#photofictions #07 | What Air

  • Maintenant, ça se passe avec « une photo de soi-même » dont « on ne parlera pas » dit f. Ne pas en parler, ce n’est pas vraiment un problème. Je crois même que je viens de le faire cinq fois. Mais la photo… le voilà le selfie dont je parlais ?
  • Un ami me dit que les « textes-images donnent à voir plus que les photos elles-mêmes ». Peut-être. Les photos participent d’un jeu photographique assez futile énoncé un peu à la cantonade. Mais pas tant que cela apparemment — ou alors je suis résolument bête, et chacun en jugera —, puisqu’après m’être essayé au jeu en en énonçant la règle, je le poursuis. De sorte que par rapport au texte les photos sont comme des déchets avec lesquels on me suit à la trace. Un peu comme sur une piste animale, elles ne donnent à voir rien d’autre que ce que l’animal humain a pu voir au moment où il venait de faire ses besoins. Tandis que les textes-images, eux, explorent les abords du lieu de la photo. Et alors on pourrait voir les choses ainsi : que la photo, en vue du texte, donne à voir le décrochage de l’écriture embarquée, arrachée à l’apesanteur du réel et mise sur orbite fictionnelle, et son retour en chute libre vers le réel — un peu comme le bus de la fusée en se séparant de la capsule spatiale retombe vers la Terre (en miettes) ?
  • (D’autres auraient préféré une descente dans une mine. J’aime bien aussi. Surtout si l’on remonte avec une pierre impressionnante pour écrire une belle histoire à la manière de Roger Caillois, dans L’Écriture des pierres, quand il aperçoit dans une coupe transversale de calcaire à dendrites un château, une végétation luxuriante, des oiseaux dans le ciel, et des silhouettes humaines. — Et s’il était là le portrait de soi ? Existe-t-il une photo de soi où je n’apparais que sous cette forme ? une silhouette ? juste une ombre ?)
  • Mais au fond, puisque j’en suis aux images projetées, ombres portées, ne s’agit-il pas d’une photo de soi à venir ? Même la plus ancienne, la toute première, après des dizaines d’années. Parce que toute photo, dans l’instant de la prise d’image qui inscrit ce qu’on voit dans le cadre du passé, n’est-elle pas en même temps une projection du regard dans l’à venir — proche ou lointain, de l’auteur de la photo ou d’un autre, spectateur : c’est une autre histoire ?
  • Et la toute première photo de moi, il y a des dizaines d’années, si différente de moi aujourd’hui, vieille chose, n’est-elle pas la plus virtuelle ? — Oui, peut-être. Mais en quoi ?
  • (Le virtuel : j’ai toujours le sentiment qu’il s’agit de quelque chose de l’ordre du tour de passe-passe totalement futile au regard fasciné, mais parfaitement utile à la main de l’auteur en train de vous piquer votre montre, et quand vous revenez à la réalité vous ne savez plus l’heure qu’il est, sinon qu’il est trop tard… ; ou quelque chose du scandale des nombres imaginaires en mathématiques, quand on vous apprend que, finalement, les nombres élevés au carré peuvent avoir un résultat négatif, et que cela se résout avec une lettre et non un chiffre : i2 = -1. — Je fanfaronne avec les Imaginaires, mais l’invention du zéro a peut-être été plus révolutionnaire encore. Et c’est juste que l’espèce de métavers monstrueux qu’il a pu alors constituer est devenue un univers très commun.)
  • Virtuelle en ceci que je ne me reconnais pas. Virtuelle en cela qu’on m’a dit C’est toi. Virtuelle en ce que la photo a grosso modo le même âge que moi. Virtuelle en ce qu’elle n’a rien avoir avec les photos d’aujourd’hui. Virtuelle en ce qu’elle est matérielle, tangible, périssable, couchée sur le papier. C’est de l’argentique d’antan, pas du numérique courant. Virtuelle en ce qu’elle reste n’est visible sur aucun écran. Virtuelle en ce qu’elle n’est pas plus réelle qu’une image virtuelle. Virtuelle en ce qu’elle a traversé le temps comme moi. Virtuelle en ce qu’elle n’a pas changé, pas comme moi. Virtuelle en ce qu’elle échappe au monde virtuel, pas moi. C’est du grain, pas du pixel. Virtuelle en ce qu’elle a insensiblement changé, mais je ne le vois pas. Virtuelle en ce qu’elle reste actuelle, et je n’en sais rien. Sauf qu’elle donne l’impression, cette première photo, que de nombreuses possibilités vont se présenter à ce tout petit d’homme, en chaque instant de sa vie, que la situation dans l’instant obligera à un choix, les autres options seront perdues, les choses qui adviendront ne se reproduiront plus, surtout l’avenir qu’il imaginera mille et une fois, autant de lieux et de temps possibles qui n’auront jamais eu cours. Oui, terriblement actuelle.
  • Et le photographe, qui est-il ? qu’est-il devenu ? Fait-il encore de la photographie ? avec de nouveaux appareils ? numériques ? publie-t-il ses travaux en ligne ? Ou il n’est plus de ce monde depuis longtemps ? Qu’a-t-on fait de ses photos ? de ses planches contact ? de ses pellicules ? de ses notes de travail peut-être ?
  • À m’installer tout nu comme ça, n’avait-il pas peur que je me lâche sur sa couverture blanche ? Le petit ballon bleu, c’était à lui ? Comment a-t-il fait pour capter mon regard avec ça, car je devais d’abord taper dessus comme un éperdu ?
Voilà, c’est ici. — Impressionnant. Combien de cartons ? — Franchement, j’en sais rien. Mais tu vois bien. Le travail de toute une vie ! — Et tout est là ? — Non, il en reste dans le petit studio qu’il s’était aménagé. Mais là-bas c’est du travail après le travail. C’était pour la forme, sans ça il serait devenu fou. L’essentiel est là. — Il l’était déjà ! Les murs, on les voit même plus… (Un temps.) C’est lui qu’a tout rangé ? — Oui. Année après année. Et mois après mois dans chaque carton. — Tout seul ? — Tu penses bien qu’j’avais pas le droit d’y mettre le nez ! Ou alors juste pour lui prêter main forte quand il fallait changer de place quelques cartons. — Ouais, ça doit peser un âne mort ! (Un temps.) — Tous ces portraits. Toutes ces vies. Quand même… — C’est quand même étrange ce métier de photographe, de matérialiser comme ça les souvenirs pour les autres. — Les souvenirs, au début. Le numérique a pas mal bouleversé les choses. Ça l’a toujours miné, ça. On venait moins le voir, y avait pas de développement à faire. Et il a jamais su rebondir pour faire plus de mariages, de communions, de baptêmes. — Il a quand même refusé le poste de la communauté de communes. — Ah ça, m’en parle pas ! J’en étais malade ! Mais tu l’aurais pas fait travailler pour le comte de Claudieuse comme il disait. (Un temps.) Tous ces morts… (Un temps.) — Il gagnait peut-être moins bien sa vie, mais en même temps ça l’a changé. Il travaillait toujours autant au final. Et les photos, elles avaient un autre cachet. — Pourtant, il a jamais changé son appareil. Juste quelques nouveaux objectifs, pour voir. Sinon… — Oui, mais, quand les gens viennent plus te voir pour leurs souvenirs, parce que pour ça ils se débrouillent maintenant… Il avait compris autre chose peut-être ? (Un temps.) Que ce qu’on lui demandait c’était de l’ordre du désir plus que du souvenir ? Ce qu’on lui demandait c’était peut-être ça, de pouvoir te souvenir, plus tard, de ce que t’aurais pas vécu ? — Tu dis n’importe quoi toi aussi ! T’es bien le fils de ton père ! — La photo en moins. (Un temps.) Pourquoi il faisait tout en double ? Pourquoi il gardait pour lui un tirage des photos des autres ? — J’sais pas trop. Il disait qu’c’était au cas où quelqu’un perdrait une photo, un négatif, et voudrait faire un autre tirage. Mais c’était idiot évidemment. D’ailleurs il sélectionnait les photos qu’il voulait conserver. Il doit y avoir, quelque part, des cartons où certaines sont regroupées par dossiers thématiques. — Mais dans l’ordre chronologique à l’intérieur, j’imagine. — Y a des chances. Tu connais la bête ! (Un temps.) J’crois m’souvenir qu’il y avait même un dossier Ratés.
  • (Après le dispositif, le virtuel ? — Chiche ! — Alors c’est Mehdi Belhaj Kacem qui dit : « Mon hypothèse très simple est de dire : appelons virtuel cette région qui récupère les divisions de la représentation. Et faisons le pari que c’est l’affect qui enregistre ces effets de divisions. » — Et alors ? — C’est tout. — Ah non ! là on comprend rien, va falloir imager un peu. — C’est parce qu’il a pas encore parlé de la présentation. — Qu’est-ce qu’elle vient faire là la Marie ? — Même qu’en entrant elle aurait dit Enchantée, je m’appelle… — Teuh teuh teuh… pas de blasphème… — Non, il y a ce qui arrive, ce qui se présente à nous, tout le temps, en tout lieu, ici et maintenant, qui est comme un tissu homogène, non divisible, tout à fait évident et logique en soi, comme un atome ou un événement comme la Grande Guerre. — Même si toi tu comprends rien ? — Oui, surtout toi ! — Et puis ? — De ça, tu sais jamais grand-chose. — T’en sais rien ! avoue ! — Oui, c’est vrai. Ce qu’on sait c’est qu’on en fait l’épreuve et on en revient comme une Gueule Cassée. — Eh… y a pas la gueule… — Tout ça c’est la présentation. Et vient alors le regard de l’autre, les regards qu’on jette sur toi, les images qu’on prend de toi, photos, films, pour se souvenir, pour se représenter la chose là, sur toi, sur ta gueule, la cassure… — Ah… que celui qui n’a jamais péché lui jette… — Ta gueule ! — Blasphème ! — … la chose brisée sur ton visage, qui le dénature, en fait une Gueule… — Une goule ! — A witch ! a witch ! — … sans comprendre que, avec les produits de la représentation, ce sont aussi ses moyens, et peut-être bien son intention, son désir, qui sont à l’œuvre dans cette cassure, cette brisure, ce vide fondamental. — Et alors ? le virtuel — Le virtuel c’est la région des vides de Belhaj Kacem… — Pas vrai, il comprend rien ! avoue que t’as rien compris ! — Parce que toi peut-être, tu comprends quoi… ? — A witch ! — Un Python ! — … c’est comme l’univers des mots qui apparaissent et disparaissent sur une page-écran sous l’effet d’une correction instantanée ou presque ? c’est le paysage textuel en puissance ouvert par une poignée de mots effacés sitôt écrits ? — Copieur ! c’est pas une idée à toi ! — Bon… c’est vrai. — Ah ben en tout cas c’est une image qu’on a tout compris ! Hein tu comprends mieux maintenant ? — Oh moi tu sais, la photo… — Et sinon, tu savais que virtuel et vertueux, c’est la même origine ? — Sinon tu t’es jamais demandé si tes origines sont plutôt de la race Bouvard, ou plutôt de la race Pécuchet ? — A witch !)
  • Se retrouver en face de sa première photo, quand on est devenu adulte (il y a des signes qui ne trompent pas, le corps au premier chef), c’est faire l’épreuve de quel miroir ? Je me reconnais, je dis C’est moi. Mais je sais que je ne me ressemble plus, il faudrait dire C’était moi. Je ne le dis pas. Je reconnais que je ne me ressemble pas. Est-ce que je me reconnais, dans cette photo presque aussi vieille que moi, comme devant la photo d’un enfant mort ? Qu’est-ce qui est resté en vie ? Quel air, entre ce petit d’homme et la vieille chose que je deviens, fait que si moi je n’en sais, on me reconnait ?
  • Je dis en face de la photo, mais je ne sais pas où elle est. Ce devant quoi je me trouve, c’est le souvenir que j’en ai.
  • (Et me voilà qui ressort ce vieux disque empoussiéré, le livret, et je relis, et ça fait bien longtemps, le Kindertotenlieder de Malher (la traduction) : « Je vois maintenant pourquoi vous avez lancé de si sombres flammes, ô yeux ! Comme pour concentrer tout votre pouvoir en un seul regard. Cependant des voiles de brume flottant autour de moi, tissés par l’aveuglant destin, je n’avais pas soupçonné que le rayon s’apprêtait déjà à retourner à la source de tous les rayons. »)
  • Et si je me mettais à cette place qui fut la mienne, sur la couverture blanche, avec le petit ballon bleu, qu’est-ce que je verrais, qu’est-ce que j’imagine voir, de ce qui était là devant moi, que j’ai oublié, que je n’ai jamais regardé de toute façon, c’est juste qu’on a réussi à capter mon regard l’espace d’un instant, avant de taper sur le ballon, rouler sur la couverture, qu’est-ce qu’il y a derrière l’objectif et le photographe ? Ils sont où papa et maman ?
  • À cette époque, c’était encore des langes ou déjà des couches ? — Pourquoi tout nu ?
Au fond du garage, sous une petite fenêtre, d’autres cartons par terre, au pied d’un fauteuil. Ils sont entrouverts. Aucune année n’est inscrite au marqueur noir ou bleu. Qu’est-ce qu’il y a dedans ? C’est une partie des dossiers qu’il avait créés. Il venait s’asseoir là pour regarder les photos de temps en temps. On l’a retrouvé ici, sur le fauteuil. Comme endormi. Dans ces trois cartons se trouvent les dernières images qu’il aura vues. Lesquelles ? Comment savoir ? On peut ouvrir ? On peut. Maintenant qu’il est parti, on risque pas de se faire engueuler. C’est des enfants. Tout le carton ? Apparemment. Pourtant, il aimait pas beaucoup. Il trouvait que c’était toujours à courir dans le studio, à fouiner, à toucher aux appareils. Et pour les portraits, ça écoutait jamais les consignes. Surtout les tout petits. Ça, il aimait pas les photos de baptême. Impossible de les faire regarder droit dans l’objectif, les petits. Avec le sourire en plus ! Et les parents à côté… Allez… fais risette… fais risette… il va faire risette le boubou… hein… ? regarde… regarde la tête à papa… regarde la tête à Toto… et patati… et patata… C’était toujours un moment où il avait besoin d’aide. Au moins d’une présence, au cas où. Sinon, il arrivait pas à se concentrer sur ses réglages techniques. C’est vrai que des fois… qu’est-ce qu’il fallait pas inventer pour une prise correcte, pour pas qu’ils regardent par la fenêtre, pour qu’ils arrêtent de jouer avec le doudou. Quand c’était pas des larmes à n’en plus finir ! C’est quoi celle-là ? Un bébé. On voit bien mais on peut regarder de plus près ? De quoi ? Oui… la couverture blanche, le petit ballon bleu ciel… c’était ses premiers accessoires pour les petits gars… ils ont pas fait long feu… un mois peut-être, à peine… mais on s’en souvient bien parce que la couverture blanche en laine, épaisse et toute douce, c’est la seule sur laquelle un petit a vomi… à chaque fois que le flash se déclenchait… une petite remontée d’abord qu’on a pu nettoyer et masquer assez facilement en retournant la couverture… mais au troisième flash, le petit a vomi tout ce qu’il pouvait… un jet incroyable rose orangé… L’jambon purée carottes ! L’jambon purée carottes ! répétait la maman… et le petit, pas plus chagriné que ça, qui mettait ses mains dedans et tapotait comme avec de l’eau dans un pédiluve… et forcément, ça avait aussi sauté sur l’appareil en face et moucheté les parapluies réfléchissants… la tête qu’il a fait… on la revoit encore, comme si on l’avait pris en photo ! Et c’était ce petit gars tout nu, avec sa bouille et son ventre tout ronds ? Non. Lui c’était avant. Il est parmi les premiers. Si ça se trouve, c’était le tout premier ? Si ça se trouve. Y a la date derrière ? C’est impressionnant quand même tous ces bébés.
  • Finalement, le texte a pris une tout autre tournure. En trois parties : de dialogue, plus ou moins ; de discours indirects libres mêlés. Et je verrais bien pour finir une sorte de monologue à l’écoute, ou de dialogue à un seul.
  • Et quelques images de plus, dans les lieux publics où je pourrais me rendre facilement, comme la médiathèque, le parc aquatique. C’est dommage, j’ai raté le coche du cabinet médical l’autre jour. À croire que ça allait vraiment pas bien.
  • Cette histoire du nourrisson qui vomit d’un jet puissant et en met partout, même sur les murs, on est plutôt dans le film d’animation loufoque, dans le genre South Park ou Lapins Crétins, non ?
  • Pas de chance, les toilettes du parc des Antilles sont condamnées. De toute façon, je n’aurais obtenu qu’une vue insignifiante sur la structure du pont qui m’a soutenu. Celles de la médiathèque restent ouvertes. J’en ai profité pour feuilleter quelques ouvrages au rayon photo. Et dans un livre où des photos de Jean Dieuzaide illustrent des citations d’auteurs, et vice-versa, je suis tombé sur cette image d’un pan de mur à ciel ouvert, avec une ouverture sur un balcon où il n’y a rien qu’un monceau de débris, et une superbe vue sur la mer, la montagne, le ciel couvert. Je me suis dit que c’était ça, au fond, qu’elles visent mes photos.
  • (Parmi les citations, ce mot de Georges Didi-Huberman extrait de Devant l’image : « On demande trop peu à l’image quand on la réduit à une seule apparence. On lui demande trop quand on y cherche le réel lui-même. Ce qu’il faut, c’est découvrir en elle une capacité à nous faire repenser à tout ça. »)
  • Et si en photo comptait moins ce qu’on photographie que le lieu-même d’où on prend la photo, où se situe la chambre noire ? Il y a bien un grand photographe qui a eu ce genre d’idée folle, non ?
  • (À l’oreille, ça sonne mieux Pécuchet.)
Y a écrit What Air ? Oui, c’était sa dernière lubie. C’est ce qu’on retrouve aussi dans son studio. Des photos avec son téléphone. Tu sais, le tout premier qu’il voulait pas au départ, pas son dernier. J’sais même pas s’il a vraiment utilisé lui. Enfin si, je recevais quand même quelques textos. Mais il se servait encore beaucoup de son vieux téléphone. Pour faire des photos. J’crois que ça l’avait amusé, ça, de faire des images avec un appareil fait d’abord pour la parole. Mais c’est comme pour son premier argentique, une fois tenu en main, il l’a plus lâché. Et pourtant, elles sont pas de super qualité les images. Tu vois bien d’ailleurs. Comment ? Oui c’est mat, brut. C’est tout comme ça, imprimé sur des feuilles A4 tout ce qu’il y a de plus basique pour du texte, avec une machine jet d’encre qui fait même des lignes fantômes depuis quelque temps. Et derrière quelques notes. Il appelait ça des photophones. C’est brut, mais j’sais pas, il trouvait quand même un certain cachet à ces images. En tout cas ça lui convenait. Il avait lâché prise aussi. Les aspects techniques, il les confiait autant à l’appareil et à l’œil aussi vite que possible. La raison restait remisée dans le studio. Et tu vois, ça donne ce genre de photos un peu insignifiantes, un peu ratées. En portrait comme ça. Des lieux mais tu sais pas où. J’en reconnais parfois quelques-uns, des lieux où on était allés en vacances. Tu sais que quand on partait il voulait qu’on s’arrête à chaque aire d’autoroute ! Fallait qu’il aille aux toilettes, mais c’était pas pour une envie pressante. À la fin, j’descendais plus. Je l’regardais tourner autour du local, son appareil en main. J’sais pas ce qu’il cherchait à faire. Pardon ? Oui, mais avec les notes derrière, tu sais de quoi il s’agit, de quel endroit en général, comme on en trouve partout ailleurs, tu sais quand aussi, et deux ou trois choses du contexte, des vacances. Mais tu sais pas où exactement. Ni pourquoi. T’es toujours sur une piste un peu brouillée. Tu sais pas sur quel pied danser ni sur quel air. Mais ça doit être ça le principe des photophones au fond. Image ? mots ? recto ou verso ? pile ou face ? Quoi ? J’crois qu’il avait une contrainte à la base, pour faire les photos. Il l’a peut-être dit mais j’ai oublié. C’est peut-être écrit quelque part. Peut-être sur une feuille derrière ? C’est ça le carton What Air. J’sais pas ce qu’on va faire de tout ça. On va essayer de tout regrouper et relier. Avec toutes ces photos aux abords des toilettes des aires d’autoroute, on verra quel album de famille ou de vacances il avait en tête tiens !
Figure 19 – Médiathèque (niveau presse) – photoperso 20221021_113816
Figure 20 – Médiathèque (CD/DVD) – photoperso 20221021_114259
Figure 21 – Médiathèque (enfants) – photoperso 20221021_115956
Figure 22 – Médiathèque (perso) – photo de photo de Jean Dieuzaide

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

6 commentaires à propos de “#photofictions #07 | What Air”

    • Parfois il me faut du temps pour répondre. C’est que je ne parviens pas à rebondir sur l’adjectif. Mais côté fable, c’est pas mal. — Merci Brigitte

    • J’ai comme un peu de retard pour répondre… — Ca fait beaucoup toutes ces qualifications, et je ne sais que dire. Mais merci me semble être un bon début. — Merci

  1. Quelque chose d’un certain rapport à la vieillesse et à une forme de cycle me dis-je après lecture de ce texte et de ceux qui ont précédé, ces figures de ver de terre qui ne font que digérer, puis tout ce qui gravite autour des toilettes, et puis l’éclatement des voix, des bouts de souvenirs, des bouts de concept, qui ne vont pas tout à fait jusqu’au bout, qui rebondissent, passent à autre chose, des successions de phrases pas finies, et le retour au nourrisson et face à lui un photographe mort devant toutes ces photos d’enfants qui vomissent, retour aux petits vers de terre… La boucle est bouclée, on attendrait alors dans la 8, une forme de bifurcation inattendue, qui se décale totalement par rapport à ce qui précède.

    • Le rapport à la vieillesse, je n’y avais pas du tout pensé, ni au cycle qui s’est refermé. Moi je pensais plutôt à un texte qui se décale toujours un peu du précédent. S’il y a un cycle, si un tour a été effectué, c’est aussi en 3D, comme une feuille qui tourne qui tourne en tombant : un petit tour, mais elle n’est plus à la même place (sauf par terre, mais ça ne tourne plus). — Je n’ai surtout pas pensé à me décaler totalement pour le texte, que j’avais à peine commencé… — Merci