#été2023 #03 | Blanche

Une autre nuit, une autre nuit parisienne, en trombes la pluie tombe à 1 mètre de celle qui écrit fenêtres d’été ouvertes et au  bout de la rue, elle entend, battements sourds et répétitifs d’une fête.

Écrire dans la perte de la langue. Écrire dans son bégaiement. Écrire depuis ce qu’il y a, non de ce qu’il devrait y avoir. Voir alors ce qu’il y a. Écrire depuis les rives de la perte de ma langue, depuis mon bégaiement. Dire la langue même comme symptôme. L’exposer. La langue d’avant le polissage, la mise au pas.

Est-ce que toute langue ne navigue sur sa perte.

Oh, je parle ici de la langue individuelle, privée, de la langue de chacun.

Si nous ne sommes plus sûrs du nom de celle qui une fois encore écrit dans le noir, nom que je vais vous rappeler, soyons sûrs de son sexe : féminin. Elle, est Sonia, Delarue, l’autrice, l’auteure, l’auteur. Le sexe, lui, est sûr et certain.
Sonia Noire Delarue. La voilà.
Seul lieu de l’absence de doute, son sexe, son être féminin, laissons-le lui.
Hier avant-hier demain aujourd’hui là maintenant tout de suite après-demain pour toujours et à jamais, féminin, petite fille, femme. Elle y tient.
Sonia.

(Il n’y a pas la haine de son propre sexe, en revanche, il y a un grand goût de l’autricité (pléonasme)).

D’ici à ce qu’on la diffame. Se rendre compte de cela déjà c’est pas mal.

Sonia s’est installée un creux de la nuit, à Paris cette fois. Période des vacances oblige, l’autrice bouge.

Revenons au lieu précédemment décrit, c’est de lui qu’il convient de dire un mot de plus. Le laboratoire blanc. Où l’autrice fit apparaître une figure dont elle tarde à faire un personnage. La figure d’une petite fille, d’une jeune fille de quatorze ans possiblement, ou de quinze ans plutôt, ou de seize, malheureusement. Il y a tout en elle à ce moment, encore tellement en elle de l’enfant, dans cet indéfini où elle se trouve, cette sorte d’indéfini, dans ce pourtant excessivement féminin, petite fille, jeune fille, même si la jeune fille est plus pénible à évoquer, qui dans son exploration de ce lieu blanc, découvre une trappe au plafond, la soulève, y monte, s’y installe et alors ressent ce terrible désir de rester là, cachée, dans cette soupente, de ne plus réapparaître. Au monde ne reste que ce désir, qui prend tout, et ce désir est blanc, aussi blanc que le laboratoire, il est sans sentiment, sans sensation, sans couleur, neutre, il s’impose à elle, et durant une heure peut-être, elle reste là, assise dans la pénombre, ayant refermé la trappe derrière elle. Et si elle est jeune fille, alors elle se sent, je la sens très petite fille encore. Dans ce lieu-là, dans ce qu’elle fait à ce moment là, elle est petite fille. Elle redevient, elle retourne.

Et ce qu’elle serait comme jeune fille, serait refoulé, complètement. Quelque chose éventuellement comme tout le malheur d’être jeune fille, comme cette sorte d’horreur, ou d’extériorité à soi. Que cela vous arrive, que des choses se soient mises à vous arriver.

Quand elle se mure dans le mur, quand elle se terre sous le toit, elle redevient petite fille. Elle rejoint quelque chose de son être. Et elle a l’idée de ce fantasme qui consisterait à pouvoir voir sans être vue. Cela la prend, cette terrible envie qui consisterait à voir tout son saoul et à n’être pas vue.

Tout ça est neutre, irréel, silencieux.

Irréel est le bon mot.

Probablement un nom la ferait-elle passer de figure à personnage.

Maintenant, il faudrait arriver à sortir de ce laboratoire. Je ne suis pas sûre que ce soit sa mère à la petite fille, à la jeune fille, à la jeune Blanche, qui soit venue la chercher. Non elle est redescendue de sa cachette, et sera remontée, mine de rien, rejoindre sa famille.

Traversé le dépôt, pris les escaliers, grimpé, passé l’atelier, grimpé, le palier, la porte, sa clenche métallique, ouverte. Et tout de suite, l’impatience du père à son égard, l’exaspération exprimée, c’est bien vrai qu’elle est devenue jeune fille, la petite n’éveillait pas cette exaspération. L’impatience à cause de son retard. Elle ne dit rien, elle traverse le salon, elle les rejoint à table où ils étaient 4 à l’attendre.

Donc, il y a le père dont il va falloir dire quelque chose, et on le tentera, même s’il semble bien que tout son personnage, à lui, tienne dans ce mot : père. Que ce mot-là à lui seul suffirait à le désigner, à le faire apparaître, qui est-il, il est le père, il est d’ailleurs barbu.

Mais il faut d’abord, encore que je vous dise, le souvenir, la présence absolument fantomatique de Blanche. Cette devenue jeune fille, abondamment, excessivement, toute encombrée de son corps, dont elle maîtrise et jouit pourtant parfaitement de la conduite, de la manipulation intérieure, ce corps qui dit d’elle plus qu’elle n’en sait elle-même, et alors qu’elle se maintient dans cette zone de non-savoir, ce corps qui de l’intérieur connaît les rôles, les rôles qu’il est à sa portée et à son plaisir d’adopter, ce corps adopte toutes sortes d’attitudes qu’elle n’est pas loin d’observer de son côté, comme les autres, éberluée, muette. Quel corps joue-t-il, rejoue-t-il. De l’intérieur, il invente. Des attitudes, des postures, qui sont plus fortes qu’elle et qu’elle n’est pas loin d’admirer, elle adopte ce qui s’impose à elle, et qu’il lui est physiquement agréable d’adopter. Une arrogance, disons.

Une arrogance, principalement. Qui lui vient de ce corps de jeune fille. Dont il n’est pas du tout dit qu’elle l’aime. Mais il a toutes sortes de capacité de jeu, de cosplay, et il faut qu’elle se défende. On n’en dira pas plus pour le moment, mais tout ce que son corps est devenu la met sur la défensive, l’y oblige.

Et alors que c’est vraiment en fantôme qu’elle a grimpé les escaliers, dès qu’elle a poussé la porte, qu’elle a entendu les protestations du père, tout le rôle s’est mis en place, a pris possession de ce corps tout en en jambes, en fesses, en ventre, en seins, en cou, en yeux, en cheveux. Et par dessus tout, en vêtements extravagants.

Lui, le père, à ce moment-là, c’est comme s’il n’y avait que lui dans la pièce, qui l’attend de tout sa masse d’exaspération, depuis sa place à la table,. C’est comme s’il n’y avait que lui et elle, elle qui s’avance, sur ses talons de quinze centimètres, et qui va prendre sa place à elle, en bout de table, en face de sa mère.

Une arrogance, un zeste de triomphe, habillent un abîme de silence. Elle est montagne d’indifférence.

C’est l’heure pour l’auteure de reboire un café et d’aller se coucher. Vas-y vas-y, ça suffit.

Pourtant, il y a encore quelque chose que je voulais dire, à propos de Blanche dans la soupente, il y a la pensée, le souvenir qui lui revient d’une autre petite fille. Qui fut jeune fille. Aussi dans une soupente, dans un grenier. Dont elle avait lu le livre à l’école. Cétacé.

A propos de véronique müller

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal.