#été2023 #04 | traverser une journée entrouverte séchée par endroits ou encore vive

Où l’histoire progresse difficilement mais accumule, superpose des temps. Il est encore difficile d’y voir clair.

Frédérique repasse dans une journée laissée ouverte. Cette journée bientôt parmi les plus longues de l’année beaucoup de choses la traversent. Pas seulement en raison de son âge, mais ce surplus de lumière qu’apporte la fin du printemps, elle le réserve à chaque chose, chaque être et chaque instant. À ce moment-là, elle ancre dans la journée ouverte une réserve qui épaissit, fructifie, jusqu’à ce qu’une protubérance lui signale qu’elle est visible. Elle épaissit les volumes, s’accroche aux parois invisibles qui relient chaque chose à une autre et de là, parfois, elle relie encore des parois invisibles jusqu’à fondre. Elle ne distingue plus humus, muqueuses, parois ou intérieur libre et chaque seconde de sa partie inférieure.

Anne passe dans cette journée de fin du printemps en surplus de lumière. Elle flotte dans l’étendue claire. Certains détails la protégent comme une ombre. Elle aime les abris, les alvéoles où se tenir un moment préservé de l’extérieur. La journée sèche par endroits, peut-être que des sensations ont disparu. Elle craint les journées qui ne sortent pas de leur gangue asphyxiante, la vie retenue sous l’emprise du dedans. Même la mémoire s’affale sur elle-même et laisse échapper tout ce qu’elle aurait retenu si la conscience n’était pas lessivée, assoupie sous les degrés.

Eva est repassée dans la journée de début d’été laissée ouverte par Frédérique. Elle est repassée car Frédérique avait ancré une réserve dans certaines journées pour les épaissir et les faire fructifier. Elles étaient restées visibles. Frédérique avait planté un hameçon et tendu un fil pour tenir une chose qui avait mordu. Elle avait des images d’ instants qui avaient levé, elle les tenait enroulés avant de les jeter en dripping vers l’extérieur. Il y avait des gouttes qui giclaient mais surtout, des visages et des corps qui passaient, se tournaient, visaient du regard, bougeaient un bras, saluaient, et parlaient. Il y avait une vie dans l’image jetée en dripping sur l’extérieur. On entrait par un escalier et une porte. Eva a reconnu une porte. Elle est entrée.

Marie dans cette journée laissée ouverte était partie chez quelqu’un qui n’est pas encore son mari. Eva regarde par la fenêtre. Elle laisse passer beaucoup de choses sans les retenir. Est-ce qu’il travaille déjà dans la ferme qui sera la sienne ?

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

3 commentaires à propos de “#été2023 #04 | traverser une journée entrouverte séchée par endroits ou encore vive”

  1. je me suis un peu perdue dans les scènes mais tu as prévenu…
    je retiens Anne dans sa journée de fin de printemps et « la vie retenue sous l’emprise du dedans. »

    • merci d’être passée, Françoise. J’ai pris de la marge avec la proposition de départ. Cela s’est transformé sans le vouloir comme ça : le temps, la durée , sont passés au premier plan. Comme un ruban qui est là que les personnages traversent. Comme si on les voyait à la manière dont ils sont du temps. C’est devenu un peu abstrait mais j’étais contente d’être passé par là quand même.

  2. j’aime beaucoup l’idée d’une protubérance, et puis savoir si ça a mordu, ce qui se mord ici, et le quelqu’un pas encore le mari, tout en suspens, les femmes aussi