#gestes&usages #01 | La geste des colporteurs

À cause de la couleur blanche de la neige, je vois les villages des Pyrénées comme une Arcadie d’hiver à travers laquelle un ange pourrait nous conduire par la main. J’oublie que les températures sont très basses, que les végétaux sont en sommeil, que les cultures sont en friches, que les animaux hibernent, mais que les êtres humains doivent poursuivre leurs activités pour survivre. À cause du bruit étouffé de la poudreuse nacrée, j’imagine un monde neuf, ouvert au repos et à la méditation sur soi, un repli au coin du feu dans la chaleur des maisons. J’oublie que l’hiver dure six mois dans les montagnes. À cause de la surpopulation du début du XXe siècle, il faut partir. On est berger ou bergère l’été dans les estives, colporteur ou colporteuse l’hiver hors du foyer. Pour les plus aisés, les déplacements se font avec une carriole et un cheval. Les plus pauvres vont à pied et transportent leur marchandise sur le dos. La transhumance des hommes et des femmes est longue quand elle conduit des montagnes jusqu’au nord du pays où l’on attend aussi la main d’œuvre pour la fauche. On part à la Toussaint et on revient au printemps. Les femmes font partie du voyage. Elles ne se déplacent pas seules mais avec des sœurs, des tantes ou des oncles, même si les voyageuses solitaires existent. Je voudrais connaître la vie de l’une d’elles, imaginer une de ces expériences dont je me sentirais le moins capable. Ces colporteuses possèdent des chaussures mais se déplacent pieds nus, les souliers soigneusement enveloppés dans une peau de bête. On enfile les chaussures devant les clients, pour les ventes de laine de mouton, de cuir et de petits objets taillés dans du buis. Les faits et gestes des colporteurs sont oubliés aujourd’hui, plus de paysans qui se coltinent sa marchandise jusqu’au cou en hiver. Pourtant L. se souvient du rémouleur ambulant de son enfance qui aiguise à la meule les lames des instruments tranchants : Rémouleur ! rémouleur ! Repasse couteaux ! repasse ciseaux ! Et ce sont cris et crissements du métal sur la meuleuse sombre qui envoie ses sciures argentées.

A propos de Olivia Scélo

Enseignante. Bordeaux. À la recherche d'une gymnastique régulière d'écriture.

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