#gestes&usages #09 | elle tape

Elle ne se souvient pas de la première fois où elle a tenu un crayon dans ses mains. Certainement en première année de maternelle où elle a écrit son prénom. Il y a un écrit fondateur, en dernière année de maternelle. Une lettre qui s’adressait à son frère : Floran, je ne veux pas que tu vi nes dans ma ch bre. Il manquait des syllabes. Elle avait passé beaucoup de temps à écrire cette simple phrase sur une feuille volante. Cela lui avait demandé beaucoup de concentration. Tracer les lettres au feutre sur cette feuille volante l’avait épuisée. Cérébralement parlant s’entend. Ça l’avait achevée. Elle y avait jeté toutes ses forces du haut de ses cinq ans et demi. Elle avait beaucoup réfléchi à ce qu’elle devait tracer pour que la phrase soit juste. C’était un exploit même si elle savait qu’il manquait des sons. Elle était satisfaite parce qu’elle savait qu’elle pouvait se faire comprendre et peu satisfaite parce qu’elle savait que la phrase n’était pas rigoureusement juste. Il manquait quelques trucs.

Elle écrivait au feutre sur le petit carnet que lui avait offert sa mère pour son anniversaire. Elle écrivait des mots. Elle l’avait eu pour ses huit ans alors qu’elle était en colonie de vacances et qu’elle vomissait tous ses repas. Elle se souvient avoir tracé des mots comme papillon ou chambre. Elle préférait écrire au feutre. Elle préférait écrire d’ailleurs. L’écriture plutôt que le dessin. Elle traçait des lettres. Fabriquait des mots. Papa, maman, Amie et papillon.

A neuf ans, elle reçoit une machine à écrire en guise de cadeau de Noël. C’est décidé, elle écrira un roman. Mais qu’imprime-t-elle sur ces feuilles et que tape-t-elle avec cette machine à écrire, ce jouet pour faire comme les grands ? Elle tape des mots, se souvient du bruit de la lettre qui frappe contre le rouleau, de l’odeur de l’encre mais ne se souvient pas des mots qu’elle tapait de ses deux mains. Elle faisait du piano et avait l’habitude d’appuyer sur des touches avec huit doigts. Elle ne se servait jamais de ses pouces. Elle tapait avec huit doigts. C’est la seule machine à écrire qu’elle utilisera. Son père ne voudra jamais qu’elle utilise celle de son entreprise. Elle n’écrira jamais de roman avec.

A 21 ans, elle a son premier ordinateur. C’est un don de son père, l’ordinateur de son entreprise qui arrivait en fin de course. Elle s’en sert pour ses cours. Elle devait écrire son mémoire de maîtrise avec. Elle n’en fera jamais rien. Elle a pour ambition d’écrire un roman. Elle n’en fera rien. C’est un projet secret mais elle n’a l’idée de rien. Elle a appris par ses propres moyens à ne pas regarder sur le clavier de l’ordinateur l’évolution de ses huit doigts. Elle ne tape toujours pas avec ses pouces. Elle fait ses devoirs avec ce premier ordinateur qui n’a pas de marque puisqu’il a été conçu par l’informaticien du marchand d’ordinateur. C’était un ordinateur Déclic. Le moniteur n’était pas un écran plat et prenait de la place. En tout, elle avait eu six ordinateurs dans sa vie et avait définitivement adopté l’ordinateur portable pour écrire secrètement son roman où elle le voulait.
Elle écrit avec son téléphone portable depuis 2020. Avant, son écriture était réservée aux SMS et elle a commencé à utiliser les notes de son smartphone juste après le premier confinement de la Covid 19. Depuis, elle ne lâche plus son téléphone et absorbe ses écritures sur son traitement de texte, un Word et les notes de son smartphone, un Samsung qui a bientôt quatre ans. Elle écrit directement sur Facebook, Instagram et les applications de ses différents blogs. Elle écrit uniquement avec son pouce droit et utilise le clavier virtuel de son téléphone. De son pouce, jaillissent des mots qui forment phrases, textes et, parfois, langue. Le clic du pouce poursuit sa pensée. Ce pouce pèse sur ce qu’elle écrit et sur ce qu’elle pense, ce qu’elle fait quand elle se met à réfléchir. Ce pouce clique et trace toutes ces lettres pour écrire un texte, une poésie, des bribes ou des fragments. Ce pouce pense et prolonge sa pensée. Il pèse sur l’échiquier de ce qu’elle écrit. Parfois, le pouce tâtonne. C’est le blocage. Puis l’index prend le relais et c’est la logorrhée.

A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.

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