumineux de l’agrandisseur projettent l’image négative qui se déposent délicatement sur le papier baryté , marquant l’instant où l’image émerge de l’ombre, telle une apparition éthérée. Les ombres et les lumières dansent sur le papier, formant une symphonie de contrastes, des espérances aussi visuelles que captivantes Il plonge le papier imprégné de lumière dans le bain de révélateur, laissant l’image monter progressivement d’abord les noirs les ombres les plus denses puis peu à peu les détails des gris jusqu’aux blancs de la scène capturée par son objectif. L’image émerge d’abord rapidement puis semble se stabiliser mais l’œil exercé sait patienter encore pour obtenir un peu plus de matière dans les zones les plus surexposées et ce pendant tout le long de l’opération c’est comme si le paysage prenait vie sous ses yeux, oscillant entre netteté et flou, entre passé et présent Avec minutie, il ajuste les durées d’exposition en comptant les secondes mentalement, en retranchant ou augmentant leur nombre, comme un alchimiste en quête de la formule parfaite. Chaque essai compte, chaque infime variation dans le processus crée une image unique, empreinte d’émotions et de mystère Les bains chimiques sont le théâtre d’une alchimie subtile, où les noirs et les blancs les gris se mêlent, où les nuances s’entrelacent, formant des tableaux qui défient la logique linéaire du temps. Chaque épreuve devient une œuvre d’art singulière, un fragment d’histoire figé dans l’éternité Et par les diverses tentatives dans lesquelles il se lance acharnée, chaque tentative est comme un fragment de ce moment pris au travers l’optique photographique Les mains agiles se déplacent dans une presque obscurité, sa lampe rouge prodigue aux bains dans les cuvettes des reflets de sang, ici c’est cinquante personnes allongées sur le sol de la gare routière de Quetta après que l’armée ait tiré depuis les toits à la mitrailleuse, là c’est un soldat brûlé de la tête aux pieds par du napalm soviétique, son regard fixe l’objectif, il n’a plus de cil ni de sourcil Par la fenêtre il entend les bruits de la ville, les klaxons des rickshaws des rires d’enfants dans la cour d’une école toute proche Le soir il retrouve les lueurs pisseuses de la salle de restaurant de l’hôtel Osmani sur Jina Road, la lueur glisse sur l’arrondi des brocs d’étain, une odeur de cardamone flotte dans l’air Puis il ouvre au crépuscule les fenêtres d’une autre chambre à Karachi et voit dans le ciel bleu sombre des martinets effectuer leurs ballets rapides et bruyants Et les gestes s’enchaînent avec une grâce presque hypnotique. Il ouvre avec fébrilité l’emballage des boites d’Agfa qu’il jette à même le sol du laboratoire pour ne conserver que la boite de carton. D’un coup d’ongle il tranche le scotch qui libère le couvercle, déplie d’une main sure l’emballage de plastique noir, la pulpe de ses doigts toujours sèche étrangement quand il touche papier et film sent immédiatement la couche argentique, il extrait ainsi feuille après feuille qu’il place sous l’agrandisseur, tourne la mollette de la mise au point, se baisse pour examiner la richesse du négatif au compte-fil et au passage s’assure de la netteté des premiers plans. Les images prennent vie, se superposent, se transforment, créant une danse éphémère et envoûtante Dans ce laboratoire, il se perd dans un monde où les frontières entre le réel et l’imaginaire s’estompent Est-ce là des témoignages d’une vie réelle ou d’une existence totalement imaginaire il aurait peine à le dire, d’ailleurs il ne le dit pas, il n’en parle à personne, il sait que personne ne le croirait et peu importe Les souvenirs se mêlent aux rêves, les scènes du passé se confondent avec les visions du présent. Il se revoit des mois plus tôt prendre le bus à la porte de la Villette, c’était une belle journée, elle l’avait accompagnée jusqu’à la gare et c’était son visage qu’il avait vu en dernier avant le grand départ et aujourd’hui où il écrit ces lignes ce visage est devenu flou, il n’arrive plus à retrouver comme autrefois avec autant de netteté tout ce qu’il avait cru y apercevoir aveuglé par ses illusions, aveuglé par ses sentiments tellement convenus Sur les images qu’il développe des visages de femmes et d’ hommes apparaissent et disparaissent, des visages inconnus deviennent familiers, comme des fantômes éphémères surgissant des profondeurs du papier photographique mais de cette familiarité il connaît la ruse Elle ne vient que du fait d’avoir développé maintes fois les mêmes images à s’en brûler les doigts sans jamais toutefois à parvenir à obtenir L’image tant espérée Il fixe les épreuves, scellant ainsi leur destinée, tandis que les images s’imprègnent dans sa mémoire L’odeur des produits chimiques se mêle à celle des souvenirs, créant une expérience sensorielle unique, où le temps se perd dans les volutes d’un présent éternel Les photographies sèchent lentement, comme des toiles fraîchement peintes Les détails émergent avec une clarté éblouissante, tandis que d’autres s’estompent dans un flou évanescent, comme pour rappeler que certaines histoires restent à jamais inachevées Peut-être que finalement il ne s’agit pas d’une image seule mais de tout ce qui nous entraîne vers elle sans jamais la trouver peut-être que c’est cela le travail réel, accumuler des essais des ratages autour d’une réussite imaginaire Peut-être alors lorsqu’elle disparaîtra qu’elle sera chassée une bonne fois pour toutes de l’esprit il en sera de ces notes photographiques comme de fragments terriblement plus authentiques de tout l’égarement qui l’a conduit au bout de ses rêves sans les atteindre Dans ce laboratoire photographique, il est à la fois créateur et spectateur, témoin privilégié de ces instants saisis au vol. Les images prennent vie, chacune dévoilant une part de lui-même, une part de l’âme du monde qu’il explore à travers son objectif Il est déçu si souvent de ses cadrages, de ses moments de prise de vue où il comprend qu’il s’est fait berné par le sujet lui-même, comme il s’est laissé abusé par l’air du temps ça ne dure que quelques instants un peu de nostalgie envahit la pièce et s’associe à l’odeur du révélateur, du papier Ce qui l’intéresse désormais dans ces images il ne le sait même plus, il voudrait qu’elles soient seulement bien tirées chacune honnêtement développées comme un bon artisan saurait le faire et s’en contenterait Et lorsque le dernier tirage est terminé, il contemple avec émotion l’œuvre de sa création, ces images qui racontent des histoires, qui révèlent des émotions, qui capturent l’instant fugace d’une réalité en perpétuel mouvement. Seulement cette histoire il sait que ce n’est pas tout à fait la sienne, que c’est une forme d’imposture que l’époque et la mode lui ont volé les seules images qui comptent réellement Il chasse de son esprit ces idées moroses désormais qu’il écrit à des années lumières de distance cette scène Il éprouve de la tendresse pour ce petit jeune homme de 26 ans qui s’en est allé seul à la rencontre de sa propre réalité imaginaire Dans ce laboratoire photographique, le temps semble suspendu, et il sait que, dans ses épreuves, il a capturé une parcelle d’éternité, une parcelle de vérité, une parcelle de vie Et, dans le clair-obscur de son univers, il continuera d’explorer, d’expérimenter, de révéler les mystères cachés derrière l’apparence des choses, car la photographie est pour lui bien plus qu’un art, c’est une quête incessante de la beauté et de la vérité, une quête infinie d’émotions figées sur du papier, une quête éternelle d’expression et de sensibilité dans un monde en perpétuel mouvement Il sait désormais que ce qui compte ce n’est pas une seule image mais tout un faisceaux, un kaléidoscope toujours en mouvement et qu’on ne saurait arrêter que de façon arbitraire ou empirique, dans le but de raconter une histoire , mais une histoire cela n’a pas grand chose à voir avec la vraie vie avec la réalité.

A propos de Patrick Blanchon

peintre, habite en Isère entre Lyon et Valence. Rencontre du travail de F.B via sa chaine Youtube durant l'année 2022, et inscription aux ateliers en juin de la même année. Voir son site peinture chamanique. De profil je suis : Discret, bargeot, braque. Et de plus en plus attiré par la réserve, la discrétion , et ce plus je lis et écris. Deux blogs, dont un que j'ai laissé en jachère. https://peinturechamanique.wordpress.com/portfolio/voyage-interieur-patrick-blanchon-artiste-peintre/ En activité encore pour l'instant : https://ledibbouk.wordpress.com/2023/12/15/ambiguite/ Ce sont des sites gratuits, bien désolé d'avance si vous y voyez parfois de la pub.

3 commentaires à propos de “## été 2023 #08 bis | Laboratoire photographique”

  1. « Les bains chimiques sont le théâtre d’une alchimie subtile, où les noirs et les blancs les gris se mêlent, où les nuances s’entrelacent, formant des tableaux qui défient la logique linéaire du temps ».

  2. Grand merci Patrick. Émotion intense de vérité des mots qui me renvoient à mes années de labo photo. L’importance de tendre vers, de la quête. Merci encore !