#photofictions #04 | regarde bien

Tu sais quoi ? Je vais partir à la guerre – je vais partir au revoir ma belle
je vais partir et mourir alors il faudra me mettre en terre – me mettre en terre ici, quelque part
Et sur cette terre, sur cette terre où tu m’auras enterré poussera une fleur
Une fleur

au revoir ma belle au revoir au revoir
Et plus tard les gens diront en la voyant c’est la fleur du partisan
celui qui est parti mourir pour la liberté

ou bien

regarde bien petit, regarde bien sur la plaine là-bas
il y a un homme qui vient que je ne connais pas

la liberté ou la mort – ils et elles étaient vingt et cent, elles étaient des milliers

des chansons comme s’il en pleuvait, des centaines et des milliers de paroles

l’image montre un visage, c’est une femme brune qui chante certainement – elle chante oui – cette chanson bella ciao aujourd’hui même, en italien – aujourd’hui rien ne change tout se transforme – c’est une chanson d’Italie qu’elle chante traduite dans sa langue magnifique, en persan – elle chante une femme, jeune et brune, des lunettes, un peu décadrée, un pull noir légèrement échancré, les épaules couvertes, derrière elle un morceau d’armoire coin carré, un mur dans les gris – l’esthétique de la prise de vue au portable, ces trucs qui bordent, blancs, cette image-là prise en appuyant sur le bouton impécr syst – le monde du jour, contemporain : l’image est arrêtée mais le son continue, la chanson, le monde continue, mercredi dernier (non, vendredi 16 de ce mois : il y a dix jours) il me semble, elle se nommait Mahsa Amini, avait-elle seulement vécu vingt-deux ans ? elle a été battue à mort parce que ses cheveux dépassaient de son foulard – on recadre, sur la droite en colonne les autres propositions du robot dont une, la même chanson, chantée par un crooner (j’aime bien crooner – prononcer crouneur – Frank Sinatra ou Nat King Cole ?) Non, français d’origine italienne, Ivo qui chante, d’autres chanteurs – un nombre de vues dit-on (qui compte ? Un robot ?) une date une espèce de pouce levé de pouce baissé comme à Rome il y a deux mille ans – deux mille ans de cette ère – oui laquelle oui – rien ne change tout se transforme, elle chante, nous sommes ses frères (en Italie le nom de ce parti qui vient de remporter les élections, Fratelli d’Italia aujourd’hui même) – ces temps-ci je ne sais pas vous comme on dit mais moi je me souviens des bonzes qui s’immolaient par le feu et cette odeur-là, cette puanteur… – les jeunes gens qu’on enferment et qu’on envoie à la guerre, à la frontière de la Turquie à la Syrie – ces temps-ci, ces chansons parfois, ailleurs aussi, un peu partout ? La Suède ? Des questions, des chansons – chante, petit chante – et regarde bien, sur la plaine, là-bas, un homme

ce n'est pas le lieu ? c'est égal - on a à crier (nous avons fait des enfants, des filles par exemple, et on se tairait ? je ne crois pas) et sans doute à chanter - après poser l'image, pourquoi faire ? Mais oui, quand même

A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

31 commentaires à propos de “#photofictions #04 | regarde bien”

  1. Oui Piero oui je regarde et j’écoute. Merci de faire voir et entendre plus fort. De chanter c’est le lieu

  2. Partout c’est le lieu
    Sans cesse, c’est le lieu
    Toujours, c’est le lieu
    Chanter oui, mais pas que
    Relire nos histoires, comprendre le présent, empêcher le pire
    Merci Piero

  3. C’est le lieu, le moment, car les secondes passent et les regards deviennent lâches. On fait quoi, comment, on dirait que nous sommes menottés alors qu’il suffirait d´être tous ensemble dans ce chant sans faiblir jamais. Merci Piero !

  4. Merci Piero pour ces mots qui regardent au fond de nous. Merci pour cette question qui nous fait hurler la même réponse : oui, c’est le lieu. C’est partout le lieu. Merci Piero.

  5. pareil oui pareil. bien sûr c’est le lieu c’est aussi la colère et la honte immense – le minable de l’abrutissement ordinaire – pas un mot sur les manifestations à lacrymos, rien, pas un mot sur la fureur et le désespoir de vivre femme/homme respecté.e.s et libres. Rien.

  6. le courage, l’audace de l’écrit et des fraternités qu’il fait éclore ou souligne. Bien avec toi Piero dans ces évocations.
    Je me souviens d’avoir écouté Bela Ciao interprétée par Giovana Marini en Avignon il y a un grand nombre d’années et d’en avoir pleuré.

    • cette chanson est une merveille (au même titre que “Gracias a la vida”) (Violeta Parra, Colette Magny ou Joan Baez et Mercedes Sosa – que des femmes tu remarqueras) merci à toi

  7. Rétroliens : Femmes – maison[s]témoin

  8. C’est magnifique ou plutôt, bouleversant. J’ai saisi au vol « le monde du jour, contemporain : l’image est arrêtée mais le son continue,  »
    Merci ! Et força pour tenir dans son cadre la photofiction qui nous entoure.

  9. Rappeler toujours, semer dans chaque lettre chaque visage l’effort du dire du brandir du cri du chanté, rien ne sera oublié, ni les Quatre-vingt douze résistants, morts pour avoir chanté la femme tombée sous les coups
    Je vous lis et entends les chants sous vos larmes