#photofictions #01 | Hautes terres

C’était il y a déjà longtemps et je ne me souviens plus. J’ai oublié. J’ai oublié, je le crains. Je voyais, je sentais, je pensais : C’est comme d’une extension de moi-même qu’il s’agit. Le corps a pris une extension. Une dimension jusque là désertée. Immense. A retrouvé des territoires qu’il n’avait pas perdus. Je parle ici des paysages, des paysages  inouïs. De l’effet que firent sur moi des paysages inouïs. Est-ce que nous roulions en voiture est-ce que nous marchions est-ce que nous nous sommes tus. Le corps était ce paysage qui défilait. On ne peut pas le dire plus simplement que ça, au plus près. C’est arrivé. La montagne l’air la terre, l’à perte de vue. L’immémorial, de tout oubli le souvenir et rien qui ne m’arrive  pas personnellement, physiquement, rien du paysage qui ne m’arrive physiquement. L’œil s’ouvre se ferme et c’est encore, et encore. L’étendue. Je ne pensais pas grand chose. Je me disais Voilà, j’ai trouvé mon lieu de vie. Ici. En Écosse, dans les Highlands. Le corps au petit bouillon. Même cela, je ne le percevais  que de loin. Dans le consentement. Si c’est le mot. Le désir. Quand il est déjà la jouissance. Dans la part silencieuse du désir. Si l’on y songe, on se dit qu’il est grand, or il ne demande rien, il absorbe, ce qui passe, à sa portée.

Et ce miracle que ça ait lieu sans ressentiment, sans tristesse, sans nostalgie par avance de la perte à venir, de la fin des vacances, de la fin de l’été. Dans l’interstice  de la retenue, du silence. L’interstice où nous étions tombés, où le monde nous avait suivis.

Non, soudainement, je me suis aperçue que j’étais passée dans un autre état. C’était sans surprise, pur recueil.  Voilà que mon corps vit une nouvelle extension, expansion. Qu’il connaît de toujours et  retrouve,  calmement, pour la première fois depuis la nuit des temps. Un déploiement. Son déploiement naturel. On s’efface là-dedans.  Ça se détend on se dissout.

J’ai pris les photos, aveugle. Aveuglément, d’avoir aimé aveuglément. Ça, ce serait la vérité. Et je n’en reconnais rien. J’ai pris des photos au hasard, avide, étourdie, indifférente. Des images qu’elles me montrent, m’ont montré ensuite, je ne reconnais rien, rien. Ce sont des belles photos, de beaux paysages, mais qui ne recouvrent nullement le souvenir que j’en ai, physique, et que durant des nuits, de retour à la ville, j’ai tenté de ramener, de retenir. Je retrouvais une part de la sensation, mais l’expansion, le déploiement manquait. L’effet réel. De la montagne réelle.

Il faut le dire : nous ne nous sommes pas arrêtés, ou à peine.

On n’a pas fait dans la contemplation, arrêts bords de route. Il y eut les photos de cette chute d’eau, de cette nervure dans la terre, cette crevasse, les pelles que je t’ai roulées sur le pont. Il fallait repartir. Parce que tu es comme ça.

Sur le pont, que je retrouve dans Google Maps grâce à la balustrade que tu laisses apparaître sur le bord de la photo que tu publieras sur Insta tandis que je prends garde de l’éviter, inventant un monde vierge, mais c’est elle qui me permet de reconnaître « avec certitude » le lieu de ces photos. https://maps.app.goo.gl/5Dy52gTHmmqoFA4e9

ni auteur ni photographe je ne publie pas j’écris parfois, le plus souvent des lettres, je prends des photos aussi, alors dans le grand enthousiasme, l’amour, comme si photographier, participait à la joie, de voir, je ne photographie que des choses qui m’émeuvent, qui me dépassent, et alors je crois, à chaque fois, je crois, que peut-être j’aurai capté et je reproduirai quelque chose de ce qui m’a d’abord transportée. sachant aussi que ce qui transporte c’est ce croire que quelque chose va trouver à se transmettre, se reproduire, de ce que je vis, à ce moment-là. je sais pourtant que ça n’arrive pas. ça ne m’arrive pas. ça ramène toujours autre chose. la photographie voit. tandis qu’au fond toujours je photographie aveugle, aveuglée, par ce qui arrive. donc, parfois, oui, avant même de prendre la photo je sais quelle photo je prends et quelle photo sera prise et c’est alors celle que je veux, mais le plus souvent, je ne sais pas, je prends trop de photos, qu’il faudrait beaucoup regarder, ensuite, ce que je ne fais pas, qu’il faudrait beaucoup jeter, ce que je fais. et peut-être qu’à ce moment l’extraction d’un texte s’imposerait. dans l’après-coup du moment photographique, dans l’espace de la déception aussi bien que celui de la réception, du recueil de l’inattendu.
je pense que nous sommes devenus très nombreux dans le monde à prendre trop de photos.

A propos de véronique müller

même si je perds le fil, je m'en sors plutôt bien mal.

6 commentaires à propos de “#photofictions #01 | Hautes terres”

    • Merci Fil. Je crois que je n’ai pas du tout respecté le pacte et m’en excuse. Je suis un peu tentée de recommencer, mais nous sommes déjà en fin de semaine. En tout cas, je vais réfléchir à la façon de me rapprocher de ce qui avait été proposé.
      v

  1. Étonnant, dans tous ces textes que je lis ce matin, je vois des incipit, de petits morceaux tonitruants qui semblent inaugurer un long récit à venir et que l’on attend… Ici ces débuts classiques où l’histoire se clôture en quelques lignes. C’est déjà fini, c’est lointain, alors l’histoire peut commencer.

    • moi aussi, Marion, un peu sciée d’ailleurs par tous les textes que je découvre ici, les auteurs.
      et oui, ce qui a eu lieu, qui s’enfuit déjà, alors l’histoire, le récit, la fiction…
      amicalement,v