#gestes&usages #04 | Fermeture éclair

A la bourre. Je me retrouve dans l’étroite entrée, partiellement habillée, dos à la salle de bain. La porte qui me sépare du monde extérieur est sur la droite. Les clés sont en place sur la serrure. Au-dessus de moi, les patères supportent vestes, blousons, foulards. Au sol, les chaussures. Le sac à main à portée. J’ai rechargé les piles de l’enregistreur la veille, vérifié que le voyant rouge s’actionnait, que l’appareil fonctionnait. Se rassembler. Je m’immobilise. Ne pas s’imaginer dévalant l’escalier, les six étages qui séparent des terrestres, franchissant les trente mètres qui mènent au métro. Je me rassemble et cherche du pied les ballerines roses, les yeux levés sur les patères. Ce sera le blouson de skaï violet, celui qui s’ajuste bien. Les chaussures sont réunies, le pied droit s’insinue sous le cuir. Je m’empare du blouson par le col et m’apprête à enfiler une première manche. Le pied gauche suit sa course, la deuxième manche enfilée. Pieds et bras dûment logés, j’abaisse les yeux sur la fermeture éclair. Je me saisis des glissières, les fais coïncider, commence à remonter le curseur, passe l’abdomen. Soudain ça coince. Je tire de part et d’autre les pans du vêtement pour dégager le curseur. Inutile, il reste désespérément immobile. Ca augure mal d’un lundi matin. Pas de temps pour les atermoiements. J’attrape une écharpe à la volée, le sac à main, les clés. Je claque la porte derrière moi, commence à dévaler l’escalier. Dix minutes plus tard sur une banquette du métro, le coeur encore battant, je ne peux pas me permettre un retard aujourd’hui, ma main tripote machinalement la languette de la fermeture éclair. A l’école maternelle, j’avais du apprendre, comme tout enfant, à faire mes lacets. Je n’étais pas douée. J’étais gauche. Pour toutes les actions manuelles, j’étais mal-à-droite, pas gauchère. Certaines langues étrangères sont plus formelles quand elles désignent la sinistre orientation. J’étais gauche et je redoutais l’hiver, l’anorak et sa fermeture éclair.

A propos de Stéphanie Buttay

L'écriture accompagne depuis toujours ma pratique du dessin et de la couture. Voire, elle les précède : création de livres d'artistes notamment avec l'ami poète Werner Lambersy. Représentée au Musée de la création Franche à Bègles et au Prieuré Saint Cosme pour le Livre pauvre, j'ai publié aux éditions du Carnet du dessert de lune et dans la revue Cabaret.

9 commentaires à propos de “#gestes&usages #04 | Fermeture éclair”

    • Merci pour la passage ! Tout est inventé sauf le décor et les accessoires… Je voulais créer de la tension avant l’entrée en jeu de la fermeture éclair (je les redoute toujours). Bonne journée Françoise !

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