#été 2023 #02 | la terre travaille

Entre les doigts, friable et drue, mottes d’un marron clair ensemencé de chimiques, elle te souffle ses granulés de poussière en plein visage. Elle n’aura jamais tort, la terre. Encerclant tes pieds de ses sillons de sable, elle t’enveloppe de rainures, de frissons, de fracas contenus. Sa mésentente est sourde, mais elle sait te parler dans les cheveux, de plus en plus sèche et claire, jamais coagulée d’eau lourde, en manque de sang, de chair, de fierté noire, elle ne pèse plus grand-chose, toute craquelée, perlée d’ombres couchées sur elle, plantées dans ses flancs comme un viol. Elle doit à présent faire tous les jours avec les brèches, les craquelures profondes qui lui font autant de bouches causeuses et malsaines. Petit village de criques acérées qui l’assèchent, la tordent entre tes doigts, c’étaient ces mains-là, tes mains d’ado, toi l’ado qui n’en avait cure, au moment où elle souffrait le plus, où tu aurais peut-être pu la sauver. L’ado oublieux des offrandes. Il aurait fallu pourtant vous soulever de la terre, comprendre l’intolérable, toute l’assemblée des adolescents de la terre, hurler ensemble contre brutalités, contre charmes chimiques, contre fruits flambants neufs, contre glissades de brillance, contre l’inépuisable infligé. Aujourd’hui c’est trop tard, les causeuses se sont infiltrées dans les sondes et les nappes, elles rigolent en marche-trappes, usent leur cyanure, leur méthane, leur fausse cajolerie douteuse, elles râpent la peau, crevassent le suc de ses tumeurs, elles tuent les limaces, braillent aux oreilles, fendent la poire en mille bris de salopes, au plus dedans de la terre, exultent et fauchent, aux moindres gouttes osant passer elles font barrière, sucent la moelle, tombent aspirent jusqu’aux sous-sols.

C’est devenu trop tard entre tes doigts. Mais attends, attends encore.

La marche de la terre.

Elle n’a pas dit son dernier mot dans tes cheveux.

A propos de Françoise Breton

aime enseigner, des lettres et du théâtre, en Seine-Saint-Denis, puis en Essonne, au Cada de Savigny, des errances au piano, si peu de temps pour écrire. Alors les trajets en RER (D, B, C...), l'atelier de François Bon, les rencontres, les revues, ont permis l'émergence de quelques recueils, nouvelles, poèmes. D'abord "Afghanes et autres récits", puis en revues "Le ventre et l'oreille", "Traversées", "Cabaret", "La Femelle du Requin"... Mais avant tout, vive le collectif ! Création avec mes anciens élèves d'Aulnay-Sous-Bois de la revue numérique Les Villes en Voix, qui accueille tous les textes reçus, photos, toiles...

2 commentaires à propos de “#été 2023 #02 | la terre travaille”

  1. Ayant lu le #2 bis de l’abeille avant le #2 de la terre abîmée, ce texte sonne d’autant plus fort.