#été2023 #12 | L’Homme qui court

Il y a l’épuisement extrême. Un état de fatigue jamais éprouvé avant ce jour qui me tordait comme si j’avais été dépossédé d’un truc ce quelque chose tellement évident sans quoi le foutu espoir n’était plus possible. Ca s’était dégonflé. Les projets d’avenir. Plus aussi intuitif que jadis. Je me souviens encore de quand encore naïvement sur la plage je courais qu’encore je croyais en mon talent d’écrivain satisfait de textes sans valeur que personne ne voulait lire. Sur la plage je dansais. Sur la plage je criais. J’agitais la mer le sable les parasols et tous les regards perplexes consternés presque effrayés me fixaient. On va te prendre pour un fou disait ma mère. A la fac de droit un nabot un de ces crétins pleins de certitudes sur comment il faut se comporter quand on est en société les facs de droit en sont pleines de ces gens dont la vie est tellement peu excitante qui ont perdu ce quelque chose qui brûlait en eux déjà gagnés par la vieillesse par la mort qu’ils seraient prêts à consacrer tout leur temps à l’étude du droit commercial du droit des assurances ou pire encore des finances publiques me lance presque en pleurnichant visiblement ému chamboulé au bout de sa vie tu ne te rends pas compte que tu nous fais peur. Et je repensais au regard inquiets de tous ces corps calcinés laids baignant dans la sueur et aux paroles de ma mère on va te prendre pour un fou elle surveillait avec inquiétude la plage ces corps presque indifférents. Et c’est un trait commun à tout être humain je dirais même à toute forme de vie à toute chose dans le vaste et triste et froid univers cette laideur inévitable réalité universelle ou presque seuls les chats font exception. Et alors que nous faisons tous les efforts du monde pour nous rendre potables sans y parvenir nous imposant régimes fréquentation de salles de musculation opérations de chirurgie esthétique nous recouvrant de produits cosmétiques nous cachant derrière des filtres sur les photographie publiées sur les réseaux sociaux la face s’affaissant fatalement avec le temps les chats quoi qu’ils fassent restent beaux c’est incontestable. Sur la plage je courais je volais j’écrivais poèmes quelques récits me rêvais dramaturge essayiste épistolier me promettant qu’un jour tout le monde dans les transports en commun me lira je m’imprégnais de ce que je voyais de ce que j’entendais images inspirantes en imaginant les prix littéraires qui feront un jour ma renommée ma gloire me nourrissais des bruits clameur des foules youhou des surfeurs et le chuchotement de l’eau rempli de tout ça de ces images de ces sons de mon ambition je pondais des poèmes poétiques pleins de poétiques images modeste poésie du quotidien sur la nature ô qu’elle est jolie l’océan les oiseaux les fleurs les vagues. Je me souviens. Ce jour-là il faisait soleil. Une belle journée de fin d’été pour se regarder en chiens de faïence. Nouvelle année universitaire. Projets. Réjouissance de se retrouver. Pour se raconter ce qu’on a fait pendant ces vacances. Comment on s’est emmerdé. L’ambiance était électrique. Deux mois plus tôt on s’aimait encore. Aujourd’hui on était fâché pour une raison non renseignée. De devoir lire peut-être. On n’était pas en fac de lettres par vocation mais comme cette étudiante qui m’avait une fois lancé toi au moins lire tu aimes ça alors que nous ça nous fait chier parce qu’il fallait bien bouffer ou comme ce mec au regard avide qui ne comprenait pas qu’on puisse privilégier l’aspect esthétique à l’aspect économique. Z’étaient là pour vendre des livres. Non par passion des livres. Z’auraient vendu des ventilateurs ç’aurait été la même chose. Et j’avais des regrets. Le sentiment de m’être trompé de voie. J’enviais les étudiants de musique. Je me demandais que fais-tu ici prisonnier de ces quatre murs assis à une table écoutant un enseignant-chercheur vanter les joies d’un structuralisme dépassé médiocre plein de vent et on était prêts à se sauter à la gueule crachant son venin pour des raisons futiles tu as vu comment elle tient son stylo tu as vu comment elle parle à la prof tu as vu comment elle s’exprime. Textes sans relief. Balbutiants. Sortes de gribouillages. Je persistais dans cette écriture maladroite de plus en plus mondaine écriture où de plus en plus je ne me reconnaissais plus et dont de moins en moins j’étais satisfait. Il fallut un peu de temps encore pour que déborde le vase. Que tout ce qui s’est accumulé finisse par me noyer complètement. Il y avait dans ma crainte des regard de mes camarades de promo comme des restes de la peur qui était née sur la plage une dizaine d’années plus tôt. Le rappel des mises en garde de ma mère. Ajoutez à ça les petites remarques accusations d’orgueil mal placé un diagnostic par une enseignante qui se prenait pour psychologue cet autre encore qui avait jugé que mon écriture tordue s’expliquait par le fait que je tapais mes cours sur ordinateur et l’étonnement que je veuille m’en aller alors qu’il restait quatre ou cinq mois seulement ce n’est rien dans la vie quatre ou cinq mois. Je leur ai dit fuck.

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