Maison du premier domaine


Sans doute une fenêtre à l’étage donnant sur les ombres du domaine avec, juste devant, le vieux terrain de jeux désaffecté qui sert d’enclos au chien-loup, gardien de la lune montante. De là se devine la maison entre les branches qui bougent à peine. Cernée par un labyrinthe de buis pour créer les fugues, à l’approche du médecin. Les buis forment des dessous froids pour les rituels d’enfouissement. Aspérités des pierres meulières: les fils brillants indispensables y sont accrochés.. Tourelle sur un côté, vieil escalier tournant pour embarquer les bruits du dedans quand les marches craquent sous le poids d’une présence qui gravit en boitant les marches jusqu’aux chambres des enfants sans jamais ouvrir la porte. En bas, une cheminée ne laisse à l’intérieur aucune trace de flambée. L’éclat des flammes est prisonnier du cuivre bien astiqué qui dessine les contours des réceptions familiales. Sur le mur de la salle à manger, des trophées : têtes de brochets desséchées, gueules ouvertes laissant entrevoir les secrets du lac.  Dans le sillage de la maison,  une autre maison, celle qu’on n’a pas le droit d’aborder car la grave maladie est venue de là. En face, un marronnier immense au bord de la prairie. Sert à inventer  des troupeaux de marrons bais ou mouchetés qu’on cache entre les racines  avant de rentrer à la maison. Un perron revient à l’appel du mot rentrer : une grand-mère inquiète y est debout, lançant à la volée le prénom de l’enfant qui s’est enfuie malgré fièvre et interdiction. Volée de marches. Hors de la maison.

A propos de Christine Eschenbrenner

Génération 51.Une histoire de domaine perdu, de forteresse encerclée, de terrain sillonné ici comme ailleurs. Beaucoup d'enfants et d'adolescents, des cahiers, des livres, quelques responsabilités. Une guitare, une harpe celtique, le chant. Un grand amour, la vie, la mort et la mer aussi.