#photofictions #04 | Le sacrifice des agneaux

J’ai dix ans. Elles sont pures et belles, je vois des photos de jeunes filles, dans les magazines, les publicités, les journaux, accrochées dans les garages. C’est étrange, les adultes autour de moi ne sont pas dérangés. Le photographe David Hamilton ne sait pas tromper, il a choisi le bon angle, le plus sexuel. Aujourd’hui, ces photos se vendent, elles se vendront toujours, l’art avec un grand A. Il a eu une belle carrière de photographe et de prédateur sexuel. C’est peut-être cela un grand artiste, un loup prêt à bouffer de l’agneau. Pourtant il y a une beauté dans cette photo, il est là le piège, il est là l’alibi. Tous les adultes qui ont profité du spectacle sont coupables, peut-être un peu, il faudrait être dans la tête de chacun pour le savoir, est-ce la beauté de la jeunesse et l’innocence qu’il apprécie, ou ces petits culs. En utilisant des images de corps jeunes adolescentes ou adolescents pour le commerce, on entretient de manière permanente, ce désir, le désir de voler, de violer la jeunesse. Je n’ai jamais compris comment les adultes qui vivaient à cette époque là ne pouvaient pas le voir, mais je crois que je me trompais, ils voyaient la sexualisation de ces enfants. Ce n’était pas des pervers, c’était des hommes et femmes bien, ils avaient vécu des vies difficiles, la sexualité n’était pas perçue comme elle l’est aujourd’hui. J’étais peut-être sensible à cela parce que ces jeunes filles avaient mon âge, peut-être aussi parce que je les trouvais désirables, et cela me gênait que des adultes les trouvent aussi désirables. Il y a un coupable qui a commis des crimes, et qui n’aura jamais été condamné, mais il avait tellement de complices, chaque postier qui vendait ces calendriers, chaque foyer qui accrochait aux murs ces photos, était complice, chaque imprimeur, les télévisions qui ont diffusé ces films et ces spots publicitaires étaient complice. Bien sûr, leur responsabilité n’est pas comparable à celle du photographe, mais ils ont profité du sacrifice des agneaux.

Si vous souhaitez acheter cette photographie, elle est à vendre pour quelques centaines d’euros sur le net.

Les hommes sont tourmentés par les opinions qu’ils ont des choses, non par les choses mêmes. Michel de Montaigne

Codicille: Je suis complètement hors sujet, enfin pas de mon sujet.

A propos de Laurent Stratos

J'écris. Voir en ligne histoire du tas de sable.

9 commentaires à propos de “#photofictions #04 | Le sacrifice des agneaux”

    • Merci Ugo, tu as sûrement raison, mais je voulais montrer aux gens qui lisent ce texte, cette ambiguïté dans lequel on se trouve en regardant une photo de ce type, j’ai choisi une photo très soft exprès (mais ça tu le sais). C’est une belle photo, où l’art est utilisé par le prédateur, comme un outil de chasse, il se sert de l’art pour faire écran.

  1. Bonjour Laurent
    J’ai toujours trouvé détestable le travail de David Hamilton, même à l’époque de sa gloriole quand j’avais une petite quinzaine d’années. Merci de rappeler cette imposture commerciale-artistique.

  2. J’avais 16 ou 17 ans. J’ai découvert Hamilton, on m’a dit que c’était de l’art. J’y ai cru, j’ai rien vu. J’y ai cru parce qu’on m’a dit. Coupable de l’avoir cru ? Coupable d’avoir rien vu ? Plutôt coupable de croire ce que les autres définissent comme art, coupable de croire en l’art et en l’artiste, en l’occurrence un prédateur sexuel. Ton texte dérange et ça fait du bien. Merci Laurent.

    • Merci Jean-Luc, j’ai écrit ce texte parce que cela me dérange et m’a dérangé aussi, à l’époque la société n’ a pas été à la hauteur. Aujourd’hui ces photos sont encore en ventes, il y-a certainement des victimes sur ces photos qui sont en vie et il ya des gens qui gagnent de l’argent avec ces clichés, la société n’est toujours pas à la hauteur.

  3. J’ai lu le livre de Flavie Flamand « la consolation » où elle dénonce la perversité de David Hamilton et celle de sa mère qui par désir de fréquenter des célébrités utilisait sa fille.
    La photographie est une prédation, tout l’art des vrais portraitistes consiste à transformer l’acte de photographier en échange le moins inégal possible. Au contraire Hamilton l’utilisait comme piège à satisfaire sa perversité. Il faut vraiment lire La consolation.

  4. je t’ai entendu défendre ton texte, l’image et ton point de vue au zoom de lundi…
    et moi qui n’ai pas spécialement fréquenté le travail d’Hamilton, j’ai trouvé que justement la photo était bien choisie et renforçait le propos… (elle m’a été utile)
    d’ailleurs on ne peut s’empêcher de la regarder encore et d’être attrapé par la naïveté des sujets et par la perversité sous-jacente
    merci Laurent